Des propriétaires nous ouvrent les portes de leur demeure d'exception, offerte sur le marché de la revente.
Un rectangle dans un champ nu, dans un endroit qui ne s’appelait pas encore Kirkland. C’est comme ça que la maison de Charles Daudelin (1920-2001) a vu le jour, au tout début des années 50. Mais l’homme, peintre et sculpteur de son métier, n’allait pas en rester là. Cette maison, qui était déjà avant-gardiste à l’époque, il allait la façonner tout au long de sa vie, comme une œuvre en constant devenir.
« Mon père avait toujours des projets, mais il n’a jamais parlé de déménager. Il parlait juste d’agrandir. Il aimait ça, la construction », explique Nanouk Daudelin en nous faisant visiter la propriété familiale, mise en vente récemment.
Nanouk, qui est née dans cette maison en 1952, est la deuxième des cinq enfants que Charles Daudelin a eus avec son épouse et grande complice de vie, Louise Bissonnette. L’artiste, considéré comme un des pionniers de la sculpture abstraite au Québec et de l’art intégré à l’architecture, est décédé à 80 ans, en 2001.
Louise a continué d’habiter la maison, jusqu’à ce que l’âge et les ennuis de santé la contraignent à la quitter, en décembre dernier. Hormis les meubles, objets personnels et œuvres d’art qui ont été enlevés, la maison est restée telle qu’elle était quand le grand Charles l’a quittée, il y a près de 20 ans.
Après la mort de mon père, ma mère n’a pas fait de changements. Tout est resté tel quel. Dans l’atelier, les choses qu’il y avait sur la table, c’est resté comme ça pendant des années.
Nanouk Daudelin
Sur un tableau noir, dans l’atelier, on peut encore lire cette phrase d’un poète anglais (Alexander Pope), que l’artiste affectionnait particulièrement : « Vive les fous qui sautent à pieds joints là où les anges n’osent se poser. »
Se poser, après Paris
Retour dans le temps. En 1946, l’artiste Charles Daudelin, originaire de Granby, obtient une bourse d’études du gouvernement français. C’est ainsi qu’à l’automne de la même année, quelques jours seulement après leur mariage, Louise et lui partent pour Paris.
C’est en revenant de ce séjour, deux ans plus tard, que le couple décide de se bâtir une maison. Charles et Louise sont alors parents de leur premier enfant, né en France. La pénurie de logements et les prix, à Montréal, les incitent à s’établir dans la région de Pointe-Claire. Ils achètent un terrain qui avait eu la vocation de champ d’oignons auparavant !
S’ils font appel à un ami architecte pour les plans et confient le gros du travail à des ouvriers, ils abattent eux-mêmes beaucoup de boulot. C’est le début d’une grande aventure, car la maison va connaître plusieurs transformations par la suite. Voyons voir ce qu’il en est aujourd’hui.
Sculpture, architecture et nature
Charles Daudelin était homme de passions, et la sculpture, l’architecture et la nature trônaient pas mal en haut de sa liste. Ces trois aspects marquent fortement cette propriété des plus originales.
Partant du chemin Sainte-Marie, on file entre les arbres, par un long chemin étroit et asphalté. L’artiste et son épouse ont volontairement établi leur maison loin du chemin, qui s’appelait à l’époque le rang Sainte-Marie. Pour la tranquillité, mais aussi parce qu’ils avaient peur que leurs enfants se fassent écraser, résume Nanouk.
Le champ nu d’antan est couvert d’arbres de différentes essences qui ont été plantés au fil des ans, avec l’aide de Georges Daudelin, frère de l’artiste, qui était architecte paysagiste au Jardin botanique de Montréal.
Pendant longtemps, des sculptures de Charles et de certains de ses étudiants (l’artiste a enseigné à l’École des beaux-arts de Montréal et à l’Université du Québec) ont peuplé le terrain qui fait plus de 60 000 pieds carrés. Au bout du chemin, la maison se dresse, intrigante par sa forme et généreuse en fenestration.
On devine le rectangle initial de la maison, mais il n’est plus seul. Au fil des ans et des besoins de l’artiste et des enfants qui naissaient, des ajouts s’y sont greffés. « Au niveau de la structure, ce sont des styles différents. C’est une maison biscornue », avait prévenu Nanouk, avec une pointe d’amusement, avant la visite.
De fait, c’est une maison particulière, qui nous réserve des surprises quasiment à chaque détour. Une cloison en biais ici ! Un meuble suspendu là ! Un bain creusé dans le plancher que le maître des lieux appelait le « bain japonais » ! Une cuisine rétro-moderne au centre de la maison, avec vue sur l’imposant atelier de l’artiste ! La chambre principale n’est pas grande, mais où donc est la porte ? « Il n’y en a jamais eu ! », lance Nanouk en riant.
À l’extérieur, la propriété dispose d’une piscine creusée, d’un autre grand bâtiment qui a déjà abrité l’atelier de Charles et d’une ancienne chèvrerie qui, après avoir accueilli chèvres, boucs, poules et lapins, a servi de remise.
L’empreinte des architectes
Pour construire et agrandir la maison au fil des ans, le couple Daudelin a fait appel à des architectes, qui étaient aussi des amis. Les voici :
Charles Elliott Trudeau
Il a conçu les plans de la maison initiale, en 1950. Il fut aussi le parrain de Nanouk. Oui, il s’agit du frère de Pierre Elliott Trudeau ! La firme Rother, Bland, Trudeau a également conçu les plans de deux nouvelles pièces, en 1954.
Jean-Louis Lalonde
En 1959, il a conçu les plans d’un atelier détaché de la maison. Parce qu’avec la famille qui s’agrandissait, ça devenait de plus en plus difficile pour Charles de travailler à la maison. Le nouvel atelier, de belles dimensions, est resté tel quel. L’artiste y a travaillé de 1969 à 1986, soit jusqu’à ce qu’il décide de revenir travailler dans la maison, dans un nouvel atelier.
Gordon Edwards
C’est lui qui a été mis à contribution pour ce dernier agrandissement qui a doublé la surface de la maison. Cela a donné une grande pièce lumineuse, avec une hauteur de plafond de 21 pi (6,4 m). Charles Daudelin y a travaillé de 1986 jusqu’à la fin de sa vie.
Charles Daudelin
Le nom de Charles Daudelin est bien souvent évocateur. On sait que c’est un artiste, mais on ne se rend pas toujours compte de l’ampleur de ce qu’il a fait. Pourtant, ses œuvres sont partout ou l’ont été. Pour n’en citer que quelques unes :
> L’aménagement de l’îlot A du square Viger, à Montréal (l’Agora), en 1983
> Le retable de la chapelle du Sacré-Cœur, dans la basilique Notre-Dame, en 1982
> Embâcle, sculpture-fontaine de la place du Québec, à Paris, en 1984
> Éclatement II, sculpture-fontaine de la place de la Gare à Québec, en 1998
> Poulia, sculpture-fontaine installée en 1966 devant l’édifice du gouvernement provincial de Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard
> Allegrocube, sculpture installée devant le palais de justice de Montréal en 1973
> Les bandes verticales de la station de métro Mont-Royal, en 1966
> Les grilles sculpturales de la station de métro Langelier, en 1976
> Le passage du 2 avril, sculpture-fontaine inaugurée en 2001 devant l’hôtel de ville de Kirkland, deux mois après la mort de l’artiste. C’est la dernière œuvre publique de Charles Daudelin et son nom fait référence au jour de son décès.
La propriété en bref
Prix demandé : 2 688 000 $
Évaluation : 1 413 800 $
Année de construction : 1951 pour la première phase
Superficie du terrain : 60 472 pi2 (5618 m2)
Chambres à coucher : 3
Taxes municipales 2019 : 9434 $
Taxe scolaire : 1610 $
Courtier immobilier : Cyrille Girard, Sotheby’s
> Consultez le site de Charles Daudelin
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