Marie Turcotte adore cuisiner. Mais c’était devenu de plus en plus hasardeux. Se soulevant dans un équilibre précaire sur son fauteuil roulant pour atteindre la cuisinière, éclaboussée au visage en faisant cuire des aliments, son niveau de frustration était très élevé. Elle ne voulait pas dépendre de son conjoint, Yves Marineau, pour les repas ni le condamner à toujours faire la vaisselle. Ils sont passés à l’action pour se doter d’une cuisine qui répond à leurs besoins à tous les deux.

À savoir : se déplaçant dans un fauteuil roulant, elle mesure 3 pi 8 po (1,16 m). Lui fait 6 pi (1,82 m). Ils ont fait leurs devoirs afin de pouvoir être tous les deux à l’aise et efficaces.

« Cela a tout changé !, s’exclame Mme Turcotte, qui rêvait de sa nouvelle cuisine depuis 15 ans. Je suis maintenant autonome. Je ne dépends plus d’Yves pour mettre un plat dans le four ou faire braiser du bœuf. Je peux faire plus de choses, en moins de temps, avec moins d’efforts ! »

Ergothérapie

Deux concepteurs les ont guidés. Un architecte de Société Logique, un organisme à but non lucratif voué à la promotion du design universel, a donné de bonnes idées. Les plans ont été finalisés par le cuisiniste Macucina. Durant le processus, une ergothérapeute du Centre de réadaptation Lucie-Bruneau a suggéré d’utiliser des structures ajustables sur mesure pour la cuisine, d’ErgoTables, à Thetford Mines.

« C’était illogique d’avoir deux plaques de cuisson à différentes hauteurs, explique Antony Bernard, responsable du développement des affaires de l’entreprise. Il y avait une contrainte d’espace. » 

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Chez Marie Turcotte et Yves Marineau, la hauteur de la plaque de cuisson est ajustable, pour que tous les deux puissent cuisiner.

L’évier et la plaque de cuisson sont donc dans deux structures à la hauteur ajustable, qu’on a fabriquées selon les spécifications du cuisiniste. La façade est ensuite ajoutée, pour que ce soit plus chic.

Antony Bernard, d’ErgoTables

L’entreprise réalise surtout du mobilier ergonomique sur mesure pour divers milieux de travail. À peine une cinquantaine de foyers au Québec profitent de son expertise dans leur cuisine ou leur salle de bains. Mais c’est un marché que la firme veut davantage exploiter en 2020, révèle M. Bernard. « Cela permet de prolonger l’autonomie des personnes, qu’elles soient à mobilité réduite ou non », dit-il.

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Se déplaçant dans un fauteuil roulant, Marie Turcotte mesure 3 pieds 8 pouces (1 min 16 s). Elle cuisine sur une planche de bois, solidement ancrée au-dessus d’un tiroir, qui lui sert de plan de travail.

L’entreprise Les projets de Nicolas s’est chargée de la réalisation des travaux, qui étaient majeurs.

Deux portes dans la cuisine menaient à une petite salle de bains et à une petite salle de lavage. Pour optimiser l’espace dans la cuisine, une des deux portes a été éliminée. La salle de bains, décloisonnée, a été agrandie et comprend une laveuse et une sécheuse, montées sur un piédestal. L’éclairage déficient au plafond et les planchers croches ont été corrigés. Le couple a séjourné ailleurs pendant cinq semaines.

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À la hauteur standard, l’évier ne convient pas à Marie Turcotte.

« Tout a été refait », précise l’entrepreneur Nicolas Girouard, qui a supervisé les travaux et s’est creusé les méninges pour faire en sorte que l’évier de la cuisine puisse monter et descendre sans causer de problème à la tuyauterie. Détenant lui-même une licence de plombier, il a trouvé une solution originale (et économique), ayant recours à un tuyau flexible de plastique résistant à la chaleur et au froid, du même type que ceux qui sont utilisés pour les piscines. De l’eau demeure à l’intérieur, ce qui évite les mauvaises odeurs.

Planifier !

Les propriétaires de la maison construite en 1926 dans Rosemont, à Montréal, étaient bien préparés, fait-il remarquer. « Trois éléments sont essentiels pour réussir une réno, dit-il. La planification, la planification et la planification. »

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La structure ajustable comportant un évier a été réalisée sur mesure par ErgoTables, à Thetford Mines.

Marie Turcotte, directrice générale de l’organisme Ex Aequo, voué à la promotion et à la défense des droits des personnes avec une déficience motrice, est par nature très structurée. Son conjoint, comptable de formation, l’est tout autant. Tous deux ont suivi de près la progression des travaux.

« Il y avait beaucoup de détails à surveiller », explique-t-elle.

C’était important, par exemple, qu’une prise de courant soit installée sur le devant de la plaque de cuisson, à gauche et non à droite, pour être près de la planche sur laquelle je prépare les repas. Sinon, le fil des petits appareils électriques serait trop court.

Marie Turcotte

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La salle de bains, décloisonnée, a été agrandie. Elle comporte deux éviers et deux pommeaux de douche pour convenir à Marie Turcotte et Yves Marineau.

Deux planches de bois amovibles, solidement ancrées au-dessus de deux tiroirs qui bloquent en place, à sa hauteur, servent de plan de travail. La première planche se trouve à la gauche de la plaque de cuisson et la seconde, à la gauche de l’évier et du lave-vaisselle.

Autre astuce : le couple a opté pour un modèle de cuisinière Bosch, dont la porte ouvre sur le côté. L’appareil a été installé à une hauteur confortable pour les deux.

« Pour moi aussi, c’est super ergonomique, indique Yves Marineau. Je peux arroser sans trop me pencher. »

« C’est facile de mettre et d’enlever les plats », renchérit Mme Turcotte.

Respect de l’environnement

Sous les plans de travail, les tiroirs ont été privilégiés, puisque leur contenu est plus facilement accessible. La hotte, par ailleurs, est allumée à distance par un interrupteur.

« J’aime sortir des sentiers battus », souligne Nicolas Girouard. Certifié ÉcoEntrepreneur Plus par l’organisme ÉcoHabitation, il a vu à ce que la rénovation soit effectuée autant que possible dans le respect de l’environnement. Les anciens caissons et les portes, d’une dizaine d’années, par exemple, ont été installés à l’étage, dans la cuisine des locataires. Du marmoléum, un type de linoléum qui ne dégage pas de composés organiques volatils (COV) et qui est fabriqué à partir de matériaux naturels, couvre le sol de la salle de bains. Le maintien à domicile s’inscrit aussi dans une optique de développement durable, fait-il remarquer.

Coûts

Rénovation de la cuisine et de la salle de bains (incluant cinq semaines à l’extérieur et électroménagers) : environ 100 000 $

Deux structures à hauteur ajustable : environ 1700 $ chacune

Crédit d’impôt : 30 % de ces 3400 $ (dépense pour l’accessibilité domiciliaire)