Les maisons vieillissent, les acheteurs rajeunissent. On assiste à un renouveau de la « clientèle immobilière » dans plusieurs quartiers de la ville et de la banlieue. Radiographie d'une nouvelle réalité.

Le bonheur des «vieux quartiers»

Avec les jeunes familles qui achètent des « plex » et plusieurs écoles primaires qui affichent complet, de nombreux quartiers de Montréal se transforment au même rythme que leur réalité immobilière.

« Je vois partir mes [vieux] voisins, dit avec humour Jean-Marc Léger, à la fois résidant du quartier Ahuntsic et courtier immobilier. Ça me fait tout drôle de voir arriver dans ma rue des jeunes couples, avec des bébés dans les poussettes ! »

Une amie de sa fille Élizabeth, au début de la trentaine, vient d'emménager tout près de chez lui, dans un « plex », avec son conjoint et son bébé de 8 mois. « Pas de doute, constate-t-il, ce quartier-là rajeunit. On le voit. On agrandit les écoles pour faire de la place aux élèves du primaire, on construit des pataugeuses immenses dans les parcs ! »

Des vendeurs et des enfants

Mais voilà : la pression exercée par les jeunes acheteurs qui souhaitent vivre dans des quartiers qui se renouvellent contribue à pousser les prix vers le haut. « On le voit bien, avec toute cette surenchère quand un "plex" est à vendre, précise le courtier. Ceux qui font des offres sont très souvent des jeunes dans la trentaine, ou début quarantaine. »

« C'est vrai pour le quartier Ahuntsic et ce l'est également dans Villeray, et même dans Rosemont, ajoute-t-il. Ce sont des quartiers de "plex" avec un nombre limité de [propriétés] unifamiliales. »

Les vendeurs ont « un certain âge » et lorsqu'ils doivent considérer plusieurs offres d'achat en même temps sur leur propriété, ils sont portés à accepter « celle d'un couple avec un ou des jeunes enfants », observe Jean-Marc Léger.

« Il faut croire que c'est un réflexe naturel, humain, dit-il. Ces personnes âgées aiment croire qu'il y aura de la vie dans leur propriété, après leur départ. »

De la ville à Sainte-Dorothée

Élizabeth Léger, 31 ans, la fille de Jean-Marc Léger, a plutôt acheté en banlieue. Elle a trouvé une maison des années 80 dans le quartier Sainte-Dorothée, à Laval.

« Les propriétaires étaient décédés, j'ai réglé avec la succession, dit-elle. Ça s'est bien passé. »

Tout était à refaire. Il fallait enlever le papier peint sur les murs, remplacer les portes, les fenêtres... « Disons que c'était décoré vieillot, dit-elle en riant. On a remis ça à notre goût. On est satisfaits. »

Il y a huit ans, lorsqu'elle a acheté avec son conjoint, il n'y avait que deux jeunes familles dans le voisinage. « Aujourd'hui, nous vivons entourés de jeunes couples avec des enfants. Le quartier change. »

Tout comme son conjoint, elle ne regrette nullement d'avoir acheté dans un « vieux quartier » de Laval pour y élever ses enfants âgés de 3 et 4 ans. « On voulait une maison avec un terrain et de gros arbres. On a trouvé », dit-elle.

Photo Catherine Lefebvre, La Presse

Thierry et Daphnée jouent devant leur maison des années 80 dans le quartier Sainte-Dorothée, à Laval.

Une famille attachée à sa maison

Lors de la vente de leur maison, les Delage ont exigé que l'acheteur s'engage à maintenir sa vocation d'unifamiliale résidentielle.

Quand Michelle Phaneuf-Delage, 91 ans, a dû quitter sa maison de la rue Montcalm, à Saint-Jean-sur-Richelieu, pour aller vivre en résidence, son fils Marc a eu un pincement au coeur.

« C'était notre gentille maison, elle renfermait tellement de beaux souvenirs ! », raconte l'homme de 65 ans avec émotion.

Après avoir consulté sa mère et demandé l'aide de son frère, André, 62 ans, il a pris la décision de mettre en vente la maison unifamiliale construite en 1951 « dans un beau quartier près du cégep, dans l'une des plus belles rues de Saint-Jean-sur-Richelieu », aime-t-il rappeler.

Des conditions légales

« On voulait vendre, mais pas à n'importe quelles conditions », précise Marc Delage. Il ajoute : « Il était hors de question de céder la maison à des spéculateurs ou à des investisseurs immobiliers. »

En août dernier, un acheteur s'est pointé, un jeune couple fin vingtaine, qui a accepté de respecter les conditions de la famille. Ce n'étaient pas de simples conditions verbales. « On s'est appuyés sur l'article 1622 du Code civil du Québec pour s'assurer que l'acheteur allait préserver l'usage résidentiel unifamilial du terrain sur lequelle se trouve la propriété, et ce, pour les 10 prochaines années ».

En d'autres termes, les acquéreurs ne pourront en changer la vocation résidentielle jusqu'en 2028, encore moins la démolir pour construire un ou deux triplex sur le terrain de 14 000 pi2.

« C'était une condition non négociable, précise Marc Delage. Nous y tenions et l'acheteur a accepté. »

« Nous avons agi, mon frère et moi, dans le respect de nos valeurs familiales. On croit à la vie de quartier. On trouve toutefois regrettable qu'un trop grand nombre de promoteurs défigurent des rues entières en construisant d'affreux blocs d'appartements ! » 

- Marc Delage

Il ne cache pas que cette « obligation légale » posée aux acheteurs en a surpris plus d'un dans son entourage. « Un ami avocat et un autre ami notaire m'ont dit que c'est du jamais-vu ! », soulève-t-il, étonné.

Chose certaine, l'acheteur sait à quoi s'en tenir. En achetant la propriété, il a également appris qu'il pourrait devoir payer une pénalité de 100 000 $ « si l'usage résidentiel unifamilial » n'est pas préservé jusqu'à la fin de l'échéancier de 2028.

Marc Delage dit avoir agi de la sorte, avec son frère, par attachement pour la maison familiale, pour la « belle rue » où il a grandi, pour que le patrimoine résidentiel bâti ne disparaisse pas sous le pic des démolisseurs.

« C'est une démarche qui peut sembler inusitée, mais il faut passer à l'action si on veut montrer qu'on tient à nos maisons, à la qualité de vie dans les quartiers résidentiels », insiste le fils aîné de la « dame de 91 ans ».

Il ne s'attend aucunement à ce que l'acheteur - qui a préféré ne pas accorder d'entrevue à La Presse - démolisse la maison « avec des murs de brique sur les quatre façades ». Même qu'il entretient une belle relation avec le jeune couple, qui a fait cadeau à son frère et à lui de la porte en bois, dans la cuisine. Ce n'était pas n'importe quelle porte : il y avait encore des marques qui avaient servi à mesurer leur grandeur, quand ils étaient enfants.

La maison a été vendue 208 000 $. « Il y avait pas mal d'amour à mettre dedans, au moins 100 000 $ en rénovations », souligne Marc Delage.

Photo fournie par Marc Delage

Baignade et tricycle au tournant des années 60.

Avoir la bonne approche

Ce n'est pas tout de choisir une maison qui a du vécu, dans un quartier où les arbres ont bien poussé. Encore faut-il avoir la bonne approche quand vient le temps de faire une offre d'achat aux propriétaires-vendeurs, souvent très attachés à leur maison. Conseils de courtiers qui ont vu neiger.

Acheteurs sympathiques recherchés

« Les personnes âgées tiennent généralement à savoir qui va acheter leur maison, qui a une valeur sentimentale à leurs yeux. Elles vont préférer un couple avec de jeunes enfants à un investisseur qui achète pour faire rénover et revendre à profit. J'ai eu une cliente, âgée de 94 ans, qui m'a dit clairement qu'elle optait en premier lieu pour un jeune couple qui lui semblait sympathique ! »

- Johanne Brabant, Royal LePage, Saint-Hyacinthe

Délicates discussions

« Ça reste un choix difficile à faire, vendre la maison où on a vécu la majeure partie de sa vie. C'est une décision chargée d'émotions. Je côtoie régulièrement des personnes âgées qui ont parfois du mal à comprendre et à accepter que leur propriété a vieilli et qu'elle a besoin d'être rénovée. Ça peut les froisser quelque peu de se faire dire par les [jeunes] acheteurs qu'il faudra investir de bonnes sommes d'argent pour la moderniser. En règle générale, on finit par s'entendre. »

- Jean-Pascal Nérisma, RE/MAX, Repentigny

L'avantage du propriétaire unique

« Il y a ici un grand nombre de bungalows des années 60 et du début des années 70. On voit de plus en plus de jeunes couples faire des offres d'achat sur des maisons à rénover et qui ont eu un seul propriétaire, bien souvent des personnes âgées qui vendent pour aller vivre en résidence. Je vois de plus en plus de jeunes ménages qui achètent des maisons de plain-pied avec l'intention de refaire la cuisine et la salle de bains. »

- Luc Neveu, RE/MAX, Fabreville

Acheteurs informés

« L'arrivée de jeunes acheteurs qui achètent de vieilles maisons contribue au renouvellement des quartiers dans notre ville. C'est agréable de voir des enfants dans nos parcs, fréquenter nos écoles ! Toutefois, avant d'acheter, les jeunes couples négocient serré avec les vendeurs plus âgés. Certains ont en main des soumissions détaillées en vue des travaux à réaliser ! Dans notre marché, les acheteurs savent que ces maisons sont des valeurs sûres et qu'ils n'auront pas de mauvaises surprises après en avoir fait l'acquisition. »

- Manon Gadoury, Via Capitale, Joliette

Deux réalités

« On me pose souvent la question : "Qu'est-ce qu'ils vont faire avec ma maison, les acheteurs ?" Les propriétaires d'un certain âge sont anxieux quand vient le moment de mettre une pancarte "À vendre". Ils sont attachés à leur maison, à leur terrain, aux rosiers, aux arbustes. Durant l'inspection, il n'est pas rare de les entendre parler des souvenirs qui s'y rattachent ! Les jeunes acheteurs, de leur côté, sont davantage intéressés par le prix qu'ils vont payer et par la qualité du bâtiment. »

- André Lombart, RE/MAX, Saint-Jean-sur-Richelieu

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Jérôme Labelle, Élizabeth Léger et leurs deux enfants, Daphnée et Thierry