C'est un métier sans heures fixes ni revenu stable et qui occupe la plupart des week-ends. Et pourtant, dans certaines familles, on est courtier immobilier de père en fille et de mère en fils. Entretien avec trois familles de courtiers immobiliers passionnés.

LA PASSION DES BAUDINET

Qui a dit que les cordonniers étaient les plus mal chaussés? Pas les Baudinet, qui nous reçoivent dans la somptueuse demeure de Béatrice Baudinet, à Westmount. La courtière immobilière est entourée de deux de ses cinq enfants, qui ont suivi ses traces en immobilier, ainsi que de sa soeur, Barbara Baudinet, qui exerce le même métier.

C'est d'ailleurs cette dernière qui a ouvert le bal en 2005. Barbara travaillait depuis une douzaine d'années dans l'industrie du cinéma et de la télévision quand elle a décidé de bifurquer vers l'immobilier. Elle voulait plus de flexibilité dans son horaire pour élever ses deux jeunes enfants. «Et j'étais prête à travailler fort pour bien gagner ma vie», résume celle qui roule sa bosse chez Sotheby's, une agence spécialisée en propriétés de luxe.

Béatrice, mère de cinq enfants, dont une paire de jumelles identiques, s'est pour sa part lancée en immobilier en 2008, après avoir fait son cours de courtier. Elle a commencé seule, chez Royal LePage, et celle qui apparaît comme une véritable dynamo a vite connu le succès. Mais c'était beaucoup de travail, et elle se souvient qu'elle n'arrivait plus à tout faire. Sur les conseils de son gérant, elle a pris une assistante. Peu après, son fils, Tristan, s'est joint à son équipe. Il avait alors 18 ou 19 ans. Après avoir fait son cours en immobilier, il a débuté dans Westmount, mais a réalisé que les gens qui avaient des maisons de 3 ou 4 millions hésitaient à les confier à quelqu'un d'aussi jeune. Il a alors commencé à s'investir dans la location.

«J'allais n'importe où, je ne refusais pas de client. Ma première inscription était à Saint-Sauveur», se souvient Tristan Pungartnik.

Les baux, les lois, les contacts avec les clients, la Régie du logement, il a tout appris sur le terrain. «On ne nous montrait rien sur la location, quand j'ai fait mon cours, en 2009» dit-il. Quoi qu'il en soit, il faut croire qu'il était pas mal bon, puisqu'à un certain moment, un de ses plus importants clients l'a recruté. Depuis cinq ans, Tristan est directeur des opérations chez Gestion immobilière Summit, qui gère environ 2000 appartements et immeubles commerciaux dans la région montréalaise. En 2016, il a obtenu le premier jugement qui permet de changer la serrure quand un locataire qui ne réside pas dans l'appartement le loue sur Airbnb.

Un de perdu...

Béatrice a perdu Tristan (façon de parler) mais a gagné sa fille, Daphne, qui s'est jointe à son équipe en 2014. Au départ, la jeune femme aspirait à travailler en publicité. Mais après avoir terminé son bac en marketing en 2013, elle a réalisé que la pub était plus un passe-temps pour elle. «Ma mère m'a proposé de faire mon cours en immobilier. Ça lui a pris 20 minutes pour me convaincre», raconte la femme de 27 ans, qui peut travailler autant du côté résidentiel que commercial. Et voilà, elle a la passion, elle aussi. Le métier, qu'elle pratique dans l'équipe de sa mère, lui permet par ailleurs de gérer son temps et de s'adonner occasionnellement à son autre passion: les voyages. «En équipe, on s'entraide», assurent la mère et la fille.

Soutien psychologique

Avec les clients, il y a énormément de psychologie à faire, s'accordent à dire Barbara et Béatrice. «On fait affaire avec des gens qui divorcent, on s'occupe de successions, de jeunes couples qui achètent pour la première fois, de gens qui ont tout perdu ou qui doivent partir en raison de leur âge...», illustre Béatrice. «Ça présente des défis, dit Barbara, et des fois, en famille, on peut décompresser en en parlant entre nous.»

LES BOIVIN DE PÈRE EN FILLE

Pilote d'avion, docteur, avocate, animatrice de télé, créateur de jeux vidéo... Dans le grand éventail des métiers qu'il fera quand il sera grand, l'enfant pense rarement à celui de courtier immobilier. Ce n'est pas le cas de Jennie Boivin, qui, elle, savait parfaitement que c'est ÇA qu'elle ferait, quand elle serait grande.

«À 5 ans, je disais que j'allais faire comme papa ! Mais personne ne me croyait trop, à part lui», rigole la jeune femme, en faisant allusion à son père, courtier immobilier depuis 35 ans.

Nous sommes dans les bureaux de Re/Max à Kirkland, en compagnie de Marc Boivin et de sa fille Jennie, qui fait maintenant partie de son équipe. «Je ne l'ai pas vraiment encouragée à faire ça, explique Marc. Je faisais mes affaires, je travaillais fort, j'avais des résultats. Je ne lui ai jamais dit: "Plus tard, tu vas travailler avec moi."»

De fait, Marc et sa conjointe tenaient à ce que leurs trois enfants aient une base solide. «Je pouvais choisir la carrière que je voulais, mais mes parents voulaient que je fasse mon université avant, explique Jennie. J'ai choisi un bac connexe à l'immobilier.»

La femme de 26 ans raconte qu'une semaine avant de finir son bac en administration des affaires, en 2016, elle s'est inscrite au Collège de l'immobilier, sans le dire à ses parents. Quelques jours plus tard, quand ceux-ci lui ont demandé ce qu'elle allait faire maintenant qu'elle avait fini son bac, où elle comptait travailler, elle leur a annoncé qu'elle commençait son cours en immobilier «la semaine prochaine!». Jennie a obtenu son permis de courtier résidentiel la même année, et s'est jointe à son père, chez Re/Max. Elle a ensuite terminé sa formation pour faire aussi de l'immobilier commercial. Pour être plus polyvalente, «ne pas refuser de mandats», résume-t-elle.

Bon mélange

L'expérience de Marc et les connaissances plus techniques de Jennie font un bon mélange, estiment le père et la fille.

«L'ancienne école est plus axée sur le client. La nouvelle école est plus stratégique, plus technique, plus structurée», indique Jennie Boivin.

Elle constate aussi que ses cours à l'université l'ont aidée dans son travail, particulièrement en matière de réseaux sociaux, qu'elle alimente régulièrement. Une partie du travail que Marc laisse volontiers à sa fille. «Ah, moi, l'informatique...»

Instabilité

Quand on travaille à la commission, en général 5 % pour les courtiers, il faut jongler avec l'instabilité et être prévoyant, signale Marc. Le courtier admet que des semaines de 80 heures, il en a fait beaucoup. «Tu peux avoir trois excellentes années et une terrible, renchérit Jennie. C'est un métier instable. Mais mon père est un optimiste. Pour la passion, j'ai eu le meilleur modèle. Voir quelqu'un se lever le matin et être content de sa job, ça inspire beaucoup.»

«Ce n'est pas un métier qui est exigeant physiquement, mais ça peut être stressant, comme dans n'importe quelle job. Il s'agit d'avoir la bonne attitude. [Quand ça bloque avec un client], il faut penser au prochain avec qui ça va fonctionner.»

Concilier travail et famille

Malgré des semaines de travail bien remplies, Marc a su équilibrer le tout avec sa vie de famille, assure sa fille. «Il n'a jamais manqué une partie de hockey ou de soccer ou une compétition», dit celle qui a fait du cheerleading de compétition et de la gymnastique.

Pour que ses clients acceptent qu'il n'était pas disponible à telle ou telle heure, Marc leur disait un pieux mensonge: «Je leur disais que j'avais un autre client à ce moment-là, mais que je serais avec eux tout de suite après. Sinon, ils ne l'acceptaient pas», conclut M. Boivin, qui est président du Regroupement ouest de la Chambre immobilière depuis 20 ans.

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Jennie et Marc Boivin. «Mon père m'a transmis sa passion», affirme Jennie.

LA BANDE À CHRISTINE

«Christine a encore vendu.» Cette petite phrase, les résidants du quartier Ahuntsic sont habitués de la voir sur des pancartes plantées devant des maisons ou sur des dépliants laissés dans les boîtes aux lettres. Christine Gauthier, courtière immobilière depuis une vingtaine d'années, est omniprésente dans le quartier.

Malgré cela, la femme de 49 ans, mère de quatre enfants et «grand-mère deux fois», est toujours sur sa lancée. Elle est en train de délaisser Re/Max pour exploiter sa propre agence: Christine Gauthier immobilier. En ce samedi matin, elle nous reçoit d'ailleurs dans les bureaux de l'agence, rue Sauvé Ouest.

Mathieu Lagarde, conjoint de Christine depuis neuf ans, est titulaire d'un bac en finances et courtier immobilier. Il est pour beaucoup dans cette aventure de l'agence. Tous deux s'étaient connus en 1998, au moment de faire leurs cours de courtier, puis s'étaient perdus de vue. Jusqu'au jour où ils se sont revus, par hasard, en 2010. Cupidon a décoché sa flèche. Mathieu, qui travaillait alors en gestion de portefeuilles dans une institution financière, trouvait que Christine avait besoin d'aide. Il lui a proposé de venir un an pour «restarter sa business».

«Ça marchait bien, mais il fallait faire de la sollicitation, mettre des processus, avoir une vision», explique Christine Gauthier.

Et justement, Mathieu avait une vision. Aujourd'hui, chacun met ses forces en valeur, soumet le couple. Christine est bonne dans le service à la clientèle, et Mathieu est fort dans les chiffres, la technologie et l'informatique. Le fait de fonder une agence sera aussi profitable aux enfants, expliquent-ils. Parce que, oui, deux des enfants de Christine suivent ses traces, même si elle leur avait «conseillé de ne pas faire ce métier-là», lance-t-elle en riant. À cause du «sept jours sur sept» et des horaires de fou.

Maman n'a pas toujours raison

Mais les enfants n'écoutent pas toujours leurs parents. Après avoir obtenu son bac en communication et marketing, Jannie, fille de Christine, a travaillé comme représentante itinérante pendant trois ans. Elle s'est rendu compte que le travail en solitaire, ce n'était pas pour elle. «L'immobilier m'avait toujours attirée. Veut veut pas, l'immobilier, ça se passe toujours autour de la table. J'ai fait le changement pour aller travailler avec eux [sa mère et Mathieu], et j'ai fait mon cours de courtier en même temps», explique la courtière de 27 ans, qui est en congé de maternité à la suite de la naissance de son deuxième enfant.

Son frère Philippe, 24 ans, travaille pour sa part comme adjoint dans l'agence de leur mère, tout en faisant son cours de courtier immobilier. Ce qui l'attire dans le métier? Trois choses, résume-t-il: «L'aspect social, les ventes et les maths. On fait des comparables, des évaluations, j'aime ça. Mais faire juste des maths dans un bureau, je ne serais pas intéressé.»

Créer sa propre agence

L'idée derrière l'agence, c'est de lancer une entreprise qui durera dans le temps, selon Christine Gauthier et Mathieu Lagarde. «Christine a un nom dans le quartier, explique Mathieu, mais lorsqu'un courtier arrête de travailler, ou s'il arrive quelque chose, ça arrête là, ça meurt. Avec l'agence, ça pourra continuer et profiter aux enfants, et les autres membres de l'équipe. Par ailleurs, l'agence veut diversifier ses services, comme la gérance d'immeubles.»

Photo Robert Skinner, La Presse

Christine Gauthier, courtière bien connue dans Ahuntsic, a lancé sa propre agence immobilière. On la voit ici devant un camion aux couleurs de son entreprise, en compagnie de son conjoint, Mathieu Lagarde (à sa droite), de son fils Philippe et de sa fille Jannie.