Sans l'intervention de quelques passionnés, qui se sont mobilisés pour empêcher la destruction de la Maison Hurtubise, dans Westmount, en 1956, cette ancienne maison de ferme n'existerait plus. Soixante ans plus tard, la sauvegarde des immeubles patrimoniaux demeure un défi.

La Maison Hurtubise l'a échappé belle. Construite en 1739 et habitée par six générations de la famille Hurtubise, l'ancienne maison de ferme en pierre des champs témoigne encore de la vie rurale au XVIIIe siècle. Rescapée d'une démolition certaine, elle défie le temps grâce aux bons soins de ceux qui l'ont prise sous leur aile.

Située le long du chemin de la Côte-Saint-Antoine, la demeure patrimoniale a été restaurée de façon à assurer sa sécurité tout en préservant les traces du temps. Résultat : en entrant, on a l'impression de se trouver à une autre époque. C'est encore plus vrai dans la cuisine, qui comporte une trappe menant dans la cave, un évier de pierre peu profond conçu pour que l'eau s'écoule à l'extérieur, ainsi qu'un foyer arborant les traces d'un ancien four à pain.

«Les travaux ont été faits pour garder l'esprit du lieu», explique Jacques Archambault, directeur général de l'Héritage canadien du Québec (HCQ), fondé en 1960 à la suite de l'acquisition de la Maison Hurtubise.

Au fil des ans, l'organisme à but non lucratif est devenu propriétaire de près de 25 bâtiments et lieux, dont plusieurs sont classés patrimoniaux. Certains, comme la Maison Hurtubise, peuvent même être visités sur rendez-vous, tandis que d'autres peuvent être loués l'été pour de courts séjours (à Percé, Tadoussac et Rivière-du-Loup). L'argent recueilli, tout comme celui provenant de la vente de la farine réalisée de façon artisanale par le Moulin Seigneurial des Éboulements, est réinvesti dans la conservation des propriétés.

Le plus grand défi? «Il faut s'occuper de chaque bâtiment, de Montréal à Percé jusqu'aux Bergeronnes, sur la Côte-Nord», souligne M. Archambault, qui chapeaute une minuscule équipe, appuyée par des organismes partenaires.

La Maison Hurtubise et la propriété, classées monument historique et site historique, «exigent des soins énormes et constants, précise-t-il. Il faut trouver les bonnes ressources, spécialisées, pour faire les travaux».

Pour recueillir des fonds, cet été, le thé sera offert l'après-midi à ceux inscrits à la visite du rez-de-chaussée. Le coût: 10 $.

Mieux faire connaître

En 1982, les fondateurs de l'organisme Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ) avaient aussi à coeur la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine résidentiel.

«Thérèse Romer, une immigrante polonaise, voyait que beaucoup de maisons anciennes étaient négligées ou transformées, pas toujours de la bonne façon, indique Louis Patenaude, président de l'association, qui compte de 800 à 900 membres.»

«Il a fallu le regard d'une personne qui venait d'ailleurs pour nous faire prendre conscience de ce que nous avions.»

Plus de 35 ans plus tard, le défi de conserver ce que les générations passées nous ont légué persiste, mais la conscience de la valeur patrimoniale des bâtiments anciens a progressé, estime-t-il.

«Il existe plus d'outils pour bien restaurer les maisons, explique-t-il. Des organismes, dont le nôtre, donnent des cours et des ateliers, et organisent des visites commentées.»

Photo Olivier Jean, La Presse

En entrant dans la Maison Hurtubise, on a l'impression de reculer dans le temps.

Malgré tout, il faut rester vigilant, dit-il. «On perd du patrimoine bâti. C'est pourquoi on essaie de faire de la prévention. Quand nos visites attirent 50, 60 ou 70 personnes, qui ont fait 2 ou 3 heures de route, on invite toujours le maire ou la mairesse à nous dire ce qui est fait pour protéger le patrimoine de sa municipalité.»

La notion de maison patrimoniale a pris de l'expansion et est plus inclusive qu'avant, note Dinu Bumbaru, directeur des politiques chez Héritage Montréal. «Les maisons rurales très anciennes en pierre avec une toiture à pignons ne sont plus les seules à avoir une reconnaissance. C'est aussi le cas des maisons de l'ancien village de Sault-au-Récollet, des triplex du Plateau-Mont-Royal, des petites maisons "shoebox".»

«C'est important de ne pas juste regarder les grands monuments comme ayant une valeur patrimoniale», explique Dinu Bumbaru.

À Montréal, Pointe-Claire, Longueuil, Sault-au-Récollet, Varennes, Terrebonne, Saint-Vincent-de-Paul, Saint-Laurent, la notion de patrimoine bâti déborde pour englober des quartiers complets. «Quand ils s'installent dans des noyaux villageois ou des quartiers urbains anciens, les propriétaires sont plus conscients du caractère particulier de leur environnement, où ils sentent la présence de la main humaine, croit-il. Ce n'est pas le paradis sur terre, mais je vois une plus grande appréciation. Il y a une réappropriation des bâtiments par des propriétaires privés ou des coopératives. Cela a un effet bénéfique.»

Les municipalités ont le pouvoir de protéger leur patrimoine, fait remarquer Caroline Breslaw, membre du conseil d'administration de l'Association historique de Westmount. «Mais elles ne prennent pas toutes les nouvelles responsabilités qui leur ont été transférées, à la suite de l'adoption de la loi 82 sur le patrimoine culturel, déplore-t-elle. Je suis inquiète, pas tant à Westmount, où on prend le patrimoine sérieusement, mais ailleurs. C'est aux citoyens de s'assurer que leur municipalité met sur pied un conseil local du patrimoine, comme toutes doivent le faire.»

Son souhait? Que ceux qui achètent des maisons anciennes le fassent parce qu'ils les aiment. Et qu'ils les améliorent pour pouvoir mieux y vivre, sans les dénaturer et, surtout, sans les détruire. Pour qu'elles deviennent sources de fierté.

Photo Olivier Jean, La Presse

La Maison Hurtubise a été restaurée de façon à assurer sa sécurité tout en préservant les traces du temps. Une exposition sur Sir John A. Macdonald est présentée dans le salon.