Ils ont tous la même ambition: gagner leur vie en achetant, puis en revendant des propriétés. Tous n'ont cependant pas la même façon de s'y prendre pour y arriver. Portrait de ces investisseurs en quête de bonnes affaires en qui certains voient des «cowboys de l'immobilier».

Acheter de la bonne manière

«Je n'enseigne pas à mes élèves à tromper le monde!», tient à préciser Ghislain Larochelle, président fondateur d'immofacile.ca.

Le coach et expert en immobilier donne des formations depuis 2008 à la fois à des courtiers et à des investisseurs. «L'intégrité, en immobilier, c'est une valeur fondamentale au sein de mon entreprise», précise-t-il.

Dans ses cours, il apprend à ses élèves à repérer les immeubles qui ont du potentiel. «C'est dans la brique [et le mortier] qu'on peut obtenir les meilleurs rendements», résume l'ingénieur électrique.

Chose certaine, ils sont de plus en plus nombreux à se lancer dans l'achat de propriétés en espérant faire un coup d'argent, ou pour se constituer un portefeuille immobilier. Pas de doute, l'immobilier est à la mode.

«C'est fou raide dans certains quartiers montréalais, comme Hochelaga-Maisonneuve et Rosemont, où des vendeurs de plex reçoivent non pas une, mais de très nombreuses propositions d'achat au cours d'une seule journée», souligne Ghislain Larochelle, à la tête du «plus gros regroupement d'investisseurs immobiliers au Québec», avec 42 000 membres.

Sa job à lui, c'est de fournir à ses «élèves» un solide coffre à outils pour qu'ils puissent, éventuellement, acheter au bon prix, dans le bon secteur, et au bon moment. Cela passe parfois par l'achat d'une maison qui a été reprise par la banque, ou par une transaction entre le vendeur et l'acheteur qui paie comptant.

«Ceux qui s'inscrivent à mes cours ont en majorité de 25 à 35 ans: des ingénieurs, des comptables, des travailleurs de la construction. Dans la plupart des cas, ils cherchent un revenu d'appoint en vue de la retraite.»

«Cowboys de l'immobilier»

Or, dans ce secteur, des investisseurs motivés par le gain facile prennent trop souvent des raccourcis discutables pour mettre la main sur une propriété menacée de saisie par la banque. Certains acheteurs qui offrent leurs services sur les sites internet et les réseaux sociaux oublient parfois les bonnes manières lorsque vient le temps de convaincre un vendeur en difficultés financières de lui vendre sa maison ou son immeuble au rabais.

«Des acheteurs qui veulent faire de l'argent très vite mettent de la pression sur les vendeurs vulnérables et font des offres d'achat ridiculement basses», constate Dominic Goulet-Lapointe, à la fois courtier, investisseur et auteur d'un blogue sur le site mieuxinvestir.ca.

Il ajoute: «Dans de tels cas, il n'est pas rare que des maisons soient vendues jusqu'à 25 % sous leur valeur marchande. Parfois même, ça peut aller bien en deçà.»

L'investisseur blogueur compare «cette minorité d'acheteurs aux pratiques douteuses» à des «comboys de l'immobilier». Ces acheteurs, dit-il, se ruent sur les «vendeurs motivés» à bout de ressources.

Il faut comprendre qu'il y a un prix, souvent très élevé, à vendre sa propriété à un acheteur-investisseur prêt à payer comptant, confessent les acheteurs-investisseurs qui ont répondu aux questions de La Presse. Reste que pour ces vendeurs, mieux vaut souvent «vendre à un acheteur rapidement que de remettre les clés à la banque», confie un investisseur qui préfère rester discret.

Or, ce n'est pas la meilleure option à considérer, oppose Ghislain Larochelle. «Moi, je dis à mes élèves qu'il vaut mieux trouver des solutions, en discutant avec le vendeur, afin que ce soit gagnant-gagnant», tient-il à préciser.

«On peut bien sûr aller cogner aux portes et faire une offre d'achat, mais on peut aussi offrir au vendeur une chance de conserver sa maison en lui permettant de la louer pendant deux ans, le temps qu'il reprenne le dessus financièrement et qu'il la rachète, dans le meilleur des scénarios.»

M. Larochelle croit même qu'un nombre grandissant d'acheteurs-investisseurs sérieux vont emprunter cette voie de secours, dans l'avenir. «On voit de plus en plus de dossiers se régler de cette façon, soumet-il. C'est dans cette direction qu'il faut aller, aider les gens en difficultés tout en permettant aux investisseurs d'y trouver leur compte, sur le plan financier.»

La méfiance des vendeurs

Les propriétaires aux prises avec des problèmes financiers divers (maladie, divorce, perte d'emploi, mort du conjoint) se posent de sérieuses questions quand on frappe à la porte pour leur proposer d'acheter leur maison ou leur immeuble.

Beaucoup se demandent même qui a bien pu leur fournir leur adresse, et pourquoi l'acheteur qui les sollicite sait qu'il n'a pas encore payé ses taxes foncières et scolaires...

«C'est certain que cela peut susciter de la méfiance chez les propriétaires [qui se font ainsi aborder]», reconnaît Olivier Lepage, 36 ans, de solutionscapital.ca. Il se défend d'abuser des vendeurs sur la paille. «Quand j'achète une maison en dernier recours, insiste-t-il, c'est souvent pour éviter une saisie par la banque.»

Et la patience des acheteurs

Le «spécialiste en solutions alternatives» n'est pas le seul à acheter des maisons au comptant et à payer le vendeur parfois moins d'une semaine après la signature d'une entente favorisant la vente.

L'investisseur William Johnson tient néanmoins à prendre ses distances de ces acheteurs trop gourmands.

«Je veux continuer à me regarder dans le miroir, dit-il. Je laisse tout le temps aux vendeurs mal pris de prendre leur décision. Mais quand il n'y a plus d'autre possibilité et que le vendeur insiste pour se départir de sa maison, je procède avec son consentement.»

Il se rappelle le triste cas d'un père de deux jeunes enfants qui lui a demandé d'acheter sa maison à tout prix. «Il ne l'habitait plus depuis le décès de sa femme. Il était incapable d'y remettre les pieds», évoque-t-il.

Illustration La Presse

Trouver la bonne affaire

«Le problème, ce n'est pas de trouver du financement, c'est plutôt de dénicher la bonne affaire!»

Yvan Cournoyer s'apprêtait à donner une formation de coaching en immobilier, à Québec, quand La Presse l'a joint sur son cellulaire.

«Après Québec, ce sera Victoriaville pour donner des formations sur les flips immobiliers», précise le président du Club d'investisseurs immobiliers du Québec.

Cela fait plus de 15 ans qu'il forme des acheteurs-investisseurs. Certains y parviennent, d'autres se découragent rapidement. «Tout se joue quand vient le moment de passer à l'action, résume-t-il. C'est souvent la peur de plonger qui va empêcher un investisseur immobilier de réussir une transaction.»

«Je vois des jeunes de 18 ans qui sont allumés, des gens âgés dans la soixantaine qui souhaitent faire carrière sur le tard dans l'achat de maisons ou d'immeubles, mais aussi des ingénieurs, des professionnels.»

Des acheteurs qui s'annoncent

Dans un tel contexte, le formateur d'expérience ne s'étonne pas de voir «de plus en plus d'investisseurs» se lancer en affaires en offrant leurs services sur le web, ou en posant des affiches à des endroits stratégiques.

«C'est un fait qu'on en voit plus qu'avant, des sites internet d'acheteurs de propriétés, constate-t-il. Je dirais même que ça pousse pas mal!»

«Ces sites, ajoute-t-il, permettent d'attirer l'attention de gens intéressés à vendre leur maison rapidement, pour éviter de la remettre à la banque, pour défaut de paiement, par exemple.»

À savoir si des questions d'éthique peuvent se poser lorsqu'un investisseur propose d'acheter la maison à un prix inférieur à sa véritable valeur marchande, Yvan Cournoyer - qui a lui-même son site internet, jachete.ca -, répond: «Personne ne force un vendeur à vendre, mais on peut deviner que ça ne se fera peut-être pas au prix qu'il souhaitait obtenir.»

Et qu'enseigne-t-il à ses élèves lors des formations? «Nous avons 40 techniques différentes, répond-il, sans plus de précision. Chacun y trouve son compte. Il y a le site Centris pour trouver des propriétés à vendre, il y a également le Registre foncier, les avis de 60 jours des banques [avant la saisie de la propriété].»

Sur son blogue, il y va de ses recommandations. Il parle de «financement créatif», de l'importance d'«aller sur le terrain» pour «trouver des immeubles en dessous de leur valeur». Le Club d'investisseurs immobiliers du Québec compte 23 000 membres.

Illustration La Presse

Quatre investisseurs, quatre approches...

Nous avons demandé à quelques acheteurs-investisseurs de décrire leur travail... et leur approche. Voici quelques exemples.

Patrick Béland

«Je passe une bonne partie de mon temps à chercher des maisons qui ont besoin d'amour. C'est avec cette approche que j'aborde mes clients. Souvent, la maison est dans un état de délabrement avancé et le vendeur a des problèmes financiers. On se fait demander de régler ça vite. Il m'arrive d'éplucher le Registre [foncier], c'est la méthode traditionnelle pour trouver des vendeurs. Une très forte majorité [d'investisseurs] font ça, aller cogner à la porte [pour proposer l'achat de la maison]. Mais moi, je ne fais pas ça, rentrer dans l'intimité des gens.»

Olivier Lepage

«Il faut être créatif pour gagner sa vie dans ce secteur de plus en plus compétitif. Il y a huit ans, j'étais le seul à avoir mon site internet, mais avec les années, le marché a grossi. Il est désormais occupé par de plus en plus d'investisseurs qui proposent d'acheter des propriétés. J'ai développé ma propre méthode de travail. Quand je roule en automobile et que je vois une maison délabrée, je m'informe pour savoir si le propriétaire a l'intention de vendre, s'il y a un potentiel d'achat. Je tente ainsi de tirer profit de situations particulières. Mais trouver une maison avec du potentiel, c'est tout un défi.»

Jonathan

«C'est sûr que j'offre moins au vendeur, mais il faut comprendre que ces gens-là ont envie de vendre rapidement, raconte Jonathan, qui refuse de dévoiler son nom de famille. Ce n'est pas comme s'ils prenaient un agent d'immeuble et qu'ils s'annonçaient sur Centris. Mon objectif, c'est d'acheter 20 % moins cher que la valeur marchande, et de revendre vite. Il y a des frais pour acheter une maison. Ça peut monter à 7 % pour le notaire, les taxes [municipales et scolaires], le coût de possession... Je ne suis pas d'accord avec ceux qui nous comparent à des cowboys de l'immobilier.»

Mathieu Turcotte

«Je ne suis pas un acheteur qui cherche à payer comptant. Je fais de la prospection en immobilier, surtout dans les marchés centraux de Montréal. Je recherche des immeubles qui n'ont pas leur pleine valeur, et qui ont besoin de rénovations. On sollicite les clients par téléphone, par des envois postaux. On consulte le rôle foncier, le Registre, on regarde s'il y a une hypothèque sur l'immeuble. C'est un travail exigeant et le taux de réussite, sur nos sollicitations, est inférieur à 1 %. J'espère doubler et même tripler mon portefeuille immobilier [avec l'aide de partenaires], mais le marché est haut. Il faut être sélectif.»

Illustration La Presse