On rêve tous secrètement de remettre les pieds dans notre premier appartement pour raviver des souvenirs. Anne Casabonne, Julie Snyder, Martin Perizzolo et Brigitte Lafleur ont eu cette chance. Ils ont aussi pu discuter avec les occupants de leur ancien logement.

Brigitte Lafleur: Parfait pour vivre en colocation

La comédienne Brigitte Lafleur a un pincement au coeur chaque fois qu'elle passe devant son premier appartement, car les lieux lui rappellent de bons souvenirs. Sarah Mathurin, l'une des trois locataires actuelles, lui a ouvert la porte du logement. «Si tu passes devant l'appartement et que tu as encore un pincement, tu peux toujours venir nous visiter», lui a dit Sarah lors de leur rencontre. «Je viendrai vous faire de petits coucous!», a promis Brigitte.

Peinture

Brigitte se rappelle très bien l'appartement qu'elle a habité entre 1997 et 1999, pendant ses études au Conservatoire d'art dramatique. Les lieux ont à peine changé, à l'exception de la peinture sur les murs. «C'était la mode de mettre des couleurs vives partout. Sous la moulure qui sépare le haut et le bas des murs du salon, on avait mis du rouge. J'avais aussi peinturé ma chambre en brun. Un jaune brun. C'était vraiment laitte», se remémore Brigitte.

Quand Sarah Mathurin et ses deux colocataires ont emménagé dans le logement, les couleurs étaient beaucoup plus sobres. Mais l'appartement avait quand même besoin d'un coup de pinceau. La tâche s'est avérée plus complexe que prévu puisque les trois amies ont dû sabler le couloir pour enlever la peinture qui s'écaillait. «Les murs étaient blancs, mais d'un blanc sale. C'était le genre de blanc qui te laisse deviner que ça fait longtemps que les murs n'ont pas été lavés ou peinturés», explique l'étudiante à l'UQAM.

Chambre

Brigitte avait trouvé l'appartement en parcourant les petites annonces. Elle a donc eu le privilège de choisir la plus grande des trois chambres à coucher. Vingt ans plus tard, Sarah Mathurin a déniché l'appartement grâce à Facebook, mais elle a renoncé à la pièce la plus spacieuse. «Je ne voulais pas cette chambre parce qu'elle était trop grande. Je n'avais pas assez de meubles pour la remplir.»

Par ailleurs, les fenêtres de l'une des trois chambres donnent sur le mur de briques de l'immeuble voisin. C'est toujours la dernière locataire arrivée qui doit prendre cette chambre, explique Sarah.

«Nous, c'était toujours le gars qui l'avait», renchérit Brigitte.

Loyer

À la fin des années 90, l'appartement coûtait 450 $ par mois aux trois locataires. Aujourd'hui, il coûte le même prix ou presque... par locataire. Le loyer s'élève à 1290 $.

«Je connais nos voisins et leur appartement coûte plus cher, car il y a eu des rénovations, raconte Sarah. Leur salle de bains est flambant neuve. Nous, on a encore une baignoire sur pattes.»

Brigitte réplique: «Je me souviens qu'à 22 ans, on trouvait ça extraordinaire d'avoir un bain sur pattes. On était tellement contents.»

«Nous aussi, on capotait quand on a visité l'appartement», dit Sarah.

Colocation

L'appartement est particulièrement bien divisé pour vivre en colocation, affirment Brigitte Lafleur et Sarah Mathurin. Les chambres se trouvent l'une après l'autre le long du couloir, puis le salon et la cuisine sont au fond de l'appartement. Une porte peut également être fermée pour séparer les pièces communes des chambres à coucher.

«J'avais une coloc qui fumait du pot et elle avait tout le temps des trips de bouffe, raconte Brigitte. On entrait dans la cuisine et c'était l'apocalypse. Ses croustades aux pommes, je n'étais plus capable! C'est sûr qu'il y avait des conflits de temps en temps, mais on passait toujours par-dessus.»

Façade

Quand Brigitte passe devant son ancien appartement, elle trouve toujours la façade aussi jolie, surtout avec les arches aux balcons.

«Nous aussi, on a eu un coup de coeur pour la façade. On avait vu quelques photos sur Facebook, mais quand on est arrivées devant l'immeuble, on a été séduites. En plus, à l'arrière, on a un petit balcon où l'on peut mettre notre barbecue. L'été, on regarde les feux d'artifice de La Ronde. On les voit tous, et c'est super beau. Et on a une vue sur le pont illuminé. C'est vraiment un bel appartement», conclut Sarah.

Julie Snyder: «Je suis un vice caché!»

Julie Snyder a loué son premier appartement à Paris. Comme c'est de l'autre côté de l'océan, elle nous a offert de visiter la maison où elle a passé les 21 premières années de sa vie, à Boucherville, sur la Rive-Sud. Danielle *, la propriétaire actuelle, nous a ouvert la porte avec générosité.

La maison

Quand Danielle a acheté sa maison, elle ignorait que Julie Snyder y avait habité pendant toute son enfance et son adolescence. «C'est par les voisins que je l'ai appris. Par la suite, j'ai reparlé au propriétaire qui possédait la maison avant moi et il me l'a confirmé. Il m'a dit: "Tu vas voir. Elle va vouloir venir visiter"», raconte Danielle.

«Je suis un vice caché! répond Julie en riant. Je viens visiter la maison de temps à autre!»

La famille Snyder a habité la maison du quartier résidentiel de Boucherville entre 1967 et 1988. Le propriétaire suivant y a apporté de nombreux changements. Il a agrandi la maison en avant et en arrière. Il a aussi converti l'abri d'autos en deux pièces: l'une est actuellement occupée par une chambre à coucher, l'autre par une salle à manger.

«Ma mère disait tout le temps que si elle avait eu de l'argent, elle aurait fait une pièce avec le carport, dit Julie. Elle aurait voulu y faire une salle à manger.»

En achetant la maison en 2004, Danielle a également effectué des travaux. C'est lors de ces rénovations que l'ancienne chambre de Julie est devenue... une spacieuse salle de bains!

L'armoire à balais

Quand Julie arrive devant une petite pièce qui sert de rangement, elle s'exclame: «Tu vois cette armoire à balais? C'était notre seule salle de bains. Juste ça!»

Danielle précise: «À l'époque, le bain se trouvait à la place des armoires du fond.»

La glissoire et la piscine

«C'est moi qui ai payé pour la glissoire qui est là! Je devais avoir 10 ans. On avait fait une vente avec mes jouets. Comme les ventes de garage n'étaient pas très populaires à l'époque, ma mère [une technicienne en laboratoire] avait apporté mes jouets à son travail et elle les avait vendus à ses 75 collègues. Avec les sous, j'avais pu acheter la glissoire. Je me rappelle, elle avait coûté 330 $.»

«La glissoire, elle sert encore, affirme Danielle. Moi, je me baigne beaucoup et mes enfants viennent avec leurs enfants et leurs amis. Elle est très populaire, la glissoire. Quand on a acheté la maison, les jets ne fonctionnaient plus. J'ai réussi à arranger quelque chose avec mes boyaux d'arrosage et maintenant, il y a un jet en haut et un jet en bas.»

Le sous-sol

«À l'époque, on avait des stalactites en stucco au plafond. C'était la mode dans les années 70, mais les nôtres, ils avaient sérieusement six pouces de longueur», raconte Julie.

Le voisinage

À l'époque de la famille Snyder, la haie de cèdres était taillée de façon à ce que la maman de Julie puisse boire son café en discutant avec Lucille, la voisine d'à côté. Aussi, une porte était installée derrière la glissoire pour que Julie puisse traverser chez ses amis sans devoir marcher tout un pâté de maisons.

Aujourd'hui, les cèdres sont majestueux: ils sont impeccablement taillés et font plus de quatre mètres de hauteur. La petite porte existe toujours, mais elle est cachée par la haie.

Lorsqu'on discute des voisins, Julie devient nostalgique. Si on ne l'avait pas retenue, elle serait sans doute allée chercher Lucille et Yvon qui habitent toujours dans la résidence voisine.

«Est-ce que M. et Mme Julien vivent encore à côté?», demande aussi Julie.

«M. Julien est décédé et Mme Julien vit en résidence. Ce sont leurs petits-enfants qui ont racheté la maison et qui y vivent. C'est donc la troisième génération de Julien qui habite la maison», raconte Danielle.

Salle de jeu

Avec le temps, c'est le sous-sol de la maison qui a le moins changé. La pièce principale est occupée par un petit salon et un foyer en pierre construit à l'époque de la famille Snyder. L'autre pièce, avec des murs vert et turquoise, fait office de salle de jeu pour la petite-fille de Danielle.

Quand Julie était petite, la pièce lui servait aussi de salle de jeu. Puis, quand elle a grandi, elle a été convertie en salle d'études, puis en bureau de travail.

«En entrevue, j'ai souvent dit qu'heureusement que je vivais chez ma mère quand j'ai commencé à faire de la télévision parce que les premières années, tu crèves de faim. J'étais payée environ 150 $ par reportage. Quand j'étais jeune, il y avait deux styles de pensées. Il y avait ceux qui faisaient trois reportages par semaine pour faire 450 $, mais moi, je préférais en faire un seul. Celui que je faisais, il était fait au quart de tour. Je m'arrangeais pour qu'il soit impeccable.»

C'est dans sa petite salle de travail que Julie a planché sur ses premiers reportages télé. Une grande carrière est donc née dans un petit bungalow de Boucherville.

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* Pour des raisons personnelles, Danielle a préféré ne pas divulguer son nom complet. C'est sa fille Marie-Claude Nault qui apparaît sur les photos.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

L'ancienne chambre de Julie a quelque peu changé. C'est maintenant une salle de bains! Marie-Claude Nault, la fille de la propriétaire actuelle, a aussi habité la résidence avant de déménager dans sa propre maison.

Martin Perizzolo: Si les murs avaient des oreilles...

À leur sortie de l'École nationale de l'humour, les humoristes Martin Perizzolo, Martin Matte et Daniel Grenier ont partagé un appartement du Plateau-Mont-Royal. Vingt ans plus tard, ce sont trois Françaises qui y cohabitent. Élodie Grelet, l'une des locataires, a accueilli Martin Perizzolo pour qu'il revisite le logement qui en a assurément entendu des vertes et des pas mûres.

Martin Perizzolo: J'ai habité ici un an, en 1995, après mes études. On était trois gars. Je pense qu'on payait chacun 300 $, donc 900 $ au total.

Élodie Grelet: Je vis ici depuis que je suis arrivée de France, il y a quatre ans. On est encore trois, mais trois filles. C'est très cliché: trois Françaises sur le Plateau! Le loyer coûte 1500 $ par mois. Ce n'est pas si mal pour l'emplacement. Cet appartement est passé de mains en mains grâce à des personnes qui se connaissaient. Le propriétaire n'a donc jamais haussé le loyer drastiquement. C'est sûr que si on casse le bail, il va l'augmenter de manière plus importante.

MP: Je vois qu'ici, il y a une chambre. C'était notre salon à l'époque.

ÉG: Ça, c'est ma chambre.

MP: Moi, ma chambre, elle avait deux garde-robes en coin. Je trouvais ça capoté et je n'avais même pas assez de vêtements pour les remplir. La chambre de Martin Matte, c'était votre salon. Je me rappelle que c'était vraiment beau avec les boiseries.

ÉG: On les a toutes repeintes en blanc pour illuminer la pièce.

MP: Le bois? Le bois donnait une atmosphère, mais j'avoue que c'est beau comme ça. C'est Martin qui avait trouvé l'appartement et c'est lui qui avait eu le premier choix de chambre. Il avait choisi la pièce avec le bois sur les murs et il mettait ses bouteilles de bière sur le petit rebord. Avec du recul, elle était grande, sa chambre!

MP: Le propriétaire, il était d'accord que vous peinturiez les murs de bois?

ÉG: Oui!

MP: J'ai une anecdote qui me revient en tête. J'avais des pantoufles en cuir et quand je les portais dans l'appartement, je donnais des décharges électriques aux gens que je touchais. Daniel Grenier avait aussi des pantoufles qui produisaient le même effet, mais pas autant que les miennes. Les miennes étaient redoutables. Les gars en avaient peur. Quand ils m'écoeuraient, je les enfilais et les gars capotaient. Ils se sauvaient.

ÉG: C'est la même chose aujourd'hui. Aussitôt qu'on touche quelque chose, on produit une petite décharge. En fait, on n'a même pas besoin de pantoufles pour que ça arrive!

MP: Cet appart, c'est beaucoup de souvenirs. Je me rappelle qu'on se réunissait dans le salon et souvent, quelqu'un se levait pour prendre le crachoir. On disait des niaiseries et tout le monde riait. Les étudiants de notre cohorte se retrouvaient souvent dans notre salon. Vraiment, il y a des numéros d'anthologie qui se sont faits dans ta chambre, Élodie!

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Martin Perizzolo a habité un appartement du Plateau-Mont-Royal, avec deux colocataires, en 1995. Aujourd'hui, c'est Élodie Grelet qui partage les lieux avec deux amies.

Anne Casabonne: Histoires de peur dans le Quartier latin

À 30 ans d'intervalle, le mur de pierres d'un appartement du Quartier latin a séduit Anne Casabonne et Noor El Bawab. La première a habité le logement en 1987 tandis que la seconde y vit depuis deux ans. Discussion entre l'actrice et l'immigrée brésilienne.

Anne Casabonne: J'ai eu cet appartement en 1987, pendant un an, pendant mes études en théâtre à l'UQAM.

Noor El Bawab: Moi, ça fait deux ans que je vis ici. Je ne suis pas si souvent à l'appartement parce que je passe beaucoup de temps à mon travail. Je suis directrice générale dans un centre d'innovation, à l'Université Concordia. Quand je reviens chez moi, c'est pour relaxer. Ce que j'aime du logement et de la cour, c'est qu'on n'a pas l'impression d'être en ville. Pourtant, c'est en plein coeur de l'action.

AC: C'est vrai que c'est une belle cour. Oh, le propriétaire a fait des changements! À mon époque, il n'y avait pas de balcon. C'était des pierres partout et il y avait du muguet qui poussait partout entre les roches. C'était rustique-sauvage.

NEB : J'avoue que j'aimerais que quelqu'un réaménage la cour. Quand j'ai visité l'appartement, je me disais que je planterais plein de trucs, mais il y a peu de lumière et je n'arrive pas à faire pousser des plantes. En plus, il y a des écureuils qui détruisent tout.

AC: Donc, tu ne vas pas dehors?

NEB: Si, si, je suis souvent dehors, mais j'aimerais bien embellir l'espace.

AC: Je remarque aussi que tu n'as pas de télévision. Tu regardes la télé par internet?

NEB: Oui, je prends mon ordinateur portable et des fois, je tourne mon écran d'ordinateur de bureau vers mon divan.

AC: Je ne me souviens plus où j'avais mis ma télévision, mais peu de temps après avoir emménagé, on me l'a volée. Je n'en ai jamais racheté parce que je n'avais pas le temps de la regarder. Je m'étais fait voler ma télé noir et blanc, mon grille-pain et mon coat de cuir. Ça m'avait pris trois ans pour mettre des sous de côté pour m'acheter ce manteau. Voler un grille-pain... La personne devait vraiment en avoir besoin!

NEB: Moi, j'ai déménagé ici parce que je m'étais fait voler dans mon ancien appartement, à Verdun. J'étais traumatisée par le vol.

AC: Ah non! Je te fais des peurs! En parlant de peurs, j'en ai eu une grosse dans cet appartement. Je revenais d'une répétition de théâtre et j'ai vu un homme qui sortait du bar Saint-Sulpice; il s'était fait poignarder. À l'époque, j'hébergeais deux amies du Saguenay. Je leur ai raconté ce que j'avais vu et on s'est couchées sur mon lit. Vers minuit, quelqu'un a cogné dans la fenêtre, mais on ne voyait rien. Une de mes amies s'est réfugiée dans le garde-robe et l'autre, une karatéka, était prête à passer à l'attaque. Moi, j'étais entre les deux, mais je suis allée chercher un couteau à patates pour nous protéger.

Après, on a entendu un «bedoum» venant de l'appartement d'en haut, au rez-de-chaussée. On a appelé la police et quand elle est arrivée, on a vu des traces de pas dans la neige près de ma fenêtre. Mais on a oublié de leur dire qu'on avait entendu un bruit venant de l'intérieur. Quand les policiers sont partis en nous disant qu'ils allaient patrouiller dans la ruelle, on est entrées dans l'appartement, mais quelqu'un s'est mis à retenir notre porte. Une MAIN retenait notre porte. Mon amie super confiante s'est mise à avoir peur. Elle a donné des coups de porte sur la main. Le gars s'est finalement mis à crier: «C'est le voisin, câlisse!»

Le «bedoum» qu'on avait entendu, c'était le voisin qui était tombé de son lit. Il voulait savoir pourquoi les policiers étaient venus à notre appartement. Et les coups dans la fenêtre, c'était seulement une de mes amies de Sainte-Julie.

C'était rien que ça. On en avait fait un drame monumental.

NEB: Je trouve que ça s'est bien calmé par rapport à l'époque. Je n'ai aucune histoire similaire qui m'est arrivée, mais j'aurais presque aimé ça. Ça m'aurait fait de bonnes anecdotes à raconter!

Photo Olivier Jean, La Presse

Anne Casabonne a loué son premier appartement en 1987. La même année, Noor El Bawab est née au Brésil.