Ils font carrière dans les Forces armées canadiennes et sont donc souvent appelés à changer de base ou à se rendre en mission à l'étranger. Voici des militaires qui ont appris à ne pas trop s'attacher à leur maison, ce qui change la donne dans les marchés bordant les installations de la Défense nationale.

Des propriétaires sans attaches

Quand il s'est enrôlé, Roger Chabot, 56 ans, s'attendait à «changer de base» tous les trois ou quatre ans, mais pas au point d'être transféré 16 fois et de devoir acheter 6 maisons sur une période de 17 ans!

«C'est stressant, déménager constamment, concède le militaire natif de Beloeil, nouvellement retraité. Ça touche toute la famille. Il faut s'adapter à son nouvel environnement.»

Il vient tout juste de vendre sa maison de Saint-Jean-sur-Richelieu, qu'il n'aura habitée que pendant deux ans, pour en acquérir une autre à Gatineau, en Outaouais.

«J'ai suivi ma femme, elle aussi militaire, qui a été mutée à Ottawa», dit-il en riant. Il aimerait, cette fois, passer «au moins cinq ans» dans sa nouvelle maison, pour trouver un peu de stabilité.

«Mais quand on est dans les Forces armées, les besoins du service passent en premier lieu», concède le père de jumeaux âgés de 8 ans. Au cours de sa carrière dans l'infanterie, au sein du Royal 22e Régiment, il a été déployé à Chypre, en Somalie, en Yougoslavie et au Kosovo.

La bonne stratégie

Sur le plan immobilier, Roger Chabot estime avoir acquis une certaine expertise du marché, par la force des choses. «Je peux dire que je sais ce dont je parle!», lance-t-il avec humour.

«J'ai compris, dès le départ, qu'il fallait avoir une bonne stratégie, explique-t-il. J'ai toujours acheté au bon endroit, au bon prix, partout où je suis passé, que ce soit en Ontario, au Québec ou en Nouvelle-Écosse.»

«Chaque fois, j'avais mon plan. Il fallait que la maison soit assez récente, près des services et des grands axes routiers. De cette façon, quand il fallait que je mette la maison en vente, je savais qu'il y aurait un plus grand potentiel d'acheteurs.»

Une seule fois, il a commis l'erreur d'acheter sa nouvelle maison sans avoir vendu celle qu'il occupait, au moment d'être muté à une autre base. Sa maison était située à Greenwood, en Nouvelle-Écosse, et il venait d'acheter à Saint-Jean-sur-Richelieu.

«J'ai vécu un certain stress, convient-il, mais j'ai réussi à trouver un acquéreur avec une très légère perte financière. Ce n'est pas une bonne idée d'avoir deux hypothèques, peu importe qu'on soit civil ou militaire.»

Dans les «shacks» de Valcartier

La réalité du lieutenant Steve Comeau, 40 ans, est tout autre. Le militaire espère bientôt acheter sa première maison, probablement à Ottawa. Il fait carrière dans les Forces armées depuis 17 ans.

«Ma conjointe et moi, on a pris la décision de louer, jusqu'à présent, mais nous disposons maintenant d'économies qui vont nous permettre d'acheter, le temps venu», explique le père de deux garçons âgés de 8 et 10 ans.

Il vient d'être muté à la base de Longue-Pointe, dans l'est de Montréal, à titre d'officier des relations publiques. Il s'est fait, lui aussi, à cette vie instable où il faut s'adapter régulièrement à un nouveau mode de vie, dans une nouvelle ville, sur une nouvelle base militaire.

Quoi qu'il en soit, Steve Comeau a déjà une longue expérience sur le plan «immobilier». À ses débuts, alors qu'il était célibataire, il a dormi dans les «shacks», les logements mis à la disposition des militaires célibataires à la base de Valcartier. Puis il s'est retrouvé à Moose Jaw, en Saskatchewan, avec femme et enfants, dans le quartier pour familles militaires. Il a plus tard pris la direction de Trenton, en Ontario, avant d'être muté, l'été dernier, à Longue-Pointe. Il loue un logement dans un triplex à Montréal.

Rien n'est encore certain, mais il s'attend à déménager encore une fois, à Ottawa, pour donner un nouvel élan à sa carrière dans les affaires publiques. Il vante, au passage, la «qualité de l'accompagnement» lors des mutations. «On est bien encadrés, et ça facilite les choses, soulève-t-il. Parce qu'il faut comprendre que ça reste stressant, un transfert et un déménagement.»

C'est également exigeant pour les partenaires de vie, qui doivent aussi s'ajuster. «Je suis chanceux d'avoir une conjointe qui a toujours été là pour faciliter les déménagements et l'adaptation à une nouvelle ville, insiste-t-il. J'ai une belle famille, et quand on est militaire et qu'on bouge constamment, c'est le trésor le plus précieux qu'on puisse avoir.»

PHOTO MARTIN ROY, LE DROIT

Roger Chabot avec ses jumeaux Samuel et William. Le militaire à la retraite vient de poser ses valises à Gatineau.

Transactions à haut risque

Les militaires doivent faire preuve d'une extrême prudence lorsqu'ils achètent une propriété, pour éviter de se retrouver avec une maison difficile à revendre au moment où les Forces armées leur demanderont d'aller servir ailleurs.

«Dans notre région [au Saguenay-Lac-Saint-Jean], on en a vu, des militaires qui ont "perdu" leur maison parce qu'ils ont été incapables de la vendre», déplore Manon Vaillancourt, courtière immobilière chez Royal LePage.

Cela s'explique, en grande partie, par les délais de vente qui se sont allongés au cours des deux dernières années. «Ça prend plus d'un an, et même davantage, pour vendre une propriété, soumet-elle. On peut imaginer la pression exercée sur un militaire qui a déjà acheté sa maison, sur la base où il a été transféré, et qui espère qu'un acheteur va se pointer pour faire une offre sur la maison qu'il n'habite plus depuis un bon moment.»

La responsabilité du militaire

Parce qu'il faut comprendre que l'achat ou la vente d'une maison, lors d'une mutation, c'est la responsabilité du militaire. «Bien des gens s'imaginent que les militaires sont des enfants gâtés qui n'ont pas à s'occuper de ces choses-là. Ce n'est pas le cas!», corrige le courtier immobilier Denis Depelteau, chez Remax Haut-Richelieu.

Il connaît la réalité des militaires. Cela fait plus de 25 ans qu'il se spécialise dans ce «marché». Il a même son kiosque à la base de Saint-Jean-sur-Richelieu avec sa collègue Diane Marshall.

«Très souvent, a-t-il constaté, les militaires transférés au Québec n'ont aucune idée du quartier et même de la ville où ils vont habiter. Ils arrivent parfois de l'Alberta, du Nouveau-Brunswick, de la Saskatchewan, de l'Ontario, et le premier contact qu'ils ont avec le marché, c'est le courtier qui leur fait visiter des maisons.»

Il concède, toutefois, que les militaires n'ont pas à assumer les frais de courtage immobilier lors de la vente, ni à payer le notaire et les droits de mutation immobilière à l'achat. Cela vaut aussi pour les frais de déménagement des biens meubles.

«C'est toujours un stress de changer de ville, de province, de déraciner la famille. J'en vois beaucoup, des militaires qui arrivent à Saint-Jean-sur-Richelieu avec femme et enfants, qui doivent s'habituer à leur nouvelle vie. C'est toujours à recommencer», explique Denis Depelteau.

Des secteurs moins actifs

Mais voilà: la réalité «immobilière» diffère d'une région à une autre, et les militaires doivent en tenir compte lorsqu'ils font l'acquisition d'une maison.

Dans les marchés de Montréal (Longue-Pointe) et de Saint-Jean-sur-Richelieu, où l'activité immobilière est soutenue, les inquiétudes des acheteurs et des vendeurs sont moins grandes que dans les marchés plus lents, comme c'est le cas à Bagotville, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, et à Valcartier, près de Québec, observent pour leur part les courtiers Manon Vaillancourt et Jean-Pierre Gamache, tous deux chez Royal LePage.

«Ce n'est pas dans l'immobilier qu'un militaire souvent transféré peut espérer faire des profits à la revente, expose le courtier Gamache, qui conseille les militaires de Valcartier. C'est encore plus difficile avec un marché d'acheteurs. Il y en a qui perdent de l'argent pour pouvoir vendre.»

Un besoin d'accompagnement

D'où l'importance, lors d'une mutation ou d'une situation exceptionnelle, «d'adapter les hypothèques», soulève, de son côté, Patrice Bergeron, directeur général de la Caisse Desjardins des militaires.

«Les militaires ont des besoins précis d'accompagnement parce qu'ils sont appelés à déménager fréquemment, fait-il valoir. Il est important, dans un tel contexte, d'avoir une connaissance fine de leur réalité. C'est du cas par cas.»

«Bien sûr qu'on leur consent des prêts hypothécaires, ajoute le directeur général qui accompagne les militaires depuis 25 ans. Mais il faut aller bien au-delà des simples questions financières.»

Il ne cache pas que ses clients sont parfois aux prises avec un stress post-traumatique, après avoir combattu en Afghanistan, et qu'il faut prendre le temps de les écouter.

«Certains n'arrivent pas à vendre leur maison, d'autres ont fait faillite, et cela s'ajoute à leurs problèmes personnels. Je m'efforce de trouver des solutions quand c'est possible», conclut-il.

Photo Jeannot Lévesque, archives Le Quotidien

La base de Bagotville

Une semaine pour trouver la maison!

Tout se passe très rapidement. Souvent en moins de sept jours. C'est tout le temps dont disposent les militaires pour visiter des maisons, faire une offre d'achat et régler le financement hypothécaire. Trois courtiers spécialisés dans ce marché nous racontent comment ça se passe sur le terrain.

Denis Depelteau, courtier Remax du Haut-Richelieu

«Quand ils arrivent à Saint-Jean-sur-Richelieu, les militaires n'ont pas de temps à perdre, et moi non plus! Je les fais monter dans mon auto, et on visite jusqu'à 30 propriétés en l'espace de trois ou quatre jours. Je passe la journée avec eux, et ils apprécient d'être ainsi accompagnés. Parce que, très souvent, ils n'ont aucune idée de l'endroit où ils se trouvent. Ils arrivent parfois de l'étranger, ou d'une base militaire ailleurs au Canada. Je leur explique la réalité du marché et je les guide dans les démarches. Quand ils repartent chez eux, ils ont acheté la maison et il ne reste plus qu'à régler le financement hypothécaire.»

Manon Vaillancourt, courtière Royal Lepage, Saguenay

«C'est un marché important pour les courtiers de la région, les militaires basés à Bagotville qui achètent ou qui vendent leur maison. On a deux grosses bourrées par année, en février-mars et en mai-juin. Les plus jeunes vont acheter des maisons à 175 000 $ et moins, et ceux qui ont plus d'expérience [les pilotes, les mécanos et les militaires de haut rang] trouvent souvent des maisons à plus de 300 000 $. Ce qu'il y a de bien avec cette clientèle, c'est qu'on sait que les militaires viennent dans la région pour acheter. Ça se passe vite!»

Jean-Pierre Gamache, courtier Royal Lepage, Valcartier

«C'est intense, quand un militaire nous arrive avec l'intention de trouver une propriété! On sait qu'il doit repartir avec une adresse, une maison qui fait son affaire, et à son prix. Avant d'arriver ici, le militaire fait ses recherches sur l'internet, et ensemble on fait une sélection de 10 à 20 maisons qu'on va visiter au cours d'une seule journée! À la fin, on ramène ça à trois ou quatre maisons et c'est alors qu'arrive l'offre d'achat. Mais il n'y a pas que des acheteurs dans ce marché; il y a aussi des militaires qui mettent leur maison en vente et qui doivent réduire leur prix, parce que le marché tourne au ralenti près de la base de Valcartier [Shannon, Pont-Rouge, Val-Bélair].»

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Le collège militaire royal de Saint-Jean.