Scolarisées et indépendantes, les femmes célibataires n'attendent plus comme autrefois de trouver l'amour pour devenir propriétaires. Elles achètent des maisons à leur image, à proximité de leurs amis, des petits commerces et des bons restaurants. Portrait d'une révolution tranquille.

À sa séparation, Lucie Francoeur n'a jamais hésité. Il était hors de question pour elle de louer un appartement. Surtout pas avec trois enfants. «Aussi bien jeter mon argent par la fenêtre», dit cette enseignante de 42 ans. Elle a donc acheté sa propre maison à Saint-Jérôme, dans le quartier où elle habitait avec son ex-conjoint.

Elles sont nombreuses, comme Mme Francoeur, à choisir d'être propriétaires plutôt que locataires. De fait, les femmes célibataires sont plus nombreuses à acheter une maison que les hommes dans la même situation. Selon des chiffres compilés par Statistique Canada en 2011, 51 % des femmes vivant seules étaient propriétaires de leur maison, comparativement à 48 % des hommes seuls.

La tendance n'est pas près de s'inverser. Si l'on en juge par un rapport de la banque RBC publié l'an dernier, plus de femmes que d'hommes envisagent d'acheter une première maison d'ici à la fin de 2017. Les chiffres: 54 % pour les femmes, 46 % pour les hommes.

Prével, important constructeur de condos à Montréal, a senti l'arrivée de cette clientèle depuis longtemps.

«Avant les années 2000, il n'y avait pas autant de femmes seules qui achetaient leur maison. Aujourd'hui, environ 20 % des acheteurs chez nous sont des femmes célibataires», analyse Laurence Vincent, vice-présidente du marketing.

Scolarité et indépendance

Ces chiffres ne surprennent pas Unsal Ozdilek, directeur du programme en immobilier de l'UQAM. «Il est reconnu que le pourcentage de propriétaires chez les femmes seules augmente de manière progressive. Il y avait par le passé un écart historique qu'elles sont en train de combler.»

Cette indépendance s'explique, selon M. Ozdilek, par la hausse du niveau de scolarité des femmes depuis deux ou trois générations. «Elles obtiennent des emplois de meilleure qualité et, en conséquence, de meilleurs revenus. De plus, elles ont généralement aussi un meilleur crédit [que les hommes]. Elles sont plus qualifiées auprès des institutions financières.»

La hausse des divorces depuis 20 ans contribue aussi au phénomène, signale M. Ozdilek. «Dans ces situations, avec la diminution du nombre d'enfants et grâce à la solidarité féminine, les femmes peuvent davantage acheter une propriété, car elles ont moins de charges sur les épaules [qu'à l'époque de leur mère ou leur grand-mère].»

De plus, les femmes ont une préférence pour garder la maison quand survient une séparation, ajoute-t-il. «Elles ont une préférence sur l'habitat plus prononcé que l'homme. Les hommes seuls ont tendance à moins rester propriétaires.»

Le foyer familial

Garder la maison, c'est le choix qu'a fait Mélanie Ouellette à sa séparation. Elle a racheté la part de son ex-conjoint qui a plutôt choisi de louer un appartement. «C'était mieux pour les enfants. Ici, ils ont chacun leur chambre, il y a du terrain et le quartier est tranquille. J'ai une paix d'esprit.»

Pina Scicchitano, courtière immobilière depuis 10 ans sur la Rive-Sud, a constaté ces mêmes réflexes chez sa clientèle.

«Les femmes séparées ont tendance à acheter rapidement un condo quand survient un divorce. Elles ressentent un plus grand besoin de stabilité. Elles ont besoin rapidement d'un endroit qu'elles considéreront comme un foyer familial et où elles pourront vivre avec leurs enfants, si elles en ont.»

«Les hommes n'auront pas de scrupules à louer un appartement, même s'ils ont souvent l'argent pour acheter une unifamiliale. Ils veulent prendre le temps, au moins deux ans, pour s'interroger sur la nouvelle direction qu'ils souhaitent prendre.»

Yves Doyle, courtier depuis 19 ans dans Rosemont, et l'est de Montréal, va plus loin: «Les filles économisent. Elles ont l'argent. Les gars, eux, ont le char et l'écran plat.»

Besoin des femmes

Les célibataires n'achètent pas seulement pour se mettre un toit sur la tête. Elles prennent aussi leur place sur le marché immobilier pour brasser des affaires. 

«De plus en plus de femmes achètent des maisons et des condos pour faire des investissements. Je connais des femmes seules qui ont acheté deux ou même trois condos dans la même année parce qu'elles savaient flairer les bonnes affaires», affirme Roseline Guevremont, courtière immobilière à Outremont et au centre-ville.

Chose certaine, cette «féminisation de l'immobilier», comme l'appelle M. Ozdilek, force les promoteurs à offrir des produits immobiliers qui correspondent aux besoins de cette clientèle «désireuse de sécurité, de confort, de proximité et avec moins de charges d'entretien».

C'est justement ce que cherche Johanne Vigneault, retraitée de l'administration publique. «Je cherche une maison dans un quartier sympathique, avec des cafés et des commerces à proximité. Je veux m'y sentir en sécurité. Je ne veux pas devoir faire de rénos ni de gros travaux d'entretien. J'ai habité dans le Plateau pendant 25 ans. J'ai déjà donné.»

À ce chapitre, le condo correspond souvent aux besoins des femmes seules. «Le condo est prisé par les femmes de carrière, souvent célibataires, parce que c'est plus pratique pour elles qu'une grande maison avec une cour à entretenir seule. Cela leur permet aussi de bâtir leur capital», explique Rémi Couture, conseiller en analyse de marché au Fonds immobilier FTQ. 

Cette formule a séduit Marie St-Vincent, retraitée d'un institut de recherche montréalais. Après la mort de son mari, elle trouvait que son appartement à Outremont ne convenait plus à son quotidien de nouvelle sexagénaire seule, active et à l'approche de la retraite. Elle a donc acheté un condo de 1000 pi2 à Griffintown, modifié à ses souhaits, avec vue sur le fleuve Saint-Laurent. 

«J'ai acheté ici pour l'énergie du quartier. Je peux me rendre à pied au canal de Lachine, au marché Atwater ou au centre-ville. Je ne profitais plus de mes étés à mon vieil appartement d'Outremont. Depuis que je vis ici, j'ai l'impression d'être en vacances.»

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Marie St-Vincent a a acheté un condo de 1000 pi2 à Griffintown, modifié à ses souhaits, avec vue sur le fleuve Saint-Laurent.