Article publié le 15 décembre 2003Le samedi matin, Johanne, Paul, Marc et Nathalie n'ont qu'une envie. Dévorer les petites annonces de l'immobilier et celles des cahiers d'habitation. Leur sortie du week-end? Les voilà déjà partis en direction des nouveaux projets résidentiels. Demain? Ils visiteront des maisons témoins ou se rendront à des visites libres. Les soirs de semaine, ils naviguent sur les sites Internet des agences immobilières et du Service inter-agences (sia.ca).

Dans certains cas, cette passion devient jubilation. À preuve, Johanne Gobeil, la jeune quarantaine et mère d'un poupon de 18 mois, a déménagé 17 fois en 22 ans. Elle déménage comme d'autres voyagent. «J'aime découvrir de nouveaux quartiers, d'autres manières de vivre.» Elle s'est même déjà offert une journée de rêve immobilière: six visites de maisons en une journée, dont un appartement terrasse de 1 million. «Je me sentais comme un enfant à Walt Disney!»

Avec l'expérience, Johanne est devenue une redoutable spécialiste du déménagement. «Tout se fait en deux jours et le vendredi, c'est soirée resto. Reste à accueillir les déménageurs, le samedi.»

Paul Roux - 20 déménagements en 25 ans à Québec, et quatre à Montréal - n'a décidément pas peur du changement. L'idée du nouveau départ le séduit. Il aime se projeter dans un nouvel environnement. C'est une occasion de repartir à neuf, ajoute-t-il.

Cet aventurier de l'immobilier a néanmoins fait une pause de 11 ans sur le Plateau avant d'aller tester la vie dans le Vieux. Le déménagement n'est-il pas une tâche traumatisante? «La vie change et il faut s'adapter, je me sens nomade», dit-il. Et ce n'est pas parce qu'il vient d'emménager que monsieur perd ses vieilles habitudes. «Je suis un éternel insatisfait», confesse celui qui, ô surprise, ne s'est jamais aussi bien senti que dans son nouvel appartement. Ce qui ne l'empêchera pas de continuer à visiter les bureaux de vente.

Pourquoi déménager?Ceux qui déménagent par goût et par passion constituent, bien sûr, une minorité. La plupart le font par nécessité. D'autres, par manque d'espace. Sans compter les personnes à faibles revenus qui peuvent vivre cette expérience avec anxiété.

«Avoir un chez-soi et s'y enraciner demeure une valeur très importante, rappelle Perla Serfaty-Garzon, sociologue et docteure en psychologie. L'adresse exprime le fait d'avoir une place dans la société. Et quand on achète une maison, on a encore davantage l'impression d'être maître chez soi, ajoute l'auteure dont le prochain livre s'intitulera Chez-soi. Les territoires de l'intimité (Armand Colin).

Quant aux tenants du déménagement en série, «on les considère souvent comme des êtres originaux. On a un vague préjugé à leur égard, car la société valorise la stabilité et l'intériorité plutôt que la mobilité», précise la spécialiste.

Ces personnes qui ont la bougeotte vivent néanmoins leur «sport» favori comme l'occasion d'un déploiement de vitalité, une promesse de créativité.

Tout en demeurant légèrement dramatique (il faut choisir, trier, s'interroger sur ce qui compte vraiment), le déménagement peut aussi se transformer en une aventure exaltante. Comme l'exprime parfaitement le sourire de Johanne Gobeil alors qu'elle signe un énième bail ou une autre promesse d'achat.

Avec le raffinement des moyens de communication, le vagabond urbain risque de passer plus aisément d'un logement à l'autre. Il sera plus détaché de son nid.

Unsal Ozdilek, professeur en immobilier à l'ESG (École des sciences de la gestion) à l'UQAM, s'est intéressé à la question.

Il associe cette habitude du déménagement à répétition à une consommation de l'espace. Il croit même que ce phénomène prendra de l'expansion. Parce qu'on cherche à maximiser son bien. On espère trouver une habitation aux meilleurs attributs. On veut de la nouveauté. La découverte excite. Un sentiment comparable à l'achat d'une nouvelle voiture, pointe Unsal Ozdilek.

Le professeur en immobilier base ses explications sur la distinction des espaces: le physique et le mental.

»D'une part, il y a les gens qui ont tendance à rester sur place. Avec le temps, leur espace physique (habitation, environnement) a cumulé un sens et des valeurs. Ces personnes vivent difficilement le déménagement. Par ailleurs, pour ceux qui déménagent souvent, l'espace physique devient mental et son pouvoir de rétention diminue.«Résultat? La plupart des accros aux déménagements multiples acceptent aisément le changement de lieu, pourvu que leurs critères d'habitation (confort, esthétique, standing, etc.) soient remplis. Grâce aux nouvelles technologies, plusieurs urbains ressentent moins le besoin de s'enraciner. Ceux qui ont la bougeotte sont moins critiqués. «On observe une plus grande acceptation de la mobilité dans les grandes villes, raisonne Perla Serfaty-Garzon. Mais il ne faut pas oublier que ces adeptes du déménagement en série sont souvent jeunes, en forme, libres de responsabilités familiales et, surtout, ils ont les moyens de déménager», conclut la sociologue.