D'autres soulignent par contre que, depuis 10 ans qu'on en parle, le phénomène du logement intergénérationnel peine à prendre de l'ampleur. État des lieux.

D'autres soulignent par contre que, depuis 10 ans qu'on en parle, le phénomène du logement intergénérationnel peine à prendre de l'ampleur. État des lieux.

La maison intergénérationnelle est un concept d'habitation qui permet à une famille de cohabiter avec ses parents vieillissants dans une maison unifamiliale composée de deux logements indépendants de tailles différentes. Voilà la définition que donne la Société d'habitation du Québec. Brigitte, la quarantaine pimpante, fait partie de ces familles qui voient la cohabitation des générations comme une bénédiction.

Guy, son père âgé de 76 ans, vient d'emménager dans la maison de Cap-Rouge qu'elle occupe avec conjoint et enfants. Il aura ainsi l'occasion de voir grandir les jumeaux Mathilde et François-Xavier, six ans. «C'est un héritage qu'on donne à nos enfants en leur offrant la chance de vivre avec grand-papa (...) Je trouve ça plus sain», confie l'ancienne agente de bord.

À l'image des boomers de 40 à 60 ans qui proposent d'héberger leurs parents, Brigitte et son conjoint ont un niveau de vie relativement élevé et un emploi du temps chargé. C'est ce qu'a remarqué l'anthropologue Manon Boulianne qui a mené, il y a trois ans, une étude sur le logement intergénérationnel pour le compte de la Société canadienne d'hypothèque et de logement (SCHL).

Des boomers, Carole Després en a rencontré des dizaines dans le contexte de ses études pour le GIRBa (Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues). «On en a vu beaucoup qui sont prêts à déménager à des centaines de kilomètres de chez eux pour se rapprocher de leur parenté. Ce sont des gens en santé et autonomes qui désirent aider leurs enfants (ou leurs parents). Les clichés d'une génération gâtée et égoïste ne tiennent plus forcément la route», soutient-elle.

Trop de contraintes

Pour accueillir le père de Brigitte, la surface de la petite maison construite en 1910 à Cap-Rouge a été presque doublée avec l'ajout d'une aile au bâtiment principal. C'est au rez-de-chaussée que logera grand-papa Guy. Il disposera d'une chambre, d'un salon et partagera la seconde salle de bains avec le reste de la famille. «Souvent, quand on agrandit une maison en vue d'accueillir de la parenté, on s'arrange pour qu'il manque au moins une pièce (cuisine ou salle de bains). C'est pour éviter que les deux logements soient totalement indépendants», explique Jean-François Renaud, directeur de G4 architecture, qui a réalisé les plans pour Brigitte et sa famille.

Certaines municipalités redoutent qu'une fois les aînés partis, la nouvelle section de la maison change de vocation pour se transformer en espace locatif. Ces règlements techniques, ajoutés à l'absence de subvention, sont un frein au développement du logement intergénérationnel, pense Louis Desrochers. L'architecte et président d'Arc & Types Consultants a déjà vu l'un de ses projets mis au rancart. Ses clients ont abandonné l'agrandissement de leur habitation à cause de demandes de la municipalité jugées trop contraignantes. «Les deux parties du logement ne pouvaient pas être séparées par une porte», indique-t-il.

Interrogé sur la question, le service d'urbanisme de la Ville de Québec précise qu'une uniformisation des règlements municipaux devrait être officialisée l'année prochaine. Depuis les fusions, chaque arrondissement a gardé ses vieux règlements et, dans certains secteurs de Québec, seules les maisons unifamiliales sont tolérées. Mais, signe des temps, des dérogations sont parfois données pour le logement intergénérationnel, comme dans l'arrondissement des Rivières, un secteur principalement unifamilial.

Par ailleurs, Jean-François Renaud souligne que le développement du logement intergénérationnel permettrait de redonner un peu de vie aux banlieues pendant les heures de bureau.

Phénomène de mode ou tendance à long terme?

Chez Re/Max 1er Choix, Arlette Imbert note que, si le phénomène des maisons abritant plusieurs générations reste encore marginal, il va néanmoins en croissant. Elle confie d'ailleurs utiliser l'argument du bigénérationnel pour valoriser une maison et se félicite de la tendance à vouloir héberger ses vieux parents : «Ça signifie que les valeurs familiales reviennent», dit-elle.

Lors d'une étude publiée en 2004 par la SCHL, l'anthropologue Manon Boulianne avait interrogé 15 familles de Québec expérimentant ce type de cohabitation. Même si elle souligne les avantages financiers et humains que peut revêtir cette formule, elle est néanmoins catégorique : le logement intergénérationnel, «c'est fait pour les familles très soudées». D'où l'importance de poser des jalons dès le début.

Dans la belle maison de Cap-Rouge, les règles sont déjà établies, et grand-papa Guy avait commencé à venir de façon occasionnelle avant d'emménager, le temps pour tout le monde de s'adapter. «Depuis la mort de ma mère il y a bientôt trois ans, il s'est familiarisé avec les tâches ménagères, alors ça devrait bien se passer. Il sait ce que c'est, désormais, de tenir une maison», confie Brigitte, qui se dit bien contente de pouvoir compter sur son père pour s'occuper des enfants, son conjoint ayant des obligations professionnelles loin de la maison une bonne partie du temps.

Toutefois, entre les bons sentiments et leur réalisation concrète, il y a parfois un pas. François Gaumond, porte-parole national de la Société d'habitation du Québec s'en fait l'écho. Selon lui, les changements d'orientation sont souvent insufflés par la population. Or, il ne note aucune demande généralisée en vue de promouvoir le logement intégénérationnel. S'il remarque «un certain intérêt» pour la question, il le juge «sporadique». La cohabitation intergénérationnelle se concrétiserait plus, selon lui, dans l'habitation conjointe d'un duplex ou d'une maison jumelée, mais comme les deux ménages ont alors deux adresses différentes, il ne sont pas recensés entant qu'adeptes de la cohabitation transgénérationnelle.