«L'achat d'une propriété, c'est un gros pas décisionnel, convient Dinah Cavanagh, agente immobilière à Québec depuis 22 ans. Certains ont besoin de s'accrocher à des croyances ou à des amulettes. Cela leur fait du bien.»

«L'achat d'une propriété, c'est un gros pas décisionnel, convient Dinah Cavanagh, agente immobilière à Québec depuis 22 ans. Certains ont besoin de s'accrocher à des croyances ou à des amulettes. Cela leur fait du bien.»

Mme Cavanagh en a servi des clients au fil des années. «Les acheteurs atypiques, je les ai tous eus, rigole-t-elle. Les demandes sont différentes d'une fois à l'autre. J'en ai capté des vertes et des pas mûres !»

Les réticences qu'elle a rencontrées le plus souvent sont liées à la numérologie. «Parfois, ça va assez loin. Certains clients demandent même qu'il y ait tel numéro sur l'offre d'achat.» Puisque les formulaires d'offre d'achat sont prénumérotés, «il faut que j'en apporte cinq ou six exemplaires à la fois pour être certaine de tomber sur des chiffres qui plaisent aux acheteurs», raconte-t-elle.

Pour certains, acheter une résidence dont le numéro civique est le 13 est impensable. Pour d'autres, c'est le montant sur l'offre d'achat qui est crucial : «J'ai déjà eu des clients qui ont préféré inscrire 297 plutôt que 299 parce que 7 était leur chiffre chanceux», relate Mme Cavanagh.

«Les gens s'intéressent de plus en plus à la numérologie», renchérit Carole Fortin, directrice du bureau La Capitale Québec Champlain. Dans son cas, cependant, les chiffres n'ont jamais totalement découragé ses clients. «Parfois, les acheteurs remarquent après coup que le numéro civique a une signification particulière. Mais je n'ai jamais eu de refus d'achat pour ça.»

En fait, les expériences personnelles de Mme Fortin avec les chiffres et leur signification sont plutôt positives. «Souvent, les numéros sur les contrats de courtage pour des offres d'achat qui ont été acceptées correspondaient à mes numéros chanceux !» relate-t-elle.

Voisins silencieux

Mais, en général, les Québécois ne semblent pas être superstitieux outre mesure. La majorité des agents immobiliers interrogés ne se souviennent pas de détails en particulier qui ont fait tiquer de futurs acheteurs. Même la vie près d'un cimetière ne semble pas rebuter les gens. Selon les cas, cela peut ajouter du cachet à l'endroit.

«Les cimetières sont mieux entretenus qu'avant», souligne Diane Paris, agente à La Capitale Cité. «J'ai vendu récemment à un comédien une maison située en face d'un cimetière. La présence de ce voisin silencieux n'avait pas l'air de le déranger !» rapporte Dinah Cavanagh.

Il est fort possible, nuance Luc Mailloux, directeur du bureau de Royal Lepage à Sainte-Foy, que les acheteurs n'aiment pas discuter de leurs superstitions. «C'est peut-être par pudeur qu'ils ne mentionnent pas les raisons pour lesquelles ils n'apprécient pas une propriété. Ils adhèrent à des croyances, mais ne veulent pas nécessairement les étaler.»

Dans la communauté asiatique, cependant, c'est une autre histoire. Les agents immobiliers contactés s'entendent pour dire que c'est la clientèle la plus exigeante pour des détails en lien avec leurs croyances. «Chez les Asiatiques, il n'y a pas de gêne ou de pudeur à le dire», affirme M. Mailloux.

La recherche d'une demeure passe nécessairement par le filtre de la numérologie. «Il ne faut pas que l'addition des chiffres du numéro civique donne quatre, car ce chiffre est signe de mort», illustre Christiane Saint-Jean, directrice chez Re/Max Accès.

«On peut trouver ça curieux, mais pour eux, c'est du sérieux. Ça signifie on n'achète pas, point final, ajoute Robert Nadeau, président-directeur général de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec. Pour eux, la numérologie est essentielle dans le choix d'une maison.»

Feng shui

La philosophie orientale du feng shui occupe aussi une place prépondérante dans le processus d'achat. À titre d'exemple, les Asiatiques n'achèteront jamais une propriété où la porte avant est dans le même axe que la porte arrière, signale Luc Mailloux. Dans la philosophie feng shui, c'est signe que l'argent sortira aussi vite qu'il sera entré dans la maisonnée. Les maisons avec une porte patio située face à la porte d'entrée sont donc dédaignées.

L'emplacement de la propriété est aussi un critère à considérer. Une maison située à l'intersection d'une rue en T n'attire pas les bonnes énergies. La disposition non appropriée des portes et des fenêtres, ainsi que l'orientation de la maison peuvent suffire à décourager d'éventuels acheteurs adeptes de feng shui.

Mais attention, le feng shui n'est pas l'apanage des communautés asiatiques, insiste Dinah Cavanagh. «Les gens sont de plus en plus sensibles et intéressés à cela.» Elle-même a déjà vu des clients revenir avec leur conseillère feng shui pour une deuxième visite d'une propriété qui leur était tombée dans l'oeil. Souvent, ils changeront la disposition des objets comme les miroirs, pour une meilleure circulation d'énergie, dit-elle.

Difficile parfois pour les agents immobiliers de s'y retrouver parmi toutes ces exigences. Heureusement, selon Mme Cavanagh, l'informatique et Internet ont facilité la tâche en permettant un tri préliminaire par les clients. Tout de même, les agents chez Re/Max Accès ont dû, pour suivre la tendance, se tenir informés sur le feng shui et consulter des ouvrages à ce sujet. Il faut dire que la direction avait déjà une sensibilité à cette philosophie, puisque l'immeuble qui abrite les bureaux, sur la rue Jules-Verne à Québec, a été construit selon les règles de cet art séculaire.

Superstitions ou pas, l'achat d'une maison se fait avec la tête, mais aussi et surtout avec les tripes, rappelle Dinah Cavanagh. «Certains clients me disent qu'ils ne sont pas capables de rester une seconde de plus dans une maison parce qu'ils ne se sentent pas bien. C'est l'émotion qui décide. C'est important de l'écouter», conclut-elle.