Afin de répondre aux nombreuses préoccupations des résidants, des écologistes et même du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement, le gouvernement Charest entend se racheter en doublant la superficie du parc national du Mont-Orford, ultérieurement.

Afin de répondre aux nombreuses préoccupations des résidants, des écologistes et même du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement, le gouvernement Charest entend se racheter en doublant la superficie du parc national du Mont-Orford, ultérieurement.

Pour sa première sortie à titre de ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, Claude Béchard a réussi hier à se mettre à dos les environnementalistes qu'il n'avait d'ailleurs pas invités à la conférence de presse tenue à Sherbrooke.

Même son prédécesseur, Thomas Mulcair, a cru bon de se dissocier de cette annonce du bout des lèvres.

Par la bande

C'est donc en faisant indirectement ce qu'il ne pouvait faire directement que Québec a tenté de se sortir de cet épineux dossier. Il a ainsi choisi de résilier le bail du gestionnaire de la station de ski, Mont-Orford inc., d'éliminer la protection sur les terrains très convoités, puis de lancer un appel d'offres afin de les céder au plus offrant.

«Avec les sommes (ainsi récupérées), on se tournera de bord et on achètera des terrains autour du parc actuel pour en doubler la superficie», a précisé le ministre. En conférence de presse, M. Béchard a fait mention d'un possible gain financier de quelque 16 millions, lesquels seront entièrement affectés à l'achat de nouveaux terrains.

Le parc national du Mont-Orford passera ainsi de 58,4 km² à 51,9 km². Mais grâce à l'achat de nouveaux terrains, on estime que la superficie protégée atteindra quelque 100 km² «dans quelques années».

Pour éviter les risques de spéculation, aucun détail n'a été donné quant à la facture d'une telle mesure ou à l'échéance que le gouvernement se donne.

Selon nos informations, il n'est nullement question de procéder à des expropriations pour élargir le parc. Le gouvernement regarde plutôt du côté des «grands propriétaires», notamment des compagnies forestières, afin d'acheter (ou de se faire céder) des terres vastes et vierges. Des discussions sont d'ailleurs déjà en cours à ce sujet.

Vaste corridor de conservation

Parallèlement, Québec entend mettre en place un vaste corridor de conservation qui inclurait les monts Sutton et le mont Orford, et qui s'étendrait jusqu'à la frontière américaine. Contrairement à une réserve ou à un parc naturel, il s'agit là d'un secteur aux propriétés publiques et privées qui possède des règles strictes de protection.

Selon les écologistes, il s'agit à court terme d'un déplorable recul pour le gouvernement, qui peine déjà à atteindre l'objectif de protection qu'il s'est fixé (8 %). Depuis l'an dernier, 5,8 % du territoire québécois est protégé alors qu'à l'échelle mondiale, la moyenne est de 12 %.

Rappelons que, dans la foulée de la Conférence de Rio de 1992, Québec avait promis de protéger 12 % de son territoire, soit le seuil minimal recommandé en 1997 par la commission Brundtland. En 1996, il revoyait ses ambitions à la baisse: protéger 8 % du territoire d'ici 2005. Puis en 2004, malgré une promesse électorale contraire, les libéraux décidaient finalement de repousser l'échéancier à 2008.

Malgré tout, Québec se défend de s'éloigner de sa cible. Il fait plutôt miroiter de futurs gains substantiels. «La superficie qui sera gagnée par l'achat de terrains autour du mont Orford, c'est du jamais vu depuis 25-30 ans, estime le chef de cabinet du ministre Béchard, Stéphane Gosselin. On ne verra pas ça dans les 25-30 prochaines années non plus, tant ce genre de choses est rarissime.»

Les écologistes bien au fait du dossier ne partagent cependant pas l'optimisme du gouvernement. «C'est extrêmement décevant», a lancé Gisèle Lacasse-Benoit, présidente du groupe Memphrémagog Conservation. «Cette décision n'est pas pour me réjouir», a renchéri le président du conseil régional de l'environnement de l'Estrie, Jean-Guy Dépôt.

Les groupes d'environnementalistes ne comprennent pas pourquoi Québec a cédé aux pressions économiques. Ils ne croient pas que cela était nécessaire pour la survie de la station de ski et ils déplorent que l'on rogne sur un territoire juridiquement protégé pour d'éventuels gains qui sont loin d'être garantis.

Le monde des affaires, en revanche, a accueilli avec le sourire cette décision attendue.

«C'est une page importante dans l'histoire de la montagne que l'on tourne aujourd'hui. On clarifie des choses qui n'ont jamais été claires», s'est réjoui le PDG d'Orford inc., André Lespérance, faisant allusion à la double vocation de la station de ski au sein d'un parc national, soit la conservation et la récréation. «On est extrêmement ravis du choix du gouvernement», a pour sa part déclaré le président de la Chambre de commerce et d'industrie Magog-Orford, Pierre Lefebvre. En plus de faire la lumière sur le statut du mont Orford, la décision du gouvernement encouragera le commerce et le tourisme dans la région, soutient-il.

Rappelons enfin que le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) avait publié un rapport sur la question, il y a un an. Les commissaires concluaient que l'échange de terrains initialement prévu et la construction de condos «porteraient atteinte à l'intégrité écologique du parc national du Mont-Orford».

Avec la collaboration de Hugo De Grandpré.