Au milieu du XIXe siècle, c'était la banlieue de Québec. La ville s'arrête alors à l'avenue de Salaberry. À l'ouest se trouvent de grands domaines et un îlot d'habitations nouvellement construites près d'une fontaine où viennent s'abreuver les chevaux: le faubourg Guénette.

Au milieu du XIXe siècle, c'était la banlieue de Québec. La ville s'arrête alors à l'avenue de Salaberry. À l'ouest se trouvent de grands domaines et un îlot d'habitations nouvellement construites près d'une fontaine où viennent s'abreuver les chevaux: le faubourg Guénette.

Il est situé entre la rue Crémazie, le chemin Sainte-Foy, l'avenue Cartier et l'avenue de Bourlamaque. Dans ce quadrilatère, trois rues - Saint-Laurent, Dumont et de Candiac - forment le faubourg. «Il n'y a pas d'autres quartiers semblables à Québec», dit Rychard Guénette, un généalogiste amateur qui s'est intéressé au faubourg afin de retracer le parcours de ses ancêtres.

L'historien et chroniqueur Réjean Lemoine abonde dans le même sens. «C'est un cas unique de conservation d'un milieu populaire dans la ville de Québec, et surtout en haute ville, car il n'est pas à sa place dans le quartier Montcalm, dit-il. Il est aussi unique au niveau de l'aménagement urbain et de son architecture. C'est un quartier pré-industriel situé dans une ville moderne du XXe siècle.»

En effet, le faubourg Guénette jure avec son voisinage. Les rues du chic quartier Montcalm sont habituellement larges et bordées d'arbres. Celles du faubourg sont si étroites que deux voitures peuvent à peine s'y croiser.

Le 155, rue Dumont. Anciennement en bois, cette petite maison a été érigée lors de la première campagne de construction du faubourg, en 1833.

Les maisons du faubourg donnent directement sur les trottoirs, tandis que celles de Montcalm, construites en retrait, sont munies de galeries et d'escaliers extérieurs. Ce contraste est visible sur la rue Crémazie, où le faubourg rejoint le reste de la ville.

Les anciens et les nouveaux

Jack Delisle a grandi sur l'avenue de Bourlamaque. «C'était le fun, grandir ici. Il y avait un parc derrière l'église (Notre-Dame-du-Chemin, maintenant détruite), on y jouait au hockey, à la boxe, aux "claques sur la gueule". Il n'y a pas un sport qu'on n'a pas fait. Même le golf», se rappelle-t-il.

Aujourd'hui, M. Delisle possède un restaurant situé en face d'où il a grandi. De son quartier, il apprécie surtout l'attitude relaxe des habitants. «Ici, tout le monde se mêle de ses affaires, dit le jovial restaurateur. On ne s'invite pas à souper, mais on se salue dans la rue.»

«On se connaît tous», dit Raymond Blais, qui est né et habite toujours dans le faubourg Guénette. «C'est comme un petit village.» Quel quartier urbain de Québec peut en dire autant?

M. Blais a remarqué des anciens résidants qui, nostalgiques, viennent faire leur tour de temps en temps. «Ils ont attendu trop longtemps avant d'acheter, croit-il. Maintenant, c'est pas mal plus cher qu'avant.»

Il y a un an et demi, Olivier D'Autane a déménagé sur la rue de Candiac, qui traverse le faubourg du nord au sud. «Même les gens du quartier Montcalm ne connaissent pas cette rue», déplore-t-il. Signe que le faubourg Guénette est ignoré, même par ceux qui le voisinent.

M. D'Autane apprécie pleinement son nouveau secteur. «C'est reculé, mais tu tournes le coin et t'as tout ce qu'il faut», dit-il en pointant la rue Crémazie et l'avenue Cartier. «Depuis que je suis ici, je n'ai pas mis les pieds dans un Wal-Mart», se réjouit-il.

Ses trois enfants de 8 à 10 ans peuvent pratiquer une foule d'activités à proximité. Des plaines d'Abraham au centre Lucien-Borne, les petits D'Autane ne grimpent pas souvent dans une automobile. M. D'Autane non plus, d'ailleurs. «Lorsque j'habitais à Sillery, je n'étais pas capable d'aller m'acheter une pinte de lait à pied», illustre-t-il. En déménageant dans le faubourg Guénette, il a vendu sa voiture. Et il prend très rarement l'autobus.

«C'est aussi un coin tranquille et silencieux. Pourtant, ma maison n'est pas bien insonorisée. Quand des gens parlent dans la rue, on entend tout. Mais y a jamais personne !»

Il est conscient que sa maison est mal construite. Mais pour lui, peu importe. «J'aime les endroits qui ont du vécu. Je préfère rester ici dans une maison un peu tout croche et avoir un bel environnement extérieur» que le contraire.

Évidemment, aucun coin de pays ne vient sans ses petits désagréments. Raymond Blais raconte que les déneigeuses ont quelques fois abîmé sa maison. Sa gouttière portait d'ailleurs les marques d'un récent impact.

Toutefois, la ville semble vouloir faire une beauté au faubourg. La rue Saint-Laurent a été réaménagée il y a quelques mois. L'été prochain, les fils d'Hydro-Québec devraient y être enfouis, ce qui redonnera à cet étroit chemin son aspect d'antan. La rue Saint-Laurent «va être une des plus belles petites rues de Québec», croit Jack Delisle.

Un peu d'histoire

Le faubourg Guénette, aussi appelé village Mount Pleasant à l'époque, tient son nom de l'une des premières familles à s'y être établie, autour de 1820. Aujourd'hui, il n'y a plus de traces de Guénette.

Au milieu du XIXe siècle, Canadiens-Français et Irlandais s'y côtoient. Certaines de ces familles ont été victimes de l'incendie qui a rasé le quartier Saint-Jean-Baptiste, en 1845. «Il y avait environ 60 maisons dans le faubourg, à l'époque, estime M. Guénette. Les familles étaient nombreuses, mais, malgré tout, ça n'en faisait pas un coin très populeux.»

Si le faubourg a gardé son cachet, c'est d'abord parce qu'aucune tragédie ne l'a éprouvé. «Le quartier n'a pas été frappé par un incendie, alors il a conservé son aspect initial, dit Réjean Lemoine. On y retrouve en bloc les maisons de faubourg construites par les ouvriers qui y habitaient».

L'expansion urbaine du XXe siècle l'a aussi épargné. Lorsque la ville a finalement gagné ses alentours, c'était avec une urbanisation différente. Alors les nouveaux quartiers ont enveloppé le faubourg sans détruire son homogénéité. Et, surtout, sans ruiner cette impression d'y être dans un pittoresque village...