Sur l'île de Montréal, une singulière maison cubique fait bande à part dans un quartier du nord autrement dominé par des maisons à tourelles et des toitures de cuivre et d'ardoise. Pas de doute, c'est bel et bien une maison de béton, une rareté dans notre paysage architectural qui ne manque pas d'attirer l'attention.

Sur l'île de Montréal, une singulière maison cubique fait bande à part dans un quartier du nord autrement dominé par des maisons à tourelles et des toitures de cuivre et d'ardoise. Pas de doute, c'est bel et bien une maison de béton, une rareté dans notre paysage architectural qui ne manque pas d'attirer l'attention.

«Le concept est d'inspiration européenne, ce type de maison est beaucoup plus répandu en Europe», dit l'architecte Marie-Claire Laliberté, qui en était à sa première expérience avec ce matériau à si grande échelle. Si l'utilisation et les techniques de pose des coffrages de béton sont éprouvées au pays, il en va autrement pour l'assemblage des blocs de parements. Nous sommes en terrain inconnu: l'expertise résidentielle en structures de béton est bien mince. L'architecte a dû prendre les bouchées doubles. «J'ai tout prévu dans les plans, y inclus l'emplacement exact des chantepleures et l'épaisseur des joints», raconte l'architecte.

L'ouvrage de maçonnerie a été monté avec des blocs préfabriqués Permacon, d'une dimension de 600 par 900 mm (environ 2 X 3 pieds) et d'un poids de plus de 38, 5 kg (85 livres) chacun. Pour ne pas voir aucun retour de parement sur les côtés, les blocs ont été sciés à 45 degrés en coin. Une exigence de l'architecte qui a permis de rythmer la lecture des façades en leur donnant la continuité. Les joints de maçonnerie en angle devaient respecter les mêmes dimensions qu'en plan, avec une tolérance de un à deux millimètres supplémentaires, pas plus.

Convenons que les résultats impressionnent, même si l'assemblage de l'imposante charpente sur deux niveaux n'ait pas été sans heurts. Les travaux pour cette maison d'une superficie d'environ 3500 pieds carrés ont duré cinq mois, de l'excavation à la prise de possession. Le chantier s'est en fait révélé un véritable bac d'expérimentation. «Monter l'étage a été plus facile, c'est par là que j'aurais dû commencer», ironise Marie-Claire Laliberté.

Si l'aspect extérieur de cette maison étonne, la véritable surprise c'est lorsqu'on en franchit le seuil. Les préjugés sur les qualités esthétiques du béton tombent en posant le pied dans cette vaste entrée qui fait plutôt office de hall. La première impression relève plus de la galerie de musée que d'une maison. C'est un monde de béton mais nous sommes pourtant loin de la froideur d'un palais de glace.

L'architecte Marie-Claire Laliberté dans la salle de séjour. Notez le plafond suspendu qui camoufle les tuyaux.

Les colonnes latérales, tout apparentes, même dans les quatre chambres à coucher, chacune dotée d'une salle de bains, sont fabriquées d'un béton teinté dans sa masse aux granulats beaucoup plus fins qui se donne des allures de porcelaine. Tellement doux et lisse au toucher qu'on peut quasiment parler d'une matière sensuelle. Le béton est de marque Agilia, un nouveau produit fabriqué par Ciment Lafarge. «Il était difficile d'obtenir de l'information du manufacturier, elle était révélée au compte-gouttes. Peut-être était-ce pour préserver la recette secrète, déplore l'architecte. Chose certaine, on ne peut l'utiliser à l'horizontale, il brise», rajoute l'architecte.

Les colonnes ont été poncées à l'eau pour obtenir un effet laqué. La chape de béton s'apparente aux mêmes teintes. Au plafond, une structure de béton s'incruste dans un immense caisson. En fond de plan, une division non permanente, plantée sur des pattes en acier inoxydable, dissimule l'entrée de la cuisine. Quand on le contourne, le panneau diviseur devient un mur d'armoires, côté cuisine.

Les planchers, auxquels est incorporé un réseau de tuyaux de caoutchouc pour le chauffage à l'eau chaude, sont tous de béton, à l'exception des salles de bains et de la cuisine. Le revêtement de terrazzo du plancher de la cuisine est orné de pierres et de motifs irréguliers, un peu lancés à la volée; le tout est scellé par un enduit qui protège la surface. Le comptoir de béton est l'œuvre d'un artisan.

L'œil est encore surpris, dans la salle familiale cette fois, où une fenêtre longitudinale plane au-dessus d'un foyer au gaz à évent direct. «L'absence de cheminée donnait de l'espace pour l'imagination», convient Marie-Claire Laliberté. Dans cette même pièce, la mécanique de la climatisation devient élément de décor en longeant de faux plafonds décalés en suspension. Il faut aller à l'étage pour retrouver du gypse utilisé à des fins de camouflage. Malgré des traitements architecturaux différents d'une pièce à l'autre, d'un étage à l'autre, la volumétrie demeure en harmonie. Même les portes de facture européenne, plus larges que les grandeurs standard, s'accordent bien dans cet ensemble spacieux. Parfois incorporé au plancher, l'éclairage savamment étudié enveloppe les tons de pastel de toute la maison.

Pour qui se découvre une passion pour le béton, il faut compter au moins un million de dollars pour accéder à ce type de résidence. «Ce n'est pas plus cher qu'une maison à tourelles, explique l'architecte Marie-Claire Laliberté. Il n'est cependant pas réaliste de penser que l'on peut s'en tirer à partir de 500 000$, comme certains consommateurs le croient», conclut-elle.