Doit-on craindre que le bel investissement résidentiel d'hier ne devienne demain ce boulet inconfortable, alors que s'accentue le vieillissement de la population et qu'un choc démographique mijote au Québec?

Doit-on craindre que le bel investissement résidentiel d'hier ne devienne demain ce boulet inconfortable, alors que s'accentue le vieillissement de la population et qu'un choc démographique mijote au Québec?

Économistes, analystes financiers et autres observateurs du milieu sont du même avis: à défaut d'être clairvoyant, il faut porter une attention particulière aux décisions que prendront les baby-boomers. On le sait, ces derniers prendront massivement leur retraite dans la prochaine décennie. Et puis, ils ne sont pas éternels! Cela influencera le portrait de l'immobilier avant longtemps, répètent les spécialistes.

Kevin Hughes, économiste et analyste principal pour le Québec à la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), anticipe le phénomène. «Les dates importantes sont 2011-2013, le moment où la population active baissera au Québec. La pression pour qu'il y ait plus d'immigration sera alors plus grande. En 2018, la seule source de croissance de la population proviendra de celle-ci. Puis en 2025-2026, le nombre d'habitants sera en décroissance.»

Et il est trop tard, le trou est creusé. Même si la province connaissait une explosion des naissances, l'écart est là. «Tout ce que ça créerait, c'est une atténuation du phénomène, non pas un renversement», explique M. Hughes. Malgré une formation des ménages qui devrait s'éroder de 35 000 à 15 000 entre 2006 et 2026 au Québec, l'économiste reste calme. «Il ne faut pas partir en peur! Tout ça n'arrivera pas du jour au lendemain. Pourvu qu'on s'ajuste maintenant.»

Sans un nombre suffisant de jeunes acheteurs pour combler l'offre, les jours de l'unifamiliale sont-ils comptés dans un avenir plus ou moins rapproché, tandis qu'un grand nombre de propriétaires seront en condo ou dans un autre type de logement collectif?

«On peut effectivement penser que le marché ira dans une seule direction, qu'il y aura un créneau qui sera plus en demande», avance l'homme de la SCHL. Mais comme les comportements changent, il ne se surprendrait pas que la situation soit tout autre. Plus en santé que leurs parents à pareil âge, les boomers s'apprêtent à demeurer à la maison plus longtemps. Pointent alors de nouvelles façons d'entrevoir les modes d'habitation pour vivre le «vieillissement sur place», comme le démontre, par exemple, la montée graduelle (bien que toujours marginale) de la résidence intergénérationnelle, où parents âgés et enfants habitent sous le même toit.

Partir ou rester

«On a souvent l'image qu'au départ des enfants, les baby-boomers se dépêchent de déménager dans un condo au centre-ville», résume Andrée Fortin, professeure au Département de sociologie de l'Université Laval et chercheure au sein du Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues (GIRBa). «Ce n'est pas aussi systématique que ça!»

Planificateur financier à la Financière Liberté 55, Alain Hallée abonde dans le même sens. Qui plus est, l'augmentation des frais de condo qu'il constate refroidit sûrement l'intérêt des acheteurs. «J'ai même des clients qui retournent à l'unifamiliale.

Tant qu'à payer autant pour les frais communs, ils se disent que lorsqu'ils en sentiront le besoin, ils engageront avec cet argent quelqu'un pour faire le gazon ou enlever la neige.»

Dans la situation actuelle, en banlieue, il semble que la majorité des gens âgés veulent demeurer là où ils sont, le plus longtemps possible. «C'est le cas d'environ 8 personnes interrogées sur 10», évalue Sébastien Lord, qui est chercheur au GIRBa et étudiant au doctorat en architecture. D'après sa réflexion entamée à l'occasion d'une étude longitudinale portant sur les enjeux de vieillir en banlieue, l'attachement à la propriété et au quartier est déterminant. «Pour les propriétaires, l'émotion est plus importante que la fonction!»

Il s'interroge néanmoins sur les changements à prévoir dans les années à venir. «Les "jeunes" (boomers) sont tout de même plus ouverts à déménager», avance-t-il. «Mais pour l'instant, on ne peut parler que de tendance.» Il explique cette ouverture nouvelle notamment par un plus grand pouvoir d'achat et une plus grande mobilité, en comparaison avec la génération précédente.

Stratège et économiste en chef à la Banque Laurentienne du Canada, Carlos Leitao admet que l'avenir n'est pas aussi clair qu'il le souhaiterait. Du moins, au-delà de cinq ans. «Avant cette période, il n'y aura pas vraiment de variations démographiques.» Il entrevoit le choc dans 15 à 20 ans. «Il y aura alors des changements majeurs.»

Changements qui demeurent tout de même très difficiles à quantifier et à qualifier dans le présent, affirme-t-il. «C'est de la spéculation. On pourrait faire des scénarios où tout le monde s'en va en condo, ou à l'inverse en bungalow, et ce serait plausible.»

Qu'importe, avant de vendre une résidence de peur que le prix ne chute, M. Leitao relativise l'inquiétude portée sur l'investissement. «L'immobilier est un actif particulier car c'est également un service. Il faut aussi tenir compte de ce que ça nous procure.»

Agir maintenant

Prudent lui aussi dans ses prédictions sur le type d'habitations qui sera privilégié à l'avenir, l'entrepreneur Sylvain Tremblay s'attend néanmoins à ce que l'industrie connaisse encore une bonne période pour les prochains 10 ans. Le propriétaire de Constructions SMB à L'Ancienne-Lorette s'inquiète plutôt des conséquences à long terme de cette démographie négative. «Il faudrait dès maintenant des actions politiques pour éviter une catastrophe économique!»

Une préoccupation que partage la sociologue Andrée Fortin. À son avis, s'il n'y a pas d'incitatifs mis en place, certains quartiers risquent de se dégrader dans une vingtaine d'années, lorsqu'il y aura cet «appel d'air». Dans cette perspective, elle se questionne même sur l'avenir des nouveaux développements qui poussent en ce moment dans certains secteurs plus éloignés des services. «Si on ne fait rien tout de suite, des quartiers risquent de se vider.»

Comment pallier à cette situation? La chercheure propose des actions municipales, comme la mise en place de programmes d'aide destinés aux jeunes pour favoriser l'accès à la propriété, l'amélioration du transport en commun ou encore la facilitation dans la transformation de résidences intergénérationnelles. «Avec un peu d'imagination, on peut trouver de bonnes idées.»

Et les incitatifs doivent être tructurés dans une solution globale, plus large que seulement autour de l'habitation, croit-elle. «C'est un tout ! Il n'y a pas de solution magique!»

Ce qui fait dire à l'économiste Kevin Hughes qu'il faut informer le marché de l'immobilier le mieux possible sur les tenants et aboutissants de cette démographie négative. «Alors, on peut croire que celui-ci s'ajustera en regard de cette situation à venir. N'empêche, il restera des difficultés à surmonter. C'est le défi», conclut-il.