On en trouve dans les boutiques de design. Elles ont un look vintage, sont plus ou moins modifiées. IKEA en propose une magnifique. Les antiquaires de la ville ont régulièrement de belles cartes géographiques dans leurs vitrines. Les artistes se sont emparés des technologies pour en faire de superbes versions que nous affichons avec grand bonheur à nos murs. Mais d'où vient cette fascination des cartes?

«De notre insécurité existentielle, lance Guylain Leclerc, professeur au département de géomatique du cégep Limoilou. On veut savoir d'où on vient et où on va. Nous avons tous besoin de nous situer dans l'espace. La petitesse de l'univers, on la voit très bien sur une carte et on a besoin de savoir qu'on est là.»

D'où ce réflexe de toujours chercher d'abord l'endroit où l'on se trouve lorsque nous regardons une carte. C'est le principe du «vous êtes ici» sur le plan du centre commercial.

À l'inverse, explique Michel Côté, aussi enseignant de géomatique au cégep Limoilou, la carte que l'on affiche à un mur peut aussi combler un besoin d'évasion et nous faire rêver de voyages.

Comme un tableau

Le département de géomatique chapeaute le concours Jeunes cartographes recherchés. Cette année, un millier d'élèves de 1re et 2e secondaire de la province ont répondu à l'appel, certains avec des talents artistiques indéniables. S'ils s'intéressent évidemment à l'exactitude des cartes, les deux professeurs se laissent aussi émouvoir par leur beauté. «Regarder une carte, c'est comme regarder un tableau», dit Michel Côté.

Son collègue abonde dans le même sens: «Grâce au mélange des formes, des couleurs et des textures, les cartes se composent comme un tableau, estime Guylain Leclerc. D'ailleurs, avant, tout était fait à la main et les cartographes étaient de véritables artistes.»

Une longue histoire

La fascination des cartes ne date donc pas d'hier. «Les rois mettaient des cartes de leur royaume sur leurs murs. Ils voulaient montrer leur pouvoir», explique Jean-François Palomino, cartothécaire à Bibliothèque et Archives nationales du Québec et coauteur du livre La mesure d'un continent, qui traite de l'histoire de la cartographie en Amérique du Nord.

Il y avait aussi dans cet intérêt un besoin d'information évident. «Les rois voulaient voir de quoi avait l'air la Nouvelle-France où ils n'avaient jamais mis les pieds», ajoute Jean-François Palomino.

L'intérêt ne s'est jamais atténué. Les cartes étaient très populaires chez les aristocrates et les bourgeois, surtout aux XVIe et XVIIe siècles, précise ce spécialiste. Afficher des cartes dans sa demeure montrait à tous les visiteurs que le propriétaire des lieux était lettré, qu'il avait un intérêt pour la géographie, explique le cartothécaire. Les cartes, magnifiques, étaient faites par des géographes, des artistes et des graveurs. Plusieurs sont aujourd'hui conservées dans des collections publiques et privées. «Les cartes ne perdent pas de valeur, explique Jean-François Palomino. Les prix montent graduellement, mais il n'y a pas de chutes.»

Les cartes historiques sont d'ailleurs toujours très populaires. Certaines valent une fortune et sont prisées des collectionneurs. «Elles font entrer l'histoire dans une maison. Ça ajoute une certaine valeur intellectuelle dans un objet qui ne pourrait être que beau», estime Sébastien Caquard, professeur au département de géographie à l'Université Concordia. La carte est un mélange entre la science, l'art et l'histoire, ajoute-t-il.

Une carte qui a du sens

Et peut-être aussi qu'il y a un peu de divin dans tout cela. «Les cartes nous fascinent, car elles nous permettent de nous élever au-dessus du monde, de voir des choses que notre oeil humain ne peut pas voir, explique le professeur Caquard. On se met un peu à la place de Dieu.»

La carte a souvent un sens particulier pour celui qui la choisit. Elle est rarement sans signification. «Est-ce que ce sont des lieux où nous sommes passés?, s'interroge le géographe. Des lieux où nous voulons aller?»

Français, il a lui-même une carte du centre de Paris à ses murs, à la maison. Ce n'est probablement pas un hasard, admet Sébastien Caquard.

C'est un peu le même principe que lorsqu'on achète un tableau en voyage pour se souvenir d'un lieu marquant, estime-t-il.



Il y a donc plus que le beau qui joue dans le choix d'une carte. Celle choisie par Jag Nagra (ci-contre) le prouve bien. La graphiste canadienne a l'oeil pour le beau. Elle le cherche continuellement dans son travail et sur Craigslist, ce site de vente où elle glane des meubles vraiment pas chers. Quand ce n'est pas gratuits ! Dans le salon de sa petite maison de Port Coquitlam, à une trentaine de kilomètres de Vancouver, la vedette est une grande carte de 1967 de l'Asie, trouvée dans un magasin de déco vintage de Vancouver. «Les visiteurs la remarquent tous dès qu'ils entrent et elle est un continuel sujet de conversation lorsque nous avons des gens à la maison», raconte Jag Nagra.

La carte ne présente qu'une partie du monde, mais a ceci de particulier: l'Inde et la Pologne s'y trouvent. C'était primordial pour le couple de propriétaires. Jag est originaire de l'Inde et Agata, son amoureuse, de Pologne. Plus que magnifique, la carte unit, d'une certaine façon, ses deux propriétaires.

Le monde devant soi

Les cartes géographiques joliment illustrées trouvent souvent leur place dans les chambres d'enfants.

La carte a un rôle pédagogique, estime le professeur de géographie Sébastien Caquard. Normal, alors, que les parents soient portés à en mettre aux murs de la chambre de leur enfant. Les cartes font rêver, dit M. Caquard. Plusieurs personnes racontent que c'est une carte de leur enfance qui leur a donné envie de visiter tel ou tel endroit! «Même nous, aujourd'hui, on regarde Google Earth et ça nous fait rêver, dit-il. La carte est plus qu'un tableau: elle nous ouvre sur le monde.»

C'est exactement ce qu'avait en tête le designer Dan Benedict, de la boîte californienne Benedict August, lorsqu'il a tapissé une chambre de bébé d'une immense carte. «Cette chambre a été inspirée par un globe terrestre des années 50 qui était assez original : les mers étaient noires et les pays, peints en couleurs surprenantes et très vives, explique Dan Benedict. Nous avons fait la murale sur mesure, d'après le globe. Et nous aimions l'idée de la carte qui fait tout le mur pour plusieurs raisons. D'abord, nous savions que le bébé serait attiré par les formes, mais nous étions aussi intrigués de voir comment il grandirait avec toute la signification de cette carte, lui qui saurait un jour que, derrière ce mur, il y a aussi tout un monde à explorer, un monde rempli de cultures et de gens différents dont il fait partie.»

benedictaugust.com

Photo fournie par Jag Nagra

Au mur du salon de Jag Nagra, une carte vintage.