Les anglophones ont deux mots pour parler d'une maison : house et home. « Le premier renvoie à la structure, raconte Christine Harvey. Le second fait référence à la façon qu'ont les gens de l'habiter. Ici, m'a dit une amie anglaise, c'est une home. » Une maison. Avec une âme.

C'est en effet l 'impression qu'on a en ent rant chez Christine Harvey, Kiki pour les intimes. Il faut dire que la grande maison pleine de portes et de recoins où elle vit depuis 1997 avec Benoît, son conjoint, et leurs deux filles, Léa et Talie, n'est pas dépourvue d'histoire, laquelle se lit à même ses fondations. On soupçonne qu'elle aurait appartenu à une famille de bourgeois de Montréal, qui venait passer ses vacances d'été à Saint-Lambert. Quelques détails valident cette hypothèse. À l'étage, par exemple. À l'arrivée de Christine Harvey, le plafond de la partie arrière de la maison ne revêtait pas de moulures, à l'instar de la partie située à l'avant. Un indice que ces pièces moins richement décorées logeaient autrefois les domestiques. Une déduction renforcée par la présence, à côté de l'imposant escalier central en bois franc, d'un deuxième escalier, « secret » celui-là, très étroit et fabriqué à partir d'une essence de bois mou, donc moins onéreuse, reliant la cuisine à la partie prétendument réservée aux serviteurs...

Cette maison, Christine et son mari ont mis deux ans à la trouver. Deux ans de recherches intensives, « à lancer des messages dans l'univers ». À parsemer les boîtes aux lettres des maisons de la Rive-Sud qui leur faisaient de l'oeil, de petites notes manuscrites, dans lesquelles ils manifestaient, tout bonnement, leur intérêt, afin de savoir si, sait-on jamais, l'un des propriétaires considérait- il à tout hasard « un-jourpeut- être » la possibilité de vendre...

Leur souhait s'est exaucé sous la forme d'une maison centenaire à trois étages, qui leur a tout de suite fait penser, de l'extérieur, à une petite école de rang. Question de lui ajouter une couche de mystère, l'anecdote veut aussi qu'elle ait longtemps appartenu à un ancien homme fort de Robert Bourassa. À témoin, la découverte de trois lignes téléphoniques directes, toutes désactivées, bien sûr : une ligne personnelle, une deuxième reliée au poste de police et une dernière... au bureau du premier ministre.

Le blanc, ton chaud

Christine admet avoir mis tout le temps qu'il fallait avant de meubler les lieux, ne pas avoir succombé à la tentation de remplir dans l'urgence les vastes pièces vides. Question d'apprivoiser, d'imaginer surtout, graduellement, ce nouvel espace. Mais le jour où il se lance enfin dans les rénovations, le couple s'offre une métamorphose extrême, la totale, inspirée par leurs voyages dans le sud de l'Italie.

On trouve partout sur les murs des rayures deux tons et du faux-fini, des nuances d'ocre, d'orangé et de terre de Sienne. De grands lustres dorés d'importation privée sont suspendus. Le luminaire à l'entrée, d'ailleurs, est l'un des seuls éléments à avoir survécu à la seconde vague de transformations.

Parce qu'après avoir « enduré » pendant sept ans ce style ornementé et un peu tape-à-l'oeil, les occupants en ont eu assez de la dolce vita. Une amie décoratrice d'intérieur les a convaincus de passer « du feu à la douceur », d'oser le parfait contraste. C'est-à-dire : de tout repenser en blanc. Christine redoute le changement, draconien, appréhende l'effet froid, glacial créé par les couleurs pâles.

Le défi est donc de rendre le blanc chaleureux. Bien que ce ne soit pas a qualité première. Les compromis : jouer avec les teintes de blanc, opter pour les tons plus crémeux. Aussi, varier les textures, les matières et les finis. Du mat pour les murs, du lustré pour les contours, les cadres de portes et les moulures au plafond.

Des rideaux de lin aux fenêtres, de lourds drapés pleine longueur, effet « dramatique », amplifient aussi le sentiment de grandeur, tandis que les grands miroirs cerclés de cadres anciens ajoutent quant à eux de la profondeur. Les planchers de bois d'origine, du merisier pour la plupart, et les rampes ont aussi été conservés, pour la chaleur. De même qu'on a érigé un mur en chaux dans la cage d'escalier qui s'élève jusqu'à l'étage. Le matériau a été choisi autant pour ses propriétés antiseptiques (il rejette l'humidité et retient la poussière) qu'esthétiques, qui accentuent le caractère « campagne française » du décor.

Éclectisme et désordre

Ce que Christine n'a jamais craint, toutefois, c'est l'éclectisme. Elle déteste les « kits ». Dans la salle à manger, la table est entourée de huit chaises dépareillées, tantôt uniques, tantôt moins dispendieuses, qu'il est presque impossible de différencier dans la mêlée. « J'aime faire des mélanges, des rotations avec mes accessoires, dit-elle. Quand j'en ai assez, je les range. Plus tard, je les redécouvre, je les réutilise, mais ailleurs, dans un autre contexte. » Le désordre (organisé tout de même) ne lui fait pas peur. À un espace lisse et dépersonnalisé, Christine préfère les « traces de vie », apparentes et colorées. Elle aime qu'on « voit » les choses, révèle ce que d'autres cachent, ou conservent... sur la porte du frigo. Par exemple, deux dessins réalisés par ses filles, des portraits qui représentent papa et maman, ont d'ailleurs trouvé une place de choix dans l'aire ouverte mitoyenne aux trois chambres à coucher. De même pour la toise « artisanale » dessinée sur un pan de mur entre la cuisine et la salle à manger, sur laquelle est mesurée la taille des enfants depuis qu'ils sont en âge de se tenir debout. Une ligne du temps sentimentale qui partirait d'ailleurs avec la famille, dans l'éventualité (« un-jour-peutêtre ») d'un déménagement... Ici, il y a de la place pour disposer les souvenirs.

Sa demeure, Christine la souhaite chic, mais accessible et accueillante. Les canapés du salon, très profonds, une « petite » erreur de commande en ligne, non échangeable, sont devenus un prétexte pour « s'allonger à la romaine ». Depuis que la maison est toute de blanc vêtue, Christine prend d'autant plus de plaisir à l'égayer de multiples décorations, pour toutes les fêtes et occasions. « C'est la maison idéale pour les petites et grandes célébrations, d'où les invités ont parfois de la difficulté à repartir... », souligne-t-elle. On dit que les lieux dans lesquels on vit, qu'on a mis du temps à aménager, en disent long sur leurs propriétaires, parlent à leur place...