Le Salon du meuble de Milan a encore attiré des milliers de visiteurs, cette année. Malgré la crise? Selon les organisateurs, un peu plus de 300 000 personnes (acheteurs, journalistes, professionnels et mordus de design) ont visité la foire. Ce qui représente une hausse de 11% par rapport à 2007, année comparable pendant laquelle s'est tenu le salon biennal voué aux luminaires Euroluce. Les fabricants présents sont pour la plupart très innovateurs. D'où la présence des «copieurs» prêts à tout photographier dans les moindres détails de fabrication... Certaines marques très pointues (et très chères) ont une distribution limitée et ne sont pas en magasin à Montréal.

 >> En photos: voyez les trouvailles de Lucie Lavigne au Salon du meuble de Milan.

 Malgré tout, le Salon de Milan est un incontournable pour découvrir les nouveaux courants. Les pièces les plus recherchées sont les prototypes fraîchement sortis des ateliers. Ceux qui auront du succès seront produits en grande série. Mieux, ils influenceront (de près ou de loin) l'allure du mobilier offert sur le marché. Ces prototypes font par ailleurs ronchonner les designers qui y détectent parfois de légers défauts. «Je n'aime pas la couleur du bois du piètement des chaises et il n'y a pas assez de plumes dans le dossier du canapé. Mais ce sont des protos», s'est excusé le designer vedette Jean-Marie Massaud, pendant une courte entrevue au stand de MDF Italia.

 Qu'est-ce qui sera coté ces prochaines années? Les fauteuils, les chaises et les canapés aux formes nouvelles et, surtout, inédites. À preuve, la collection Quilt des frères Bouroullec pour Established&Sons comprend des fauteuils et des poufs d'allure boursouflée (style nid d'abeilles). Le duo de designers a également inventé une chaise en polyamide nommée Vegetal. Elle est faite d'un entrelacement de lanières en forme de «branches» et semble avoir poussé comme une plante. Et que dire du sofa éco-psychédélique inspiré des houppettes à poudrer des frères Campana pour Edra?

 

 

 

 Les matériaux très durables (allant à l'extérieur) sont aussi très prisés (voir le fauteuil Out/in de Philippe Starck pour Driade). On perçoit le même engouement pour les meubles composés de matières recyclées, comme le prouve la nouvelle collection 10-Unit System de l'architecte Shigeru Ban pour Artek.

 Enfin, le bois - souvent blond - fait un retour très remarqué. Matériau chaleureux par excellence, il injecte une bonne dose de réconfort en ces temps de turbulences économiques.

 Canapé pour baby-boomers...

 Le canapé Jean (chez B&B Italia) plaira à tous ceux qui - avec l'âge - n'ont plus envie de s'asseoir au ras du sol sur un meuble trop bas. Sans compter la difficulté de se relever... La hauteur comprise entre l'assise et le sol de ce sofa est de 46 cm, alors que celle d'un autre modèle de l'entreprise, le canapé Arne, est de 36 cm et celle du Charles, de 42 cm. Aussi: la profondeur de l'assise du canapé Jean - signé par l'irréprochable Antonio Citterio - a été réduite à 95 cm.

 Ce qu'ils m'ont dit...

  

 

 

Front

Les quatre designers suédoises derrière la marque hyper branchée Front sont ravissantes, brillantes et très stylisées.

 Confidence sur canapé... dont l'imprimé reproduit fidèlement l'image d'un tissu drapé (collection Moment pour Moroso). «Nous avons joué sur les illusions et les perceptions, comme cette image du bois reproduite sur un banc», disent-elles. Leur démarche? «Nous voulons illustrer l'importance de l'image dans le processus du design et comment la représentation d'un objet peut être aussi valable que le produit en lui-même.»

 Jaime Hayon

Artiste et designer de Barcelone très convoité.

 Il vit maintenant à Londres. Je l'ai croisé à la salle d'exposition d'Established&Sons. Je lui demande ce qu'il pense de la mode des éditions limitées et des pièces uniques très chères alors que nous traversons une période de crise économique.

 «Si une pièce a de la valeur et qu'elle raconte une histoire, elle gardera sa valeur avec ou sans la crise... Je viens du monde de l'art et j'ai commencé ma carrière avec des pièces en série limitée. Je me souviens d'avoir vendu un totem à 500 euros en 1996, alors que l'Espagne traversait une crise, et un collectionneur l'a rachetée plus tard à 90 000 euros...»

 

 

Ronan Bouroullec

Les frères Erwan et Ronan Bouroullec sont recherchés par les entreprises de design les plus innovatrices.

 Alors qu'il est assis sur son fauteuil Quilt, dans la salle d'exposition d'Established&Sons, il explique:

 «Ce sofa est une pièce un peu étrange et assez surprenante offrant une vraie qualité de confort. Ce qui est très important, car si le confort n'est pas juste, la pièce de mobilier est ratée... Mon frère et moi explorons de nouvelles formes et structures, mais les sociétés prêtes à investir beaucoup de temps dans la recherche sont rares...»

 Je lui pose une question indiscrète: combien gagne un designer de réputation internationale?

 «Bien souvent, les redevances ne sont que de 3% du prix de gros de chaque pièce vendue. C'est pour ça que plusieurs designers font de l'architecture intérieure. Nous l'avons d'ailleurs déjà fait. Il faut bien gagner sa vie!»

 Philippe Starck,

Superstar française du design

 «D'abord la bonne ou la mauvaise nouvelle, c'est que je ne suis pas mort. Je suis toujours là... Toujours obsédé par mes rêves de mutation, de perfection et toujours amoureux de ma femme... Je continue aussi d'explorer les territoires offerts par l'intelligence humaine dont je suis un grand admirateur, puisque je ne suis moi-même pas très intelligent...»

 Il aborde le sujet de la crise économique.

 «C'est un moment terrible, mais c'est aussi un moment formidable parce que c'est un temps de remise en question des valeurs, comme le capitalisme. En dehors de ça, il y a les priorités, comme les urgences écologiques et nous sommes toujours en train de développer des produits écologiques démocratiques, comme nos éoliennes qui vont enfin sortir. Après, nous aurons des produits photovoltaïques et nous travaillons également sur une collection de maisons préfabriquées écologiques de grande qualité et à bon prix...

 

 

Patricia Urquiola

Espagnole énergique, elle est considérée comme la reine du design.

 Je l'ai rencontrée au stand qu'elle a conçu pour Moroso.

 «J'adore le design du stand, c'est le projet dont je suis le plus fière. Pour ce qui est des sièges Rift (à couches superposées), je suis contente, mais pour la collection de canapés Fergana, c'est encore à l'étape des prototypes. Il va falloir travailler encore plus...»

 Vous avez dit honnête?

 Marcel Wanders

Designer-vedette très médiatique, il est cofondateur et directeur artistique de la marque néerlandaise Moooi.

 D'entrée de jeu, je lui demande si la crise actuelle affecte son travail.

 «Oui, il arrive que des projets soient annulés. Nous avons d'ailleurs conçu un superbe hôtel à Las Vegas avec un design fantastique... mais il ne sera jamais construit. Nous avons été payés, mais c'est quand même terrible!»

 Devant nous se trouve l'une de ses créations pour Moooi: une sorte de tirelire à dorures intitulée: The Killing of the Piggy Bank.

 «Je l'ai conçue expressément pour la crise», termine-t-il, mi-figue, mi-raisin.

 

Photo fournie par B&B Italia

Canapé Jean par Antonio Citterio pour B&B Italia.