Par nostalgie d'une époque révolue, pour l'amour des couleurs toniques et des formes fantaisistes ou pour préserver un patrimoine que d'autres regardent de haut, il sont plus nombreux qu'on le croit à avoir choisi de vivre dans un cadre à la fois hors du temps et... bien de son temps puisque, même - et surtout - chez des jeunes qui n'ont pas connu cette époque, la mode des années 50 et 60 ne semble pas vouloir s'éteindre.

L'appel à tous que nous avons lancé le mois dernier pour trouver des maisons «figées dans le temps» nous a en effet valu une moisson étonnante d'intérieurs inspirés des années 50, soigneusement entretenus ou recréés de toutes pièces par d'increvables passionnés.

Isabelle Clément, blogueuse, inlassable écumeuse de petites annonces et consultante en design d'intérieur, en sait quelque chose. Son blogue De la ruelle au salon, essentiellement axé sur la récupération de meubles et d'objets rétro, a conquis 26 000 abonnés en trois ans! «J'ai été la première étonnée, dit-elle. La popularité de la série Mad Men a probablement contribué à la mode du mid-century. C'est, pour bien des gens, l'époque de leurs grands-parents, c'est lié à des souvenirs d'enfance... De plus, les difficultés économiques ont fait en sorte qu'on n'a plus honte d'acheter de seconde main, alors que c'était impensable il y a 20 ans. On se valorise quand on trouve un trésor pour pas cher sur Kijiji, quand on arrive à faire beaucoup avec peu. En ce sens, c'est une mode très porteuse puisqu'elle fait appel au recyclage et à la réutilisation. Personnellement, ça me plaît aussi parce que j'aime les objets qui ont une histoire. Ça donne un côté humain, plus personnel au décor.»

«Chaque génération choisit des choses qui la distinguent de la précédente, avance de son côté France Vanlaethem, professeure à l'École de design de l'UQAM. On ne choisit surtout pas les mêmes meubles que ses parents quand on emménage. Or, pour les trentenaires, les objets des années 50 et 60 ont un côté "exotique", excentrique, d'autant plus que leurs propres parents les ont rejetés.»

«De plus, avec le mobilier mid-century, on peut avoir des choses jolies, bien faites avec de beaux matériaux, qui ne sont pas des copies, alors que tout ce qui émane de l'école Bauhaus a été copié et recopié.»

Bref, chacun a ses raisons de vivre dans un passé qui n'a rien de révolu!



Saint-Jérôme: une cuisine à visiter

C'est la cuisine de Papa a raison - euh, de sa femme, en tout cas. Aujourd'hui, les connaisseurs se pâment pour ces armoires d'acier (oui madame, en acier!) aux couleurs de mini-guimauves, le logo du fabricant Youngstown à l'effigie de Diane chasseresse, les électroménagers assortis.

En fait, depuis sa construction en 1959, bien peu de choses ont changé dans ce bungalow de Saint-Jérôme. Ni la cuisine, ni la salle de bains aux couleurs pastel, ni les meubles, ni les luminaires aux allures de spoutnik. «Mon grand-père aimait le neuf, il aurait pu décider de tout transformer au bout de quelques années, mais pour ma grand-mère, il n'en était pas question, explique Mariane Grenier, actuelle propriétaire de la maison. Elle aimait ses affaires! Tellement que cette cuisine est la reproduction exacte de celle qu'elle avait rue Letourneux, dans Hochelaga, laquelle était elle-même une copie conforme de celle de leur première maison, rue Maplewood, dans Outremont.»

Vérification faite, la cuisine de la rue Letourneux, à l'étage d'un petit immeuble commercial, n'existe plus. On se dit que c'est un miracle si ce bijou de design américain a résisté à la tornade des années 80, qui a remplacé par de la mélamine blanche (ou pire, beige) tout ce qui ressemblait à quelque chose.

Instinct de conservation

Mais pas du tout. C'est que la grand-mère de Mariane Grenier avait un remarquable instinct de conservation, dans tous les sens du terme: elle a vécu jusqu'à l'âge de 96 ans dans cette demeure sans jamais rien y changer, et elle a pris de tout un soin de philatéliste. «C'est sans doute pour ça que je suis devenue muséologue!» dit Mariane dans un éclat de rire.

Et la muséologue, en l'occurrence, a trouvé dans cette maison un remarquable terrain de jeu. Ses grands-parents, Georgette et Lucien Reed, étaient des gens avant-gardistes, qui voyageaient beaucoup, sortaient souvent, avaient une vie sociale active. À la fois témoins privilégiés et acteurs en vue de leur époque (Lucien Reed était un homme d'affaires prospère), ils ont laissé derrière eux des milliers d'objets, de souvenirs, de photos, de documents, que Mariane n'a pas encore fini d'inventorier.

Car Mariane Grenier a carrément transformé la maison en musée - du moins les parties que n'occupent pas le cabinet de son mari, qui est médecin, et l'appartement de plain-pied où elle-même a grandi, habité par des locataires.

Le cabinet a été aménagé dans ce qui était la chambre à coucher principale. Le salon, qui conserve ses meubles d'origine autour d'un superbe tapis à fleurs, sert à la fois de salle d'attente et de salle d'exposition.

Sur rendez-vous, on peut donc admirer, en plus de la cuisine aux couleurs fruitées et du joli salon d'époque, les petites expositions que Mariane prépare avec l'aide d'Ariane Roy-Marin, technicienne en muséologie. En ce moment, il y est question de l'émergence du tourisme au milieu du siècle dernier. Un double voyage dans le temps, en somme...

Muséocabinet. 571, rue du Palais, Saint-Jérôme. 514 941-0809. reseaumusealdeslaurentides.ca/museocabinet.cfm



PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Depuis sa construction en 1959, bien peu de choses ont changé dans ce bungalow de Saint-Jérôme. Sur la photo, Mariane Grenier, actuelle propriétaire de la maison.

Saint-Bruno-de-Montarville: ces jeunes qui aiment le vieux

La déco à la sauce années 50, Jasmine Houle lui voue une passion sans borne. Au point où tout, chez son amoureux et elle, a fait un grand retour dans le temps.

Jasmine Houle a 30 ans, mais elle confesse aisément qu'elle en a plutôt 8 quand il s'agit de décoration intérieure. Chez elle, le rose domine («Tout est tellement mieux en rose!»), de la table de cuisine en formica aux canapés d'angle, à l'origine jaune moutarde, qu'elle et son amoureux, Olivier, ont fait restaurer à grands frais.

«Oui, ça nous a coûté plus cher qu'on pensait, mais on n'aurait jamais trouvé la même qualité à ce prix dans le neuf», affirme Olivier, qui est comptable de profession. En fait, s'il n'avait pas d'attirance particulière pour ce genre d'objets quand il a connu Jasmine, il a fini par en voir l'intérêt, dans tous les sens du terme. Aujourd'hui, ils sont tous les deux mordus de rétro. Tellement qu'ils en font maintenant commerce dans une boutique en ligne appelée Jackie et John.

Ils habitent ce petit bungalow de Saint-Bruno-de-Montarville depuis trois ans, mais on dirait qu'ils l'ont hérité d'une grand-mère particulièrement conservatrice qui y aurait laissé tous les objets accumulés au cours de sa vie. Or, la grand-mère qui a effectivement transmis à Jasmine sinon ses trésors, du moins son amour pour les lampes tarabiscotées et les bibelots d'inspiration espagnole, ne saura jamais le rôle qu'elle a joué dans la vie de sa petite-fille. «J'adorais aller dormir chez elle. Je me revois à 8 ans sur son divan laineux fleuri... C'était tellement douillet! C'est un peu ça que je veux reproduire, je pense.»

De son propre aveu, Jasmine ne se reconnaît pas dans les tendances actuelles en matière de décoration. «Tout est beige, gris, grège!», dit-elle avec un rien d'exaspération. Ce qui l'a séduite dans sa petite maison de Saint-Bruno, construite dans les années 70, c'est qu'elle avait gardé ses propriétés de l'époque: pièces divisées (elle déteste les aires ouvertes), céramique funky, sanitaires jaune moutarde, portes western, bar au sous-sol... Olivier et elle passent énormément de temps à l'aménager, et le résultat est franchement fracassant.

Non seulement on se sent transporté 50 ans en arrière, mais Jasmine et Olivier ont réussi, non sans une bonne dose d'humour, à mettre en valeur des choses que tous regardaient avec mépris il n'y a pas si longtemps. «Nos parents nous trouvent un peu dingues. Quand on leur a dit qu'on enlevait le lave-vaisselle pour faire du rangement (il faut bien caser tous ces objets quelque part), ils nous ont regardés comme si on leur annonçait qu'on avait le cancer! Quand tu as ce genre de passion, il ne faut pas que le jugement des autres t'affecte...»

N'empêche, le bar du sous-sol remporte un succès boeuf lors des fêtes de famille . «La boule orange, la lampe Molson, ça ne laisse pas un mononcle indifférent!», conclut Jasmine avec un petit sourire.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Chez Jasmine Houle, le rose domine, de la table de cuisine en formica aux canapés d'angle, à l'origine jaune moutarde, qu'elle et son amoureux, Olivier, ont fait restaurer à grands frais.