Ève Martel adore les vieilleries. Mais elle sait les choisir. Et se débarrasser de celles qui ne font plus l'affaire. Elle pratique avec adresse l'art de l'éclectisme en décoration, tendance vintage authentique et ludique.

Le rétro, Ève Martel est tombée dedans comme dans une potion magique. Avec son père, enfant, elle fouinait déjà dans les bazars des Chevaliers de Colomb, les marchés aux puces et autres sous-sols d'églises aux mille trouvailles. Sa grand-mère aussi, dit-elle, était «très décor». Mais pas du tout décorum. Par exemple, se côtoyaient sur sa table, sans contradiction, les belles pièces d'argenterie et les tasses souvenirs des Nordiques de Québec. En plus d'un certain sens de l'agencement, Ève a hérité de son aïeule des meubles qu'elle reluquait depuis qu'elle était toute petite: un mobilier de chambre mauve, daté de 1971, qui comprend une commode sur laquelle on remarque, côté gauche, que la couleur a été altérée par la lumière du soleil.

Ève a été l'une des premières propriétaires à élire domicile au 4951, rue Ontario Est à Montréal, dans l'ancienne fabrique de la biscuiterie Viau du quartier Hochelaga-Maisonneuve, reconvertie en 2006 en 182 unités d'habitation. On y a gardé les briques, les poutres et les colonnes en bois massif d'origine. L'appartement d'Ève aurait autrefois servi à stocker le sucre et à fabriquer les bonbons clairs. Il fait exactement 1167 pi2. Les derniers chiffres font sourire lorsqu'on sait que la demoiselle collectionne les artefacts liés à Expo 67.

Dans son loft, compartimenté par des demi-murs, Ève a créé des petits mondes différents, pièce par pièce. Des vignettes pop et colorées. Toutefois, si le logement est un vrai cabinet de curiosités rétro, Ève se défend bien d'être une «ramasseuse», même si elle est consciente que la frontière est parfois vaporeuse entre l'accumulation et la collection. Pour éviter la confusion et la surcharge, surtout dans un espace à aire ouverte, elle s'en tient à quelques trucs: l'unité dans les détails (les formes arrondies, les cadres, tous noirs) et l'organisation par couleur (une vraie obsession, de son propre aveu). Et puis, chaque saison, elle trie, aère, édite. Récemment, de sa collection de cadrans des années 60, elle n'a gardé que les modèles blancs.

Sur son blogue de décoration (toctoctocentrez.com), où elle partage sa passion à coup de conseils et de découvertes, elle organise d'ailleurs une fois par année une «vente de garage virtuelle».

Tous les objets qui trouvent refuge dans son décor doivent répondre, dans l'ordre ou le désordre, à des critères de sélection. Il faut qu'ils soient beaux, qu'ils soient utiles, qu'ils la fassent rire. Et qu'ils racontent une histoire.

Parmi les plus rigolos, on trouve une dactylo rétro, chinée aux puces de Sainte-Foy, une photographie autographiée d'Alex Trebek, célèbre animateur du jeu télévisé Jeopardy, un livre de «sciences familiales», où l'on apprend comment vivre en harmonie en famille, deux versions vintage du View Master, ces «jumelles» qui permettent de regarder des images en trois dimensions. L'immense portrait d'enfants devant des jarres de bonbons, accroché au mur du salon, est tiré d'un rapport annuel de la biscuiterie dans les années 60 ou 70, récupérée de l'exposition Viau: des biscuits, une histoire à l'Économusée du fier monde.

Dans la salle de bains, les lettres rouges WC figuraient sur la marquise d'un cinéma aujourd'hui abandonné de San Francisco. En dessous, entre autres petits pots d'onguents, un contenant de nitrate de potassium acheté au Camden Market de Londres - un composé utilisé dans la fabrication de la... poudre à canon. Dans la cuisine, les lettres LUNCH ont été achetées à Stéphane Saint-Arnaud, brocanteur maintenant propriétaire de la boutique Du design, du kitsch et du rétro. Elles décoraient jadis l'un des vieux bâtiments de l'hôpital Saint-Luc.

Ici, pas de toc ni de copie. La table tulipe est signée Eero Saarinen, les chaises en porte-à-faux qui l'entourent sont des Panton. La chaise berçante, au salon, est une Eames. L'étagère danoise en bois de rose, avec luminaires intégrés (les abats-jour ont été modifiés), est une pièce mid century unique.

Avant de repartir, on remarque, perché au sommet de l'armoire de la cuisine, un drôle de service à thé, en forme de têtes de lutins. Un autre legs de sa grand-mère. Cette dernière, pour le rendre inaccessible aux mains de la petite Ève, l'avait juché en altitude. Aujourd'hui, maintenant qu'il lui appartient, Ève a toujours l'impression de le regarder à «hauteur d'enfant», comme à l'époque où il lui était interdit d'y toucher. L'anecdote rend bien compte de l'univers d'Ève: ludique, joyeusement nostalgique, truffé de souvenirs et de clins d'oeil à l'enfance.

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Quelques inspirations

Des blogues

>Chez Larsson

«Blogueuse suédoise, Benita Larsson m'inspire avec son sens de l'organisation, son style épuré et sa capacité à réaliser plein de projets elle-même.»

chezlarsson.com

>In Color Order

«Une blogueuse qui chine, qui fait des petits projets et qui est aussi obsédée que moi par la couleur et l'organisation.»

incolororder.com

>Apartment Therapy

«J'y vais surtout pour les house tours, des visites guidées qui me laissent entrer chez les gens pour m'inspirer.»

apartmenttherapy.com

Des boutiques

>Style Labo

«J'aime le mélange d'objets neufs et de pièces vintage industrielles, retapées avec amour par les propriétaires.»

5766, boulevard Saint-Laurent, Montréal,

www.stylelabo-deco.com

>Du design, du rétro et du kitsch

«J'y ai acheté plusieurs pièces uniques, comme les lettres qui sont dans ma cuisine et qui viennent d'un bâtiment de l'hôpital Saint-Luc.»

4038, rue Sainte-Catherine Est, Montréal,

facebook.com/DuDesignDuRetroetduKitch

>Marché aux puces de Lachute

«J'y vais quelques fois en été, le mardi, quand les marchands d'antiquités et d'objets rétro sont là. La journée de congé en vaut la peine!»

Route 148, à Lachute,

www.lachutefarmersmarket.com/Marche_aux_Puces.html