Les vieilles lunettes que l'on jette, Francine Noël les collectionne. Mieux, elle les transforme en libellules, en demoiselles, en tortues... L'imaginaire de l'artiste s'exprime avec les verres et les montures de dizaines, de centaines de paires de lunettes ramassées à droite et à gauche.

«Les verres de lunettes m'ont toujours fascinée, avoue l'artiste en entrevue, parce qu'ils me permettent de voir le monde à travers le regard des autres.» La réalité s'en trouve déformée, embrouillée, souvent grossie. Ce qui nous ramène à la question : «Est-ce que mon voisin perçoit la même réalité que moi en voyant un paysage, une scène du quotidien?» Une réflexion qu'elle explore depuis l'enfance à travers la musique, la peinture, les bas-reliefs, les estampes.

 

Mais ces dernières années, la sculpture a pris le dessus parce qu'un beau matin, Francine Noël a su quoi faire avec toutes ces paires de lunettes stockées dans son atelier. Une tortue est née, des libellules ont suivi. Montées sur une fine ossature d'acier, ces libellules - insectes au corps fuselé et aux ailes disproportionnées - renvoient des miroirs de la réalité à travers les disques de verre qui les composent.

Mélangeant verres fumés et verres transparents, les oeuvres «lunettes» de Francine Noël ont aussi pris un tour collectif parce que vous, moi, les autres y participons en fournissant la matière première. Et ces échanges avec monsieur et madame Tout-le-Monde, l'artiste ne pourrait s'en passer. Car à ses yeux, à peu près tout est recyclable. Ce qui lui permet de donner une deuxième vocation aux matériaux, de les mettre en valeur dans un tableau, une sculpture, un meuble grâce à la contribution de chacun.

Championne du recyclage

«Faire naître des oeuvres à partir d'objets récupérés fait partie de ma démarche artistique», dit-elle. Son atelier est d'ailleurs rempli de choses inusitées telles des cordes de guitare, des marteaux de piano, des ressorts, un banjo, des sceaux de protection de bouteilles de vin, des bouts de bois, des morceaux de cuir. Comme l'écureuil, elle fait provision de matières en attendant l'inspiration. «Mais, rassurez-vous, elle vient toujours», souligne l'artiste. À preuve, sa Chicken Spring est une sculpture composée exclusivement de bouts de ressorts. «La collection de ressorts, ç'a commencé il y a quelques années», dit-elle. Des spirales de cahier, des springs de jouets, des ressorts de mécanique ont peu à peu rempli des casiers, des pots jusqu'à la création de Chicken Spring, qui illustre de façon humoristique que l'homme est plus souvent qu'autrement juste sur une patte.

Ce regard moqueur, Francine Noël l'emploie aussi dans les bas-reliefs. Son oeuvre Seventine est un clin d'oeil à un des tableaux de la chapelle Sixtine où Dieu effleure la main d'Adam pour lui donner la vie. Mais l'Adam version Francine Noël est «évaché» sur un divan et «zappe» sur la télé.

Artiste multidisciplinaire, Francine Noël a également conçu des dizaines d'estampes et plusieurs peintures d'influence impressionniste. «Or, en ce moment, j'explore davantage la sculpture, dans laquelle j'aimerais ajouter la céramique.»

Mais à l'instar de tous les créateurs, Francine doit quitter son «atelier» de temps en temps histoire de se ressourcer, de voir le monde, de parler de tout et de rien. C'est pourquoi elle livre du courrier quelques heures par semaine. Et puis à force de parler de recyclage à ses voisins et amis, elle s'aperçoit que le bouche à oreille se fait et que les gens jettent de moins en moins. «Et pour moi, c'est déjà un bon coup de pouce à l'environnement», conclut-elle.

Pour informations :

www.francinenoel.com

courriel : taio@mediom.com