Si le jeu Clue devait se moderniser, le colonel Moutarde n'effectuerait plus sa sinistre besogne dans la bibliothèque. Il tuerait plutôt sa victime dans la salle d'ordinateur, quelque part entre l'imprimante et les haut-parleurs du iPod.

Si le jeu Clue devait se moderniser, le colonel Moutarde n'effectuerait plus sa sinistre besogne dans la bibliothèque. Il tuerait plutôt sa victime dans la salle d'ordinateur, quelque part entre l'imprimante et les haut-parleurs du iPod.

 Les constructeurs de maisons luxueuses constatent que les pièces de lecture fermées, même dans les demeures où il y a plus de chambres que d'occupants, se raréfient. Alors que la bibliothèque allait de soi pour les riches intellectuels du XIXe siècle, ils ne seraient plus qu'une poignée de romantiques à y tenir aujourd'hui.

 «On en voit encore, mais ce n'est pas commun, affirme Jean-François Voyer, entrepreneur à la tête de Constructions Voyer. Quand un propriétaire parle d'espace pour la lecture, il l'aménage souvent dans le coin retiré d'une très grande chambre principale, ou encore en haut de l'escalier qui mène au deuxième étage. Certains de nos clients aménagent de vraies bibliothèques fermées, mais c'est devenu très rare.»

 D'après Robert Sénécal, président des Habitations Supérieures, les propriétaires préfèrent de loin réserver une pièce pour l'ordinateur. «C'est devenu une pièce obligée pour la clientèle plus aisée, comme le garage ou la deuxième salle de bains», affirme-t-il.

 Malgré cela, le constructeur aménage des bibliothèques encastrées dans certains de ses modèles. «Ces étagères se trouvent dans des endroits ouverts qui pourraient servir à autre chose, précise l'entrepreneur. Nous pouvons aussi les enlever à la demande d'un client qui préfère installer ses livres dans la salle familiale, de manière plus informelle.»

 Doit-on regarder avec nostalgie ces grandes bibliothèques personnelles disparaître peu à peu? Oui, et non, croit Yvan Drouin, président et coordonnateur de Tours Kaléidoscope, qui organise des visites guidées sur l'architecture et le patrimoine montréalais. S'il craint que les livres ne suscite plus autant d'intérêt chez les jeunes d'aujourd'hui, il remarque que ce changement cache aussi des aspects très positifs.

 «Il y a plusieurs facteurs qui expliquent que les propriétaires d'aujourd'hui ne consacrent plus de pièce fermée à la lecture, avance-t-il. Un des plus important est la disponibilité des livres aujourd'hui. Il y a 100 ans, le clergé mettait plusieurs livres à l'index, et nous n'avions pas autant de bibliothèques publiques qu'aujourd'hui. Les livres étaient précieux, et plus rares, donc les riches intellectuels les conservaient et les collectionnaient. Aujourd'hui, ils circulent plus.»

 Dans les maisons et appartements centenaires, les bibliothèques d'autrefois sont toujours visibles, même si ces pièces ont changé de vocation. On reconnaît habituellement les anciennes pièces de lecture à leur petitesse. Les plafonds y sont souvent très hauts, et l'espace est agrémenté d'une grande fenêtre.