« J’ai ce besoin vital de bouger, de créer, de contribuer au discours collectif », affirme Caroline Monnet. D’une création à une autre, sans ordre apparent et sans cible précise, l’artiste multidisciplinaire d’origine algonquine monte un portfolio aussi riche que diversifié, auquel se greffe désormais une collection de meubles.

À 38 ans, Caroline Monnet a cette conscience aiguë que la roue tourne et que le temps file. Le regard perçant, la parole inépuisable, elle nous confie tenir difficilement en place. « Ce sont les autres qui me renvoient cette image d’être partout à la fois. Moi, j’ai la tête qui bouillonne d’idées et d’envies et j’ai toujours l’impression que je pourrais en faire plus. » On n’a d’ailleurs pas assez d’une vie pour tout faire, regrette-t-elle. Et vivre à moitié n’a jamais été une option.

« J’ai grandi en banlieue d’Ottawa, à Aylmer, dans une famille qui n’était pas artistique. Mes parents faisaient du boulot-trafic-dodo. Très jeune, j’ai su que ce n’était pas pour moi qui avais un esprit créatif et une imagination fertile. Je voulais voyager, vivre des expériences extraordinaires, avoir un métier passionnant. Plus tard, j’ai rencontré des artistes et je me suis dit : c’est ça que je veux faire. »

Elle a quitté la maison dès que l’occasion s’est présentée, mais sans jamais délaisser ce double héritage français et anichinabé qui alimente sa création.

« Je suis une voix autochtone parmi tant d’autres, c’est important de le préciser, mais j’ai la chance qu’on m’offre une certaine plateforme. À travers mon travail, je peux contribuer à défaire des stéréotypes, à changer les perceptions et les mentalités. Je veux l’utiliser de façon constructive. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Caroline Monnet

J’ai cette conviction que l’art peut contrer l’ignorance.

Caroline Monnet

Le champ des possibles

La revendication, dit-elle, n’est jamais le point de départ de ses créations. C’est souvent à rebours que l’œuvre dévoile sa charge symbolique. « Il y a ce désir de petite fille de changer le monde at large, mais je ne sais jamais comment une œuvre va évoluer et quel impact elle aura sur le public. Je raconte ce qui est important pour moi et je me dis que si ça me touche, ça en touchera sûrement d’autres. »

PHOTO ANDRÉ RIDER PHOTOGRAPHE INC., FOURNIE PAR HUMBLE NATURE

« Pour être bien et pour me sentir libre de créer, j’ai besoin de grandes fenêtres, que ce soit propre et que ça ne traîne pas trop », explique Caroline Monnet.

Les contraintes et le contrôle l’éteignent ; le champ des possibles l’allume, dit-elle. « J’aime qu’on me commande une œuvre parce que dans ce cas, j’ai un point d’ancrage. Je commence souvent par un carré, mais il peut ensuite se transformer en fresque. » Dans son parcours, l’amorce aura été la vidéo documentaire et expérimentale, une discipline qui s’est rapidement déployée dans la sculpture et d’autres sphères artistiques. « Je fais confiance à la vie. Un projet en amène un autre et plein de choses m’intéressent. »

L’art au service du design

Ces derniers temps, la vie la conduit à présenter une collection de meubles : une suite qui s’inscrit naturellement sur sa feuille de route. « J’aime les belles choses et j’utilisais déjà beaucoup de logiciels de design pour créer. L’architecture, la construction et le design ne sont pas si loin de ce que j’ai fait jusqu’à maintenant. Tout ça a du sens dans ma volonté de générer de la beauté. »

Je crois fermement que les habitats dans lesquels on vit ont un impact sur nous. On construit nos maisons et nos maisons nous construisent en retour.

Caroline Monnet

Chaque week-end, et dès qu’elle en a l’occasion, l’artiste quitte son pied-à-terre montréalais pour regagner son havre en forêt dans l’Outaouais. Sa maison y est ponctuée de bois, de ciment, de métal et d’objets provenant de petites entreprises locales. Le style est minimaliste. « Pour être bien et pour me sentir libre de créer, j’ai besoin de grandes fenêtres, que ce soit propre et que ça ne traîne pas trop. »

Sa vision du design n’est pas autochtone, précise-t-elle en refusant les étiquettes. La même réflexion s’applique d’ailleurs à toutes ses créations. « Le design autochtone, c’est du design international, mais la narrative derrière un projet est forcément influencée par la culture, la philosophie, le bagage sociopolitique et spirituel. En tant qu’artiste, on me donne une direction. Je fais mes recherches et je me questionne : est-ce que ça a du sens, est-ce que c’est authentique, est-ce que ça part d’une bonne place ? Je laisse ensuite la recherche se manifester dans les formes. »

La création de la collection Amik
  • Les deux pièces que Caroline Monnet a créées pour Humble Nature, une chaise et une table aux lignes fluides.

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    Les deux pièces que Caroline Monnet a créées pour Humble Nature, une chaise et une table aux lignes fluides.

  • La collection est faite à la main au Québec avec des ressources locales.

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    La collection est faite à la main au Québec avec des ressources locales.

  • Une légende tirée du répertoire culturel anishinabé a inspiré l’artiste.

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    Une légende tirée du répertoire culturel anishinabé a inspiré l’artiste.

  • La réalisation des meubles a été un véritable défi.

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    La réalisation des meubles a été un véritable défi.

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Amik : les ondulations du bois

À l’époque glaciaire, un castor géant a tapé de la queue contre la surface de la Terre et a fait onduler le territoire pour façonner les collines de l’Outaouais. Cette légende, tirée du répertoire culturel anishinabé, a été le point de départ pour la création de deux pièces signées Caroline Monnet pour Humble Nature — une chaise et une table aux lignes fluides — qu’on imagine se fondre dans un environnement naturel.

La collection Amik est entièrement faite à la main au Québec avec des ressources locales. « Ç’a été un véritable défi de réaliser ces pièces en raison de leurs courbes inégales, mais c’est l’essence même de ces créations et on a voulu être fidèle à la vision de l’artiste », précise Valérie Guilmette, directrice générale du fabricant de meubles Humble Nature (Groupe Saint-Damase).

Son mobilier, Caroline Monnet l’imagine enveloppant, rassembleur. Deux personnes ou plus peuvent facilement s’y déposer. « Je voulais que ces pièces fassent un avec le corps et le territoire ; qu’elles soient ludiques, multigénérationnelles, communautaires. Les enfants peuvent s’amuser autour et dessous, les plus âgés, s’y asseoir. J’ai pensé à mon père qui n’arriverait pas à s’étendre dans la chaise, mais qui pourrait facilement utiliser la table comme banc. »

Humble Nature a donné carte blanche à l’artiste pour le choix d’un organisme à qui seront remis 5 % des profits générés par la vente. Caroline Monnet a sélectionné Mikana, un organisme à but non lucratif dont la mission est d’éduquer et de sensibiliser les gens aux réalités et perspectives de la population autochtone.

La collection Amik est offerte sur commande.

Consultez le site d’Humble Nature Consultez le site de Mikana

Qui est-elle ?

Caroline Monnet est une artiste multidisciplinaire. Avant d’entreprendre son parcours en arts visuels, elle a étudié la sociologie et la communication aux universités d’Ottawa et de Grenade. C’est une autodidacte en arts.

Elle a fait des expositions solos en France, à New York, à Montréal et à Francfort. Des collections permanentes accueillent ses créations en Amérique du Nord et à l’UNESCO (Paris).

Elle a remporté les prix Pierre-Ayot, Sobey, REVEAL des arts autochtones ainsi que la bourse Merata Mita du Festival Sundance.