Qui n’est jamais passé devant un beau meuble déposé dans la rue en songeant : « Wow, quelqu’un a vraiment jeté ça ? Quel dommage. Je le verrais bien dans mon salon… » Un groupe Facebook, devenu très populaire en 2020, propose justement d’identifier et de localiser des pièces de mobilier abandonnées et récupérables, avant que les éboueurs ne les réduisent en poudre, si jamais quelqu’un souhaitait leur donner une seconde vie.

De superbes commodes, des chaises vintage, des pianos à gogo, des miroirs anciens, des sofas fatigués… impossible de se balader plus de 100 mètres à Montréal sans tomber sur des meubles déposés dans la rue, laissés à leur triste sort. Certains sont en excellent état, d’autres ont besoin d’un peu (beaucoup) d’amour.

Mais si leurs anciens propriétaires n’ont pu trouver un nouvel acquéreur (en ont-ils seulement cherché un ?), les quelque 19 000 membres du groupe Facebook « Meubles abandonnés à Montréal » se proposent de le faire. Le principe est très simple : n’importe quel membre de la communauté peut publier la photo d’un meuble abandonné, en précisant l’endroit exact où il se trouve dans la métropole. Les internautes intéressés auront alors la possibilité de le récupérer, en signalant aux autres s’ils sont passés à l’acte.

Fondé en avril 2019 avec 2500 membres, le groupe a connu une croissance fulgurante en 2020. Derrière les portes du projet, se tient un collectif d’artisans, Les Gaspilleurs, dont la mission est justement de donner une deuxième vie au mobilier fatigué par le temps, y compris celui récupéré dans les rues.

« Au départ, on s’est retrouvés dans une situation où beaucoup de personnes nous signalaient des meubles abandonnés, et cela a vite dépassé notre capacité à tout gérer. Nous avons alors décidé de développer une communauté qui puisse se gérer par elle-même », explique Karel Ledru, ébéniste et fondateur des Gaspilleurs, qui compte deux artisans à temps plein et plusieurs collaborateurs occasionnels.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Parfois, il suffit de pas grand-chose pour rattraper un meuble jeté. Karel Ledru évoque par exemple certaines chaises IKEA pour lesquelles on peut simplement racheter une housse (il ne s’agit pas de celles vues sur cette photo).

M. Ledru trouve toutefois navrant que l’un des premiers réflexes des particuliers soit de se défaire de leur mobilier en le déposant dans la rue, espérant que quelqu’un le prenne en charge. « Tous les meubles ne sont pas ramassés. Pour moi, cela devrait être la dernière solution. On vit dans une culture où l’on veut que les choses aillent vite, et certains ne prennent pas le temps, quand ils achètent un nouveau meuble, d’attendre que l’autre soit parti », regrette celui qui a fondé un deuxième groupe Facebook, visant justement à publier des annonces de meubles à donner ou à vendre, baptisé « achat/vente/don de meubles rescapés ».

Les miroirs d’un besoin

Pour éviter que ces groupes ne deviennent un souk incontrôlable, une petite équipe de modérateurs a été montée, afin de maintenir la qualité des publications, qui furent au nombre de 4100 en 2020. Les administrateurs voient ainsi passer de tout, de la chaise de dentiste à la télévision des années 70.

À donner : entre classiques et insolites

  • Les membres du groupe publient une photo du meuble et indiquent l’endroit où il se trouve. Ensuite, c’est premier arrivé, premier servi. Ici, un beau vaisselier abandonné. À qui la chance ?

    PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK MEUBLES ABANDONNÉS À MONTRÉAL

    Les membres du groupe publient une photo du meuble et indiquent l’endroit où il se trouve. Ensuite, c’est premier arrivé, premier servi. Ici, un beau vaisselier abandonné. À qui la chance ?

  • Certains meubles sont très abîmés, mais d’autres s’avèrent en excellent état.

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    Certains meubles sont très abîmés, mais d’autres s’avèrent en excellent état.

  • Les très classiques chaises à donner. La désinfection et le passage à la vapeur chaude sont hautement préconisés.

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    Les très classiques chaises à donner. La désinfection et le passage à la vapeur chaude sont hautement préconisés.

  • Mignonne petite table cherche nouveau propriétaire avant de finir ses jours dans une benne.

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    Mignonne petite table cherche nouveau propriétaire avant de finir ses jours dans une benne.

  • Cette petite commode ancienne aimerait bien vivre quelques années de plus.

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    Cette petite commode ancienne aimerait bien vivre quelques années de plus.

  • Un hipster regarde la télé sur une télé cathodique de 2001. Un VRAI hipster regarde la télé sur cet engin récupéré dans la rue. HD non garantie.

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    Un hipster regarde la télé sur une télé cathodique de 2001. Un VRAI hipster regarde la télé sur cet engin récupéré dans la rue. HD non garantie.

  • Un piano-orgue, prêt à se jeter dans les bras musclés de quiconque sera capable de le déplacer.

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    Un piano-orgue, prêt à se jeter dans les bras musclés de quiconque sera capable de le déplacer.

  • Qui veut un canot gratuit ? Un prix qui peut faire couler la concurrence. Mais peut-être que l’objet coulera également par lui-même. Pour le savoir, il faut l’essayer.

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    Qui veut un canot gratuit ? Un prix qui peut faire couler la concurrence. Mais peut-être que l’objet coulera également par lui-même. Pour le savoir, il faut l’essayer.

  • Ce que l’on suppose être un tourne-disque. À moins qu’il ne s’agisse d’un meuble extraterrestre ?

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    Ce que l’on suppose être un tourne-disque. À moins qu’il ne s’agisse d’un meuble extraterrestre ?

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Pour l’instant, l’initiative se limite à l’île de Montréal, qui représente déjà un défi de gestion important. « Ce n’est pas que l’on pense que ça ne marcherait pas ailleurs, mais on se concentre sur la communauté que l’on connaît bien, dans laquelle on vit, et c’est déjà beaucoup de travail », rappelle Karel Ledru. Libre aux vaillants volontaires, donc, de fonder des groupes du même genre aux quatre coins de la province. Une page similaire consacrée à la ville de Québec a en effet été lancée, mais manque encore d’élan, avec 79 membres seulement.

Très conscients de l’épineuse menace des punaises de lit, les gérants du groupe ont appelé à plusieurs reprises à la précaution, recommandant fortement de passer le mobilier récupéré à la vapeur très chaude. Quant à l’autre spectre pandémique qui a empoisonné 2020 (11 lettres, commence par « co », finit par « us »), il faut faire appel au bon sens : la désinfection complète des objets est plus que jamais recommandée.

> Visitez la page Facebook du groupe Meubles abandonnés

> Consultez la page du groupe Achat/Vente/Don de meubles à Montréal

Pour les adeptes d’IKEA

Un autre groupe Facebook consacré aux meubles de seconde main a attiré notre attention. Le très populaire « IKEA-Meubles et articles usagés à vendre ou à donner », qui compte près de 71 000 membres, publie des annonces de Québécois passionnés qui ne jurent que par la marque suédoise. Et les règles sont strictes : le moindre mobilier annoncé griffé d’un autre fabricant sera immédiatement censuré !

Fondé au départ pour obvier aux fréquentes ruptures d’inventaire chez IKEA, il rassemble aujourd’hui des adeptes qui cèdent ou vendent des articles, cherchent des conseils, des pièces ou de l’aide. « C’est un peu comme une religion, c’est une communauté très exigeante qui connaît très bien le matériel, les délais de livraison », indiquent Sébastien Godbout et Sam Cherhabil, qui ont hérité de l’administration du groupe il y a deux mois et de la gestion de 250 nouvelles publications et 150 demandes d’inscription quotidiennes. « C’est beaucoup de travail pour avoir juste des annonces de qualité, vérifier que les meubles sont bien IKEA, éviter les tentatives de fraude et les faux profils qui cherchent à s’infiltrer », lâche le duo, qui n’a pas remisé sa fibre entrepreneuriale au placard : ils ont également fondé Gomove, une application de livraison de style « Uber » qui aide les membres, au besoin, à pouvoir transporter les articles achetés, vendus ou donnés.

Pas de doute : au Québec, IKEA fait aujourd’hui partie des meubles !

> Consultez la page du groupe IKEA