Le condor du Tiradito, la main jaune du Super Qualité, l’« artsy fartsy » des toilettes du Pastel Rita, toutes ces enseignes lumineuses sont l’œuvre d’un même artiste, Gérald Collard, emporté par un cancer foudroyant l’an dernier. Sa fille Gabrielle s’acharne désormais à poursuivre le travail de son père et à maintenir son entreprise en vie – une promesse qu’elle a faite à son père sur son lit de mort – en tâchant de démocratiser ce type d’œuvres. Un tube fluorescent dans le salon, chez soi ? Pourquoi pas ?

C’est une bien lourde commande que Gérald Collard a donnée à sa fille unique, l’an dernier. « Il m’a demandé juste avant de mourir de reprendre la shop, confie Gabrielle. Néon Family, c’était le rêve de sa vie, il avait toujours voulu avoir sa business à lui. On l’a fondée au début de 2014. À la fin de l’année, il apprenait qu’il avait le cancer. » Une forme foudroyante. Incurable. Douloureuse.

Gérald a continué à travailler jusqu’à la fin – il n’a arrêté que deux semaines avant sa mort –, affaibli et malade. « Je pense que le néon [tube fluorescent], c’était la chose qu’il aimait le plus au monde. Il a eu une vie assez difficile. Mais il n’a jamais lâché ça, et il en était fier. »

Il faut dire qu’il a laissé sa marque un peu partout à Montréal. « C’est l’un des artistes les plus présents en ville. Bon, évidemment, ça se discute parce qu’il ne faisait pas toujours le design, mais je pense que c’est un art. Un slow art, un métier qu’une poignée de gens en Amérique du Nord savent faire seulement. » Il a aussi prêté son savoir à des artistes contemporains pour la réalisation de certaines œuvres d’art, dont une pièce de Joi Arcand, une artiste crie, qui est exposée à l’ONU.

Un retour ?

Le tube fluorescent a connu plus d’une heure de gloire. Dans les années 1950, d’abord – on pense à Las Vegas –, puis dans les années 1980 – rappelez-vous l’affiche du film Cocktail (1988) –, avant d’être délaissé au début des années 2000, au profit des affiches en lumières DEL, autrement économiques. « Mais depuis quelques années, on observe un revival, dit Gabrielle. Il y a un retour du vintage. Les gens veulent encourager les artistes locaux. Et puis, un néon, c’est comme une sculpture, c’est unique, fait sur mesure. »

Gabrielle Collard n’a pas repris les outils de son père. Elle continue de s’occuper du volet logistique, de la paperasse et des communications. « Je n’ai aucune dextérité. Et puis, ça prend cinq ans pour être formé, il n’y a pas grand monde qui voudrait passer 40 heures par semaine pendant cinq ans avec son père pour apprendre son métier ! »

La fabrication des tubes fluorescents se poursuit donc grâce à une apprentie de Gérald, Anna Dohemers. C’est à son tour de transformer les tubes de verre, droits, en dessins alambiqués, en soufflant le verre chauffé pour lui donner la forme voulue, avant d’y injecter un gaz – de l’argon ou du néon – et de sceller le tube pour qu’une fois branché, la lumière créée soit rose, orange, bleue, verte, jaune, alouette.

Un néon allumé sur un mur, ça m’émerveille encore comme la première fois. Je trouve ça incroyable. Fascinant. C’est vraiment compliqué à faire, il y a du verre en fusion, du gaz, c’est dangereux à faire, il y a un côté industriel, mais en même temps, c’est un travail artistique, et c’est très zen, somme toute.

Gabrielle Collard

D’ailleurs, les restaurateurs ne sont plus les seuls à recourir aux tubes fluorescents pour mettre la touche finale à un décor. De plus en plus, des particuliers en installent chez eux. « On a eu beaucoup de contrats pour des lofts. C’est encore mieux quand le condo est encore en construction, on peut faire mettre les fils dans le mur et avoir un beau néon, bien haut, sortant directement du mur », explique Gabrielle Collard. Le prix est celui d’une œuvre d’art. Les tarifs oscillent de 400 $ pour un motif assez simple – un cœur, par exemple – à 1000 $ pour une œuvre plus complexe et de grande taille. Un néon dure en moyenne 50 ans, sauf accident. Et, oui, on peut souvent le réparer.

La COVID-19 a ralenti la production chez Néon Family. Logique : la plupart de ses clients sont des restaurants et des cafés. Certains ont ajouté une affiche très appropriée, « À emporter », mais la crise fait mal. « On ne se verse pas de salaire, mais on aurait besoin de quelques contrats pour payer les factures. » Histoire, surtout, de poursuivre le rêve de Gérald Collard et de garder la « famille » bien vivante. Un tube fluorescent à la fois.

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