S’ils avaient vécu en Europe, Pierre Boivin et Nicole Petit auraient peut-être fait l’acquisition d’un château. Au Québec, la royauté n’a pas pris racine, mais la foi a semé en revanche des milliers de clochers qui cherchent maintenant preneur. Le couple a saisi l’occasion de restaurer une partie de ce patrimoine et fait d’une église des Cantons-de-l’Est une demeure hors de tous standards.

Au cœur de la vivante bourgade de Frelighsburg, dans les Cantons-de-l’Est, sur un terrain en pente traversé par la rivière aux Brochets, l’église de Saint-François-d’Assise et son presbytère surplombent le village. Depuis 2015, le domaine s’est refait une jeunesse aux mains d’une famille de bâtisseurs et brille d’un éclat nouveau.

Rénover ces bâtiments vieux de 1884 pour les convertir en résidences était un projet colossal. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Pierre Boivin et son fils Loïc, huitième et neuvième génération de bâtisseurs au Québec, n’ont pu résister à l’idée de les faire leurs. Le père a pris l’église et le plus jeune, le presbytère.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

« Ce type de bâtiment est indémodable, observe Pierre Boivin, copropriétaire avec son fils de l’entreprise de construction Domus Moderna. Dans 100 ans, cette église sera encore là. »

« Je me suis payé un trip, avoue Pierre, nullement intimidé par l’ampleur des travaux ou le côté sacré des lieux. Il y a un petit côté solennel qui me plaît bien. »

Cette vision des choses était cependant loin d’être partagée par sa conjointe Nicole, d’abord réfractaire à l’idée de quitter une demeure contemporaine à Sutton pour habiter dans une église. « J’éprouvais un malaise à vivre dans un bâtiment chargé de cette histoire. Ça me paraissait sombre et austère. » Les travaux, finalisés il y a un an, donnent un résultat tout autre, convient-elle aujourd’hui sans regret.

Préserver l’histoire

Le défi était d’insuffler dans les lieux un esprit contemporain, sans dénaturer l’héritage néogothique du bâtiment. Le faire aussi sans froisser les plus anciens du village, pour qui la vente de l’église était un mal nécessaire. « Je pense que les gens du village sont généralement contents du résultat. On y a mis énergie, argent et effort pour préserver le bâtiment original », souligne le propriétaire.

Le revêtement de briques et l’ancienne tôle « à la canadienne » du toit de l’église ont été restaurés pour leur redonner leur lustre d’origine. Le toit des annexes, situées à l’arrière de l’église, est maintenant recouvert d’une nouvelle tôle couleur fusain. C’est dans ces deux derniers bâtiments que se sont installés les bureaux de Domus Moderna, l’entreprise de construction familiale.

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Un grès imitant le marbre donne le ton à la salle de bains principale, élégante et moderne.

Pour offrir plus d’intimité aux occupants, l’entrée a été déplacée sur le côté du bâtiment alors que l’ancien porche donne désormais accès à la terrasse et offre une vue sur les collines environnantes. Peu retouchée dans sa forme, la structure a toutefois dû être renforcée, tandis que l’isolation et le chauffage ont été entièrement repensés pour correspondre aux normes actuelles.

À l’intérieur, plusieurs détails ne mentent pas quant à l’origine du bâtiment, comme cette sonorité propre aux églises ou, encore, cet orgue qui trône au milieu du salon et dont les 380 flûtes emplissent parfois l’espace de notes majestueuses. À moins que ce ne soit la cloche de 850 lb, coulée à l’époque dans une fonderie de Baltimore, qui sonne à l’occasion dans le village parce qu’aucun visiteur ne peut résister à l’envie de la faire chanter.

Mais autrement, une fois le nouveau porche franchi, c’est bel et bien dans une maison qu’on pénètre.

Rendre l’immense chaleureux

Le vaste espace de 40 000 pi3, encadré par de solides poutres et colonnes mises en valeur dans le décor, offrait une immense toile blanche sur laquelle créer. « Structurellement parlant, c’était une salle de danse », s’amuse Pierre, qui s’est concentré sur les travaux structurels et l’architecture, tandis que Nicole s’est chargée de l’aménagement intérieur avec sa sœur Danièle Petit, de la firme de design d’intérieur DP Espace design.

À certains endroits, les plafonds atteignent 30 pi de haut. Le salon profite de cette pleine hauteur tandis que sous le jubé, dans une aire déjà plus basse de la nef, la cuisine et la salle à manger ont été installées. La salle de lavage et l’entrée occupent quant à elles l’ancien autel.

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La propriétaire Nicole Petit (à droite) a fait équipe avec sa sœur Danièle Petit, de DP Espace Design, pour dessiner l’intérieur du bâtiment.

On n’aborde pas la rénovation d’une église comme celle d’une maison conventionnelle, souligne la designer.

« Travailler avec des espaces aussi vastes, c’est encore plus difficile qu’avec des petits. Ici, le défi était notamment en hauteur. On voulait garder le côté grandiose des lieux tout en ayant l’impression d’entrer dans une maison chaleureuse. »

Le principal souci de Nicole, habituée à des espaces ouverts et généreusement vitrés, était de maximiser la lumière. Les fenêtres ont été agrandies jusqu’au sol, tout en conservant les ogives. Une seule fenêtre a été ajoutée, soit celle qui comble le trou laissé par le retrait d’un bâtiment liant l’église au presbytère.

À l’étage, une passerelle surplombe désormais l’aire de vie et donne accès aux chambres sans entraver la lumière qui traverse la demeure d’un bout à l’autre. « Rien ne bloque la vue, fait observer Danièle. L’ensemble pourrait avoir l’air froid, mais le fait qu’il y ait quelques divisions [comme ces semi-cloisons qui délimitent le salon de la salle à manger et de l’escalier] fait en sorte que ce soit plus enveloppant. »

Pierre a construit bien des maisons au cours de sa carrière. Rénover une église était cependant une première. Le travail, observe-t-il, a été quasi artisanal, ce qui n’a pas été sans lui déplaire. L’intérêt de cette maison repose dans son aspect historique, indique l’amateur d’architecture, maintenant sous le charme de cet amalgame de nouveau et d’ancien. « Le plus fascinant dans tout ça a été de se dire qu’on se construisait une maison dans un bâtiment presque éternel. Nos églises, ce sont nos châteaux. »