Ça commence souvent par un coup de coeur, puis d'achats en trouvailles, le passe-temps devient collection. Puis passion, qui envahit toute la maison! Au cours des prochaines semaines, nous vous présentons des collectionneurs aguerris... et certains de leurs plus précieux objets.

De la curiosité, de la patience, un peu de chance, beaucoup de passion et un brin de sagesse. Voilà ce qui a fait de Laurier Fluet un collectionneur fier et respecté de ses pairs pour la pertinence de sa chasse aux pintes de lait.

Laurier Fluet est né au milieu de la Seconde Guerre mondiale dans une famille de 17 enfants conçus en 20 ans par la toute petite femme d'un bon père de famille qui vivait de la terre. C'était au temps où les laitiers déposaient de porte en porte la boisson riche et froide conservée dans des pintes de verre. C'était avant l'avènement du breuvage sans lactose et du 2%, avant aussi qu'une poignée de géants - Agropur, Parmalat et Saputo - n'avale la presque totalité des petites laiteries indépendantes du Québec, car si elles dépassaient le millier au plus fort de leur existence, on ne compte plus aujourd'hui que six entités.

Il y a un peu de nostalgie pour ce passé et beaucoup d'amour pour sa patrie dans le fait que Laurier Fluet accumule par centaines les demiards*, les chopines et les pintes ornés des noms de ceux qui embouteillaient jadis le fruit de leur labeur. Avec son prénom hérité de la mémoire de celui qui fut le premier Québécois à se hisser au rang de premier ministre canadien, Sir Wilfrid Laurier, notre homme semble né avec un gène patriotique!

«Un jour, se souvient-il, je suis allé chez un laitier à la retraite qui m'a impressionné par la quantité et la diversité de bouteilles qu'il avait amassées. J'en suis ressorti avec la piqûre. La grosse piqûre!»

Jean-Guy Comptois, qui est le créateur d'un site internet retraçant l'histoire des laiteries du Québec, est un autre collectionneur qui a vivement alimenté le feu de sa convoitise.

Très vite, c'est-à-dire en une dizaine d'années, Laurier Fluet s'est inscrit parmi le tout petit noyau d'amateurs québécois sérieux. «J'ai fait ça agressivement, confesse-t-il. J'allais à toutes les ventes d'antiquités et j'arrivais parmi les premiers. Les bouteilles de la laiterie de Granby figurent parmi les premières que j'ai acquises. Sur la face arrière, c'est écrit: «Gardez cet entrain de jeunesse avec votre lait!» » C'est justement ce qu'il a fait.

Chaque laiterie est porteuse de son histoire. Celle de Cap-Santé nous rappelle que dans les années 50, la pinte se vendait 18 cents... et demie! Celle de Brownsburg précise sur ses bouteilles que celles-ci valent plus cher que leur contenu et, par conséquent, qu'elles font le strict objet d'un prêt. De son côté, Ernest Cousins, un florissant laitier montréalais qui faisait ses livraisons à dos de cheval, ne s'est jamais caché de son aversion pour ce qu'il vendait et du fait que pas une goutte n'a traversé son gosier jusqu'au moment de sa retraite, à 97 ans.

Difficile aussi de taire la devise de la laiterie Mile-End, campée rue Saint-Dominique: S'unir pour survivre. Une annonce publiée en 1944 clamait: «Tout citoyen qui se préoccupe des destinées de sa race doit apporter à l'agrandissement de l'édifice national l'appui de son effort, si modeste soit-il!»

Questionné sur son intérêt pour les bouteilles américaines, M. Fluet réplique: «Nul». De fait, seules deux bouteilles du lot, retenues pour leur dessin élaboré évoquant la bataille de Sault Sainte-Marie, sont ontariennes.

Si elle indiffère ses enfants, la passion de Laurier pour ces antiquités dont certaines remontent à l'époque où les numéros de téléphone n'affichaient que deux chiffres, a le grand mérite d'être partagée par sa compagne des 30 dernières années. À 73 ans, toutefois, la question se pose. Quand est-ce qu'on arrête? Qu'est-ce qui détermine la limite? «La folie du collectionneur, répond-il. Et l'âge, un jour, qui oblige la migration vers un environnement plus petit. Je n'ai pas commencé à me détacher, conclut-il, mais je m'excite moins quand il faut y mettre le gros prix.» Et Laurier d'espérer la relève.

*Un demiard correspond à la moitié d'une chopine ou au quart d'une pinte (0,284 L).

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