Rouge vif? Bleu pervenche? Olive? On retient toujours d'un passage aux Îles-de-la-Madeleine les tonalités pétillantes de ses plus belles maisons sur fond bleu de mer. Mais que cachent-elles à l'intérieur? Après des années plus difficiles, la revitalisation du patrimoine bâti a la cote. Cette semaine, le premier volet de notre dossier met en vedette deux histoires de constructions récentes menées avec brio pour vous donner envie de prendre le large.

UNE VIEILLE MAISON TOUTE NEUVE

Suzanne Vigneau n'a pas lésiné sur les efforts pour avoir sa maison traditionnelle aux Îles-de-la-Madeleine: à 42 ans, elle a repris ses études et a suivi une formation de deux ans de charpentière. D'éducatrice, elle s'est transformée en bâtisseuse remarquable: personne ne pourrait se douter que le maître d'oeuvre de cette jolie demeure de Havre-aux-Maisons est cette femme douce de 5 pi 2 po aux mains délicates.

« Mon chum a eu vraiment confiance en moi et beaucoup d'humilité pour dire qu'il habiterait dans une maison construite par une femme », se plaît-elle à dire.

Suzanne Vigneau a calqué ses plans sur ceux de la résidence de son arrière-grand-père maternel. Elle a respecté le périmètre traditionnel (20 pieds par 24), trichant seulement pour la cuisine d'été (cette petite rallonge où l'on préparait les repas pendant la saison chaude pour éviter de réchauffer toute la maison), qu'elle a hivernée et dont elle se sert toute l'année. Elle a recouvert la maison de bardeaux de cèdre naturel, avec, pour seuls artifices, une petite dentelle de bardeaux et deux lucarnes. Elle a délibérément rayé le plancher de bois pour imiter le passage des années. On dirait celui d'un magasin général qui a connu des générations de clients. C'est une maison neuve qui a déjà du vécu.

La décoration intérieure est plus ancienne que contemporaine, émaillée de trésors dénichés chez les antiquaires. « Je veux retrouver la simplicité d'autrefois, une vie suivant le rythme du soleil et le piaillement des oiseaux », dit-elle. Dans l'entrée sont accrochées des photos en noir et blanc de ses ancêtres, dont son père. « Même malade, il venait encore pour me donner des conseils. Il était très fier. »

Cet été, elle décorera les fondations de pierres des champs. « Je suis loin d'avoir fini, lance-t-elle, un peu de fatigue dans la voix. Mais on dit ici qu'une maison terminée est une maison où le diable peut entrer, alors ce n'est peut-être pas si mal. »

 

PETITE MAISON GRANDS ESPACES

Des poutres d'acier rongées par les intempéries. Des galets polis par le sable faisant office de bois dans le foyer. Et des fenêtres immenses donnant sur le large, le vent et la brume: la petite maison de Charlotte Michaud ne boude pas le climat si rigoureux des Îles-de-la-Madeleine, elle le laisse régner en roi et maître. Il dicte le décor quotidien du rez-de-chaussée à aire ouverte et depuis lequel, les jours de temps clair, le regard porte bien au-delà des falaises rouges du bout de son terrain, jusqu'aux bateaux de pêcheurs de homard, alors que par temps maussade, on ne distingue même plus les chaises orange vif du jardin. Comme si la brume pénétrait littéralement dans la maison. Comme si on ne faisait qu'un avec l'extérieur.

C'est pour cela qu'il y a si peu de mobilier. « Les meubles, ça dérange l'espace », lance Charlotte Michaud d'un ton évident. Elle n'a conservé, à l'étage, qu'un minuscule bureau dissimulé dans sa garde-robe. Son monde est lilliputien et vaste à la fois du fait de son dépouillement.

Vivant seule, Charlotte Michaud a aménagé un sentier sur son terrain pour les touristes, histoire de mettre un peu d'action dans une mer de tranquillité, mais protégé son intimité en achetant deux terrains voisins et éviter toute construction disgracieuse dans son champ de vision.

Les murs sont décorés de quelques oeuvres d'artistes d'ici: une ribambelle de poissons d'acier d'Annie Morin, une assiette de l'atelier La Méduse en verre soufflé orange et bleu, rappelant les couleurs de la mer et du sable au loin. « Je voulais que cela soit simple, insiste-t-elle. Qu'a-t-on besoin de plus quand les couchers de soleil sont si jolis que les touristes applaudissent spontanément? »

Photo Alain Roberge, La Presse

Le bardeau de cèdre est un matériau de choix pour affronter le climat sans pitié des Îles-de-la-Madeleine.