Quelques mois plus tôt, c'est Louise Émond qui mettait fin aux activités de Kéramos, une vitrine pour les céramistes d'ici. Au début de l'année, la boutique gourmande Terre et mer, de la chef et céramiste Marie-Lucie Crépeau, a également cessé ses activités.

Quelques mois plus tôt, c'est Louise Émond qui mettait fin aux activités de Kéramos, une vitrine pour les céramistes d'ici. Au début de l'année, la boutique gourmande Terre et mer, de la chef et céramiste Marie-Lucie Crépeau, a également cessé ses activités.

Ces trois fermetures en moins d'un an ne facilitent en rien l'éclosion des métiers d'art dans la région. «C'est vrai qu'il commence à y avoir un véritable problème de diffusion à Québec», concède le directeur général du Conseil des métiers d'art, Serge Demers. Ce natif de la capitale déplore la fermeture de ces trois boutiques. «C'est malheureux, car plus il y a d'offre, plus c'est bénéfique pour les métiers d'art.»

Paradoxalement, ces espaces s'éteignent au moment où les Québécois redécouvrent les métiers d'art et en réclament de plus en plus, affirme M. Demers. «On le voit à Plein Art et au Salon des métiers d'art à Montréal. Il y a une affluence record d'année en année.»

Mais en dehors de ces événements et foires ponctuels, les Québécois encouragent bien peu les métiers d'art. «Ça ne fait pas encore partie des habitudes de consommation des gens, estime Louise Émond. Il y a beaucoup à faire pour les sensibiliser.»

Mission

C'est ce type de réalité que Louise Émond et Élise Quesnel s'employaient toutefois à changer en faisant connaître les talents québécois et en exposant leurs créations. Les deux amateurs de métiers d'art voulaient transmettre leur passion aux Québécois et ne s'étaient pas établies dans un circuit touristique pour cette raison.

Les boutiques, comme celles du Conseil des métiers à place Royale, qui ont une clientèle majoritairement touristique, font de bonnes affaires. « Mais c'est M. et Mme Tout-le-Monde que je veux intéresser aux métiers d'art, pas les touristes », rappelle Élise Quesnel. Elle est triste d'avoir eu à mettre la clé dans la porte, mais elle croit tout de même avoir rempli sa mission. «J'ai réalisé un rêve que j'avais d'ouvrir une boutique comme celle-là. Je pense que beaucoup de gens de Québec ont eu la piqûre des métiers d'art et ça me réjouit», dit-elle.

Mmes Quesnel et Émond déplorent que les artisans, les événements, les écoles de métiers d'art et, souvent aussi, les ateliers soient subventionnés, mais que les diffuseurs privés, qui se trouvent au bout de la chaîne, ne reçoivent pas de subventions, à moins d'être une coopérative. «Il y a un chaînon manquant», affirme Élise Quesnel.

Les minces marges de profit compliquent également la vie aux diffuseurs privés, ajoute Mme Émond. «Le profit de 40 % ou 50 % n'est pas énorme, comparativement à des boutiques qui vendent des meubles importés où la marge de profit frôle les 500 %», souligne-t-elle.

Plusieurs artisans et gens du milieu des métiers d'art déplorent la fermeture de ces lieux de diffusion, à commencer par ceux qui y vendaient leur production. C'est le cas d'Évelyne Rivest-Savignac qui exposait chez Keramos plusieurs de ses pièces colorées. La céramiste, qui s'est installée à Saint-Nérée, vend dorénavant presque uniquement dans les expositions comme le Salon des métiers d'art et Mille et un Pots, à Val-David. Seule la boutique La Poterie, dans le petit village charlevoisien de Port-au-Persil, vend ses œuvres ainsi que celles d'autres potiers québécois. «C'est vraiment un acte de foi et de passion d'être artisan !» croit-elle. Si on était à New York ou à Toronto, je vendrais trois fois le prix et aussi trois fois plus.»

Ventes à l'étranger

En effet, plus souvent qu'autrement, le proverbe Nul n'est prophète en son pays s'applique à merveille aux artisans. Plusieurs d'entre eux, comme la coutelière d'art Chantal Gilbert, exportent leur production à l'étranger où ils jouissent souvent d'une popularité beaucoup plus grande qu'ici. «Je ne serais pas capable de gagner ma vie à Québec si je n'avais pas une carrière à l'étranger», affirme-t-elle, ajoutant que c'est encore plus difficile pour ceux qui, comme elle, font des pièces uniques haut de gamme.

«On fait vraiment de bonnes affaires à l'étranger. À New York et ailleurs, on s'arrache les produits québécois qui se démarquent par leur originalité et la qualité de la réalisation, confirme Serge Demers du Conseil des métiers d'art. Mais c'est plus difficile de convaincre le marché local que c'est de l'art et de la création, au même titre que la peinture ou toute autre forme d'arts visuels.» Et la situation est semblable à Montréal, où le Conseil a dû fermer la Galerie des métiers d'art, faute de rentabilité.

Serge Demers croit qu'il y a encore beaucoup de préjugés à vaincre. «Les gens ont gardé en tête l'artisanat un peu granola des années 70, du genre macramé», dit-il. Mais les choses ont bien changé depuis et la plupart des artisans ont une approche contemporaine.

Il déplore également qu'à l'ère du acheter-jeter, les Québécois semblent avoir oublié la notion de valeur intrinsèque de l'objet. «La beauté et l'unicité d'un objet fait à la main selon une tradition ancestrale a une valeur importante», expose-t-il.

Des solutions

Les métiers d'art québécois doivent être reconnus et soutenus, au même titre que la littérature, la danse, le cinéma, le théâtre québécois, plaide M. Demers.

Chantal Gilbert affirme même que le gouvernement devrait se lancer dans une vaste campagne de promotion des métiers d'art comme il l'a fait pour le lait, les œufs et le porc, entre autres. «Il est important que les gens comprennent que le commerce équitable, ce n'est pas seulement le café et le chocolat, mais aussi et surtout l'achat de produits faits ici par des artisans d'ici», soutient la coutelière.

Le Conseil des métiers d'art travaille actuellement à un projet de certification des métiers d'art afin de différencier les professionnels des artisans du dimanche. «On veut s'assurer que les artisans se démarquent et rassurer les consommateurs en leur offrant la garantie que le produit a été fabriqué selon les méthodes reconnues par un artisan professionnel», indique M. Demers. Le Conseil veut aussi créer des circuit des métiers d'art en région pour faire connaître les artisans, un peu comme l'a fait la région des Laurentides.

Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres et plusieurs craignent de voir la relève s'étioler si rien n'est fait pour améliorer la diffusion des métiers d'art, notamment à Québec. «J'en ai rencontré des jeunes talentueux qui ont dû se réorienter car ils n'ont trouvé aucun moyen de s'en sortir, affirme Louise Émond. Le temps presse si on ne veut pas tous les décourager.»