Le loft est-il encore l'enfant chéri de l'immobilier ou un espace en voie de disparition? Assisterons-nous bientôt à la contre-attaque du six et demi? Peut-être que l'on redécouvre tout simplement le plaisir de fermer une porte de temps en temps?

Le loft est-il encore l'enfant chéri de l'immobilier ou un espace en voie de disparition? Assisterons-nous bientôt à la contre-attaque du six et demi? Peut-être que l'on redécouvre tout simplement le plaisir de fermer une porte de temps en temps?

«Lorsque je cherchais à acheter un appartement, comme je suis célibataire, mon agent m'orientait uniquement vers des studios totalement ouverts», lance France-Michèle, une copine animée par le sujet «Pour ou contre les lofts»? lancé lors d'un dîner. «Non mais, j'ai horreur que mes vêtements sentent la bouffe! Et je n'ai pas envie de me retrouver encore plus toute seule, entre quatre murs, comme on dit!» Marie-Carolyne, qui dîne avec nous s'exclame elle aussi: «Moi j'aime lire et mon copain écoute la télé chaque soir. Puisque la chambre n'est pas fermée, cela commence à devenir un véritable cauchemar».

Qui ne connaît pas un couple qui vit ce type de problème? Déchiré entre l'envie d'un grand espace au look de magazine et le besoin d'intimité: «C'est que les gens commencent à être tannés d'avoir sans cesse l'autre, le bordel et les enfants dans la face!» ajoute vivement Céline, rédactrice en chef d'un magazine de luxe, aussi à table avec nous. Il faut dire que son propre désir d'intimité est si puissant qu'elle vit depuis 10 ans à bien des cloisons de son chum soit... cinq maisons plus loin! Pas à dire, le thème du loft anime une discussion! Pourtant, la plupart des nouveaux projets immobiliers persistent et signent «condo-style-loft-à-aire-ouverte»!

«Au départ, nos maisons ne sont pas très grandes, affirme l'architecte Gilles Saucier. Il est donc normal que l'on ait parfois envie de plus grands espaces. Cependant, si l'on abat systématiquement toutes les cloisons, l'espace peut alors mal se définir». Pour lui, trop de meubles et d'éléments décoratifs peuvent créer une surabondance visuelle dangereuse pour la lecture de l'espace. «Les gens ont trop de choses et utilisent souvent trop de couleurs dans leur environnement, voire deux ou trois pour une même pièce, ce qui diminue l'échelle de l'espace. En simplifiant son environnement, on a moins besoin d'abattre des cloisons, car le loft dans sa définition extrême est difficile à vivre pour le commun des mortels».

Pas étonnant que l'on retrouve de plus en plus la mention «possibilité d'une autre chambre fermée» dans les annonces immobilières. Comme si tout à coup, on s'excusait d'avoir descendu les cloisons à coups de massue. Faudrait-il y penser à deux fois avant de «défoncer», verbe qui sonne cool depuis plus d'une dizaine d'années?

Pour la plupart des architectes, le loft pur et dur est difficile à vivre. (Photo Patrice Laroche, Le Soleil)

«Le gros problème, ce sont les grands espaces mal proportionnés, explique l'architecte Anne Carrier. Pour répondre à une mode, plusieurs personnes ont tenté de créer des grands espaces simplement en abattant des cloisons. Cependant, ces aménagements qui n'ont pas été pensés par un architecte sont souvent mal conçus. Une grande pièce, pleine d'angles et remplie de zones de passages, ne tenant pas compte de la lumière, peut être très inconfortable. En somme, ce n'est pas parce qu'une pièce est grande qu'il est nécessairement agréable d'y vivre».

Big is beautiful n'est donc pas affirmation dans le domaine de l'habitation? Bon, bon.

«Une maison remplie de petites pièces peut être très intéressante, si l'ensemble est bien planifié et pas trop chargé», ajoute Gilles Saucier. Voilà qui va remonter le moral de bien des six et demi!

Cloisons optionnelles

Mais est-ce à dire que les lofts sont des espaces en voie de disparition? «Bien sûr que non! lance Hugo Gagnon, designer. Mais je suis partisan, comme plusieurs de mes collègues, du loft avec zones privatives». Selon lui, il faut penser aux cloisons optionnelles, flexibles, permutables: «Les familles évoluent, les enfants arrivent et ils partiront. On travaille une année à la maison, l'année suivante, non. C'est pourquoi je prône les murs sur rails ou qui pivotent, les murets et les paravents qui laissent passer la lumière, un foyer suspendu qui fait office de séparateur».

Pour un projet, Hugo Gagnon a déjà découpé une partie des murs d'origine pour obtenir une ambiance à la fois aérienne et intimiste.

Aussi fusionnelles soient-elles, rares sont les personnes qui n'ont pas besoin d'intimité. Pour lui comme pour la plupart des architectes, le loft pur et dur est difficile à vivre. «Les lofts revisités avec zones offrent le meilleur des deux mondes, ajoute-t-il». Un mélange entre le six et demi sur 980 pieds carrés, fort pratique en 1950 lorsque la famille moyenne comptait huit enfants et du 2000 pieds carrés toit cathédrale murs de briques sans cloisons, emblème de la fierté des célibataires ultrabranchés des années 90. L'idée du loft revisité avec zones et cloisons mouvantes s'adapte parfaitement au mode de vie contemporain.

«Quand un enfant naît, tout ce qui compte à vrai dire pour lui, c'est son habitat, c'est son confort. Et c'est ce qui compte pour la très grande majorité des gens jusqu'à la fin de leur vie, qu'il s'agisse de sécurité, de chauffage, d'éclairage, etc., songe Émilien Vachon, directeur de l'École d'architecture de l'Université Laval. À mesure que l'individu évolue, la nature de ses besoins en confort change, se raffine, à cause de son milieu culturel et économique, à cause de son environnement industriel. Ce qui explique que pour certains, l'espace dégagé transformable devient un élément de bien-être, tandis que l'espace cloisonné, dosé, appropriable devient objet de confort pour d'autres.»

À titre d'exemple, pour M. Vachon, la qualité des ambiances implique aussi le confort visuel. Imaginons un lieu dont la profondeur est de 50 pieds. «Ce peut être émouvant quand on y place un rosier. À 50 pieds, on perçoit de la verdure. Si on s'avance, on perçoit une floraison et si on s'avance davantage, on perçoit des fleurs. Ces perspectives sont plus émouvantes pour certains qu'un long corridor garni de portes. Donc, tant et aussi longtemps que les humains auront le choix de définir leur confort eux-mêmes, avec des moyens qui risquent d'être de plus en plus faciles, je ne crois pas que le loft soit en voie de disparition.»