Nous sommes samedi matin. Alors que plusieurs lisent ce journal, Dominic et Nadia courent les magasins. Pas ceux qui vendent des fringues dernier cri. Ils déambulent en fait dans les allées du Réno-Dépôt pour dénicher des moulures, un comptoir pour la cuisine, un tapis pour le vestibule et des échantillons de peinture.

Nous sommes samedi matin. Alors que plusieurs lisent ce journal, Dominic et Nadia courent les magasins. Pas ceux qui vendent des fringues dernier cri. Ils déambulent en fait dans les allées du Réno-Dépôt pour dénicher des moulures, un comptoir pour la cuisine, un tapis pour le vestibule et des échantillons de peinture.

Et ils ne sont pas les seuls. Le stationnement est pratiquement plein. «On a toujours en tête une nouvelle idée pour notre maison», dit le jeune couple dans la trentaine.

Près d'un ménage sur deux au Québec prévoit entreprendre cette année des travaux de décoration, selon l'Association des détaillants de matériaux de construction du Québec (ADMCQ) sur la base de son indice Rénovex de janvier dernier.

«Cela correspond à une hausse de 20 %, d'après les données de l'automne passé, indique le directeur général de l'ADMCQ, Donald O'Hara. La décoration est une activité de plus en plus populaire qui, contrairement aux travaux de rénovation, ne donne pas lieu à un investissement majeur.»

Le prolongement de soi

Mais qu'est-ce qui incite les Québécois à réaménager de fond en comble leur demeure ? «La maison est le refuge ultime du soi», répond la psychologue et sociologue Perla Serfaty-Garzonne. Dans son dernier livre, Chez soi. Les Territoires de l'intimité, elle se questionne sur le rôle de l'habitat dans une société axée sur l'individu. «Les gens sentent le besoin d'exprimer leurs valeurs par leur habitat. Dans une société individualiste, la maison est le reflet de ce que l'on est et surtout ce que l'on aimerait être», soutient-elle. C'est pourquoi ils personnalisent leur décor et le rendent à leur image.

En matière de décoration, la plupart des décisions se prennent sur un mode collégial, répondant aux désirs et aux aspirations de ses occupants. De façon générale, les hommes ont tendance à privilégier les achats pratiques et ergonomiques alors que les femmes achètent par coup de coeur, choisissent les styles et les couleurs et préfèrent acheter des accessoires que de gros meubles.

Mais les rôles commencent à se modifier. Les hommes s'intéressent à la cuisine, les femmes aménagent leur bureau, les jeunes ont leur mot à dire. C'est en famille que de plus en plus de Québécois courent désormais les magasins. Dominic et Nadia disent d'ailleurs s'entendre sur la plupart des choix de décoration et tirer à pile ou face lorsque ce n'est pas le cas! «J'ose plus que Dominic, mais il a un esprit très ouvert et il me fait confiance», ajoute la jeune femme, spécifiant que le couple en est à sa première maison.

Un extra avec ça?

Si les Québécois raffolent de décoration, ils cherchent aussi de plus en plus à se différencier des tendances rigides. Ils souhaitent un espace de vie personnel, agréable, confortable et original. On emprunte des objets aux différentes cultures, on se crée un espace multiethnique, en quelque sorte. Exit l'esprit zen. Vive l'esprit nomade!

Pour les électroménagers, les meubles de salon et les matériaux de finition, le luxe et les produits haut de gamme ont la cote. En autant qu'ils répondent à nos valeurs. Ou plutôt à nos aspirations, rectifie Mme Serfaty-Garzonne. Ainsi, la décoration ne sert plus à montrer ses acquisitions, mais ses valeurs.

La quête du luxe, du haut de gamme et de l'objet unique se constate en se promenant dans les allées des magasins spécialisés. Pour les planchers, fini la moquette ou le parquet de marqueterie. On veut des carreaux de céramique importés, du bois dur, un stratifié de qualité, etc. «On offre bien un modèle de base, mais personne n'en veut», nous confie un préposé chez Réno-Dépôt. Les produits haut de gamme deviennent ainsi la norme du marché et les détails gages de qualité.

Il y a un coût associé à cette quête de l'unicité et de l'authenticité. Et peu de ménages peuvent se permettre tous leurs désirs.

«Il est faux de croire que le luxe est à la portée de tous, prévient Mme Serfaty-Garzonne. Il est certes le signe d'une société qui s'enrichit, mais ce n'est qu'un faible pourcentage de la population qui peut se le permettre.»

La tendance à la personnalisation se confronte alors au marché des grandes surfaces, qui gagne en popularité.

«On cherche à être unique alors qu'on achète le 10 000e fauteuil de tel modèle chez IKEA», lance l'auteure et psychologue. Il s'agit là d'un compromis satisfaisant en achetant des meubles dans les grandes surfaces, moins chers, mais en ajoutant un détail, un accessoire authentique et en disposant le tout de façon originale. «Ce n'est que 3 ou 4 % de la population qui a les moyens financiers pour décorer toute sa maison avec des produits haut de gamme. La plupart des gens choisissent des solutions plus abordables», remarque le designer d'intérieur Jacques Demers. Le confort passe aussi par un certain minimalisme qui incite au dépouillement.

Certains ont décidé d'acheter moins, mais achètent mieux et des produits de luxe. Matérialiste, certes, mais aussi responsables. On privilégie les achats responsables, on s'informe sur la provenance des meubles et des accessoires. Des designers proposent même des aménagements écologiques. En Europe, mais pas encore au Québec, nous informent les designers. Il y a bien quelques demandes pour des aménagements écologiques, mais très peu. «Il n'existe pas encore sur le marché de peinture biodégradable», illustre M. Demers.

Tendance occidentale

Les Québécois ne sont pas les seuls à rechercher la différenciation. Une étude européenne menée par l'observatoire Cetelem indique que 55 % des ménages français déclarent consacrer un budget important à la décoration et à l'aménagement de leur logis. Comme les Québécois, les Français magasinent dans plusieurs commerces avant d'acheter, surtout pour l'équipement audiovisuel.

Ils sont informés, et s'ils n'hésitent pas à investir des centaines de dollars pour un article, ils s'assurent toutefois que le service sera hors pair. Les commerçants ont répondu à cette demande en offrant à leurs clients des espaces de magasinage conviviaux, où les services se multiplient, passant de l'aire de jeux pour les enfants à des cafés permettant de feuilleter des magazines de décoration en sirotant un café.

Bricoler sur le Web

Il est également possible de concevoir son projet de rénovation et d'aménagement dans Internet.

La popularité du site de Rona, qui reçoit près de 600 000 visites par mois, le confirme. Axé sur les projets de rénovation, le site invite les clients à débuter leurs projets avec l'aide de plans et de conseils virtuels. Ils vont ensuite en magasin pour choisir leurs matériaux.

«Ça permet de sauver du temps et de concevoir le projet que les gens veulent réellement. Ils arrivent en magasin bien informés et avec un projet bien précis», indique le directeur de l'Internet de Rona, Luc Landry. Certains outils et produits sont également en vente en ligne.

Selon l'indice Rénovex de l'ADMCQ, 24 % des gens utilisent Internet pour obtenir de l'information sur les produits vendus en quincaillerie ou chez les marchands de matériaux.