L'orfèvrerie ne s'enseigne plus au Québec. « Le travail est long, l'équipement est difficile à trouver, l'argent coûte cher et les pièces fabriquées aussi: une simple louche peut se vendre 1500 $ », explique Antoine Lamarche qui, en passant, a refusé l'offre américaine.

L'orfèvrerie ne s'enseigne plus au Québec. « Le travail est long, l'équipement est difficile à trouver, l'argent coûte cher et les pièces fabriquées aussi: une simple louche peut se vendre 1500 $ », explique Antoine Lamarche qui, en passant, a refusé l'offre américaine.

Le marché n'est plus ce qu'il était. À l'époque où les églises débordaient de fidèles, les curés n'avaient de cesse de renouveler leurs stocks de calices, de patènes et de ciboires. Aujourd'hui, Antoine Lamarche reçoit de rares commandes de calices pour des ordinations de prêtres. Il a aussi fabriqué une crosse en argent et en palissandre pour le primat de l'Église anglicane du Canada, Mgr Andrew Hutchinson.

Il garde la main avec des trophées, des médailles, des louches à potage, des flûtes à champagne et des objets de culte juif. Les grands-mamans ont encore un faible pour les cuillères et les tasses en argent qu'ils se plaisent à offrir à leurs nouveaux petits-enfants. Il y a aussi Bob Gainey, le directeur-gérant du Canadien de Montréal, qui a reçu un verre à pied fait main par M. Lamarche. Mais en orfèvrerie, le vrai travail de création se fait de plus en plus rare. Heureusement, il y a la restauration.

Anaïs Beauchemin-Hétu, 26 ans, est responsable de l'atelier d'orfèvrerie chez Desmarais-Robitaille, une entreprise montréalaise spécialisée en objets religieux. Elle y travaille depuis deux ans et demi. « J'ai remplacé le chef d'atelier qui avait 74 ans », mentionne-t-elle pour illustrer le manque de relève. Deux hommes travaillent sous sa supervision. Ils fabriquent nombre de calices, souvent pour des églises américaines.

« Mais le gros de notre travail, c'est la restauration, mentionne-t-elle. Des objets nous arrivent en 1000 morceaux et il faut les remettre en parfait état. On ne sait pas qui est passé avant nous. Souvent, c'est le bedeau qui a fait une soudure au plomb. Il faut alors enlever le plomb et restaurer l'objet sans que rien n'y paraisse. » Le droit à l'erreur n'existe pas. Quel drame si une pièce ancienne fondait, sous l'assaut de la flamme trop vive d'un chalumeau !

Anaïs a d'abord étudié à l'École de joaillerie de Montréal. « Je faisais toujours de très gros bijoux, poursuit-elle. J'aime les pièces massives. Plus c'est gros, plus c'est beau. » Son style particulier l'a amenée à s'intéresser à l'orfèvrerie qu'elle s'empresse de définir : « la fabrication d'objets en métal non portables ». De fil en aiguille, elle s'est retrouvée à Macau, en Aquitaine, pour un stage de six mois chez l'orfèvre français Roland Daraspe, grâce à l'Office franco-québécois pour la jeunesse.

Ancien chaudronnier

Roland Daraspe était de passage à la Maison des métiers d'art de Québec, récemment, et il a témoigné de sa fierté pour sa jeune protégée. Il constate avec regret le déclin du métier. C'est donc avec honneur qu'il a accepté en 2002 le titre de Maître d'art qui lui permet d'initier un jeune à l'orfèvrerie pendant trois ans. « En Europe, les orfèvres se comptent sur les doigts d'une seule main », fait-il remarquer.

Daraspe, un ancien chaudronnier, a commencé à fabriquer des bijoux avec des clous de chevaux. Aujourd'hui, il travaille pour Nina Ricci, Baccarat, le baron de Rothschild et les musées d'Europe et d'Asie. Il cisèle des rafraîchisseurs à caviar, des « cratères » à champagne, des épées d'académicien, des services à thé, des urnes funéraires pour les cendres de chiens, des boîtes pour œuf d'autruche ( !) et quelques objets religieux. « L'orfèvrerie s'adresse à des gens qui ont les moyens », convient-il.

L'argent est son métal de prédilection. Mais il ne lève pas le nez sur le cuivre. Il fabrique à la main des pièces uniques. « Les objets faits à la machine sont comme des casseroles, ils n'ont pas d'âme », illustre-t-il. Il donne des milliers de coups de marteau sur les vases, les gobelets et les crachoirs à vin jusqu'à ce qu'il obtienne un arrondi imparfait. C'est le style Daraspe, épuré et organique. « J'ai envie que les gens touchent mes créations », confie-t-il.

À la Citadelle de Québec, l'une des résidences officielles de la gouverneure générale Adrienne Clarkson, les neuf lampes suspendues au plafond de la nouvelle salle à manger ne peuvent être touchées qu'avec les yeux. Elles ont été commandées à Jacques Troalen, un orfèvre québécois d'origine bretonne de 56 ans, qui pratique « l'un des plus vieux métiers du monde » dans un atelier de la rue Sainte-Catherine, à Montréal.

À la main svp

L'artisan refuse de dire combien vaut chacune de ces œuvres d'argent, d'ébène et de verre. Mais sachez que vous pourriez dépenser 5000 $ pour une cafetière de Troalen et 2000 $ pour un simple calice. « Je valorise le travail à la main, explique-t-il. Si une pièce n'est pas montée manuellement, à mes yeux, ce n'est pas de l'orfèvrerie. »

Comme ses collègues, Jacques Troalen sent que le métier est en train de se perdre. Dans son atelier, confesse-t-il, il fait surtout de la joaillerie. Antoine Lamarche, lui, enseigne à l'École de joaillerie de Montréal, affiliée au Cégep de Montréal. « J'essaie de parler d'orfèvrerie, affirme-t-il. Mais je ne vois pas de relève chez mes étudiants. »

« L'orfèvrerie est une spécialité qui a été mise sur le hold», confirme Micheline Boucher, directrice de l'École de joaillerie de Québec. Elle a fait des démarches auprès du ministère de l'Éducation afin de pouvoir offrir à ses élèves une formation en orfèvrerie. Le MEQ a refusé, en vertu d'un moratoire sur les attestations d'études collégiales. « Je vais revenir à la charge », promet-elle. La récente réforme, en effet, offre maintenant aux cégeps la possibilité d'ajuster leurs programmes et d'en élaborer de nouveaux.

« Mais il faudra prouver qu'il y a un marché pour l'orfèvrerie », mentionne Mme Boucher. Selon elle, le salut se trouve dans le commerce électronique, car le Québec est un trop petit marché. Elle demeure optimiste. « L'ébénisterie a bien repris quand les gens se sont tannés de la mélamine », philosophe-t-elle. L'orfèvrerie reprendra peut-être du galon lorsqu'ils réaliseront que « la beauté ajoute un supplément de poésie à l'utilitaire », ainsi que l'a joliment exprimé un membre de l'Académie française, orfèvre des mots.