Au jardin comme en bouquet, les fleurs locales et de saison ont la cote. Sensibles au lourd impact environnemental et humain des fleurs importées, de petites entreprises sèment à tout vent dans les champs du Québec. Et écoulent leur production sans mal. Si vous les imitiez?

Dompter les fleurs sauvages

Par un radieux matin de mai, dans un recoin perdu de l'esplanade du Stade olympique, une poignée de volontaires armés de pelles et de bonne humeur s'apprêtent à retourner le gazon d'un terre-plein. Dans une semaine, ils reviendront ensemencer ce qui deviendra, espèrent-ils, un jardin fleuri où les passants pourront à leur guise cueillir librement un bouquet ou simplement se remplir les yeux de beauté. 

L'initiative est celle d'Audrey-Michèle Simard, choriste et musicienne de son état, et d'Isabelle Gauthier, formée en graphisme et en communications.

Les deux viennent de fonder le fleuriste Prairies, qui n'est même pas encore tout à fait ouvert (ouverture officielle le 1er juillet) mais qui récolte déjà sa part de succès grâce au web. Leur but : mettre des fleurs dans le quotidien des gens, mais des fleurs écologiques, locales et équitables. 

«Je songeais depuis un moment à ouvrir un commerce dans Rosemont, et j'hésitais entre un salon de thé et un fleuriste, raconte Audrey-Michèle. C'est après avoir vu le documentaire Demain que j'ai eu l'illumination. La fleuristerie traditionnelle génère beaucoup de gaspillage et utilise énormément de pesticides, et les conditions de travail, dans le cas des fleurs importées, sont souvent déplorables. Je me suis dit qu'on pouvait, qu'on devait, faire les choses autrement!»

Elle s'est donc associée à son amie Isabelle Gauthier, qui avait attrapé le virus de la fleuristerie il y a deux ans en travaillant au marché Jean-Talon. Pour l'heure, elles fonctionnent essentiellement par précommande. De la sorte, elles n'ont pas à jeter les invendus à la fin de la semaine, comme cela se fait couramment dans les commerces traditionnels.

Slow flower

Isabelle et Audrey-Michèle ne sont pas les premières à remettre en question les méthodes de la fleuristerie actuelle. Le mouvement slow flower, qui s'observe depuis de nombreuses années en Europe et, plus récemment, aux États-Unis, fait de plus en plus d'adeptes chez nous. Comme pour le slow food, il s'agit de réduire les impacts environnementaux et sociaux de notre consommation, donc de préférer des produits écoresponsables, locaux et équitables. 

C'est ce que font les filles de Prairies. Mais elles ont décidé de pousser la chose un cran plus loin (ou de faire pousser les fleurs beaucoup plus près!): afin d'alimenter leur commerce, elles s'apprêtent à végétaliser un toit, en plein Plateau-Mont-Royal, pour la culture de fleurs - une première en Amérique du Nord. Qui plus est, elles entendent n'y faire pousser que des espèces mellifères, pour répondre aux besoins du nombre croissant d'abeilles à miel en ville.

«Comme ça, nos fleurs ne seront pas que belles, elles seront aussi utiles», explique Audrey-Michèle Simard.

Le projet est d'ailleurs si porteur qu'il est finaliste au prix Novae, qui récompense les innovations sociales (et que Téo Taxi a remporté en 2016, c'est dire).

L'idée du champ de fleurs mellifères au Stade olympique est née dans la foulée, grâce à un partenariat avec l'organisme Les Jardineries, qui y gère depuis l'an dernier un luxuriant café-biergarten complètement inattendu dans cet univers bétonné. 

Cette année, on sèmera à la volée 50 % d'annuelles afin d'optimiser la floraison. «Mais on pense que, dans deux ou trois ans, on n'aura que des vivaces, qui se reproduiront toutes seules», explique Audrey-Michèle.

Un mouvement en croissance

Un nombre croissant de fleuristes se réclament d'une certification équitable comme celles de la Rain Forest Alliance ou de l'importateur Sierra Eco. Ces certifications assurent les consommateurs que les fleurs ont été produites dans des conditions acceptables aux points de vue environnemental et social. Mais le problème lié au transport et à l'entreposage de ces végétaux venus de loin reste entier.

C'est pourquoi des fleuristes comme Prairies, mais aussi Prune-les-Fleurs, Oursin Fleurs ou Atelier Carmel, tous à Montréal, se tournent vers des producteurs locaux et même vers la cueillette de fleurs sauvages pour créer des bouquets saisonniers, plus près de ce que nous offre la nature.

Préparer le terrain

Dans les coteaux verdoyants de Saint-Joseph-du-Lac, non loin d'Oka, là où prospérait autrefois un petit verger, des rosiers, des pivoines et des hydrangées ont remplacé les pommiers. C'est là, sur la terre familiale, que Clémence Rivard-Hiller a fondé la ferme florale Origine, avec son amie Evelyne Guindon.

Avec Origine, Clémence Rivard-Hiller et Evelyne Guindon veulent proposer aux consommateurs et aux commerçants des fleurs coupées locales et saisonnières, cultivées sans pesticide.

«De 80 à 90 % des fleurs qu'on trouve habituellement dans le commerce viennent de l'étranger, souvent d'aussi loin que de Nouvelle-Zélande ou d'Afrique du Sud», indique Clémence Rivard-Hiller.

«Elles transitent ensuite par la Hollande, où se trouve le plus important marché mondial, avant d'être expédiées ici. Quand elles arrivent chez le fleuriste, elles ont été cueillies depuis plusieurs jours déjà, et souvent pas dans leur "prime time". C'est pour ça qu'elles durent si peu longtemps, bien qu'elles soient traitées avec toutes sortes de produits chimiques pour les prolonger - ce qui, d'ailleurs, leur enlève leur parfum», explique la cofondatrice d'Origine.

La fleur locale comporte donc une importante valeur ajoutée par rapport aux fleurs importées: celle de la durabilité, dans tous les sens du terme. Et il y a une demande puisque, dès sa première saison, qui était avant tout exploratoire, Origine a vendu toute sa production, qui s'étale, grosso modo, du début de mai à la fin d'octobre.

En cette fin de mai pluvieuse et fraîche, on ne peut que deviner de quoi auront l'air les champs lorsque zinnias, roses, rudbeckies, mufliers et autres dahlias laisseront éclater leurs couleurs.

Pour l'heure, de jeunes plants, que Clémence a démarrés dans son sous-sol en février, attendent d'être transférés en pleine terre. 

D'ici à ce que le jardin atteigne sa pleine maturité, le lilas et les sceaux-de-Salomon sont à l'honneur dans les bouquets que préparent les deux jeunes femmes.

Là est le défi: composer avec les saisons. Elles viennent d'ailleurs d'acquérir une serre d'occasion, qui leur permettra de devancer un peu le temps des tulipes et de prolonger les floraisons d'automne. 

Pour l'instant, Origine n'ouvre pas ses portes au public ni n'offre d'abonnement aux particuliers.

D'autres fermes florales 

Fleurs Maltais, Chicoutimi 

Depuis une vingtaine d'années, la famille Maltais cultive des fleurs à couper que l'on peut acheter à la ferme ou se faire livrer. «Les gens viennent faire un tour la fin de semaine, ils peuvent se promener dans les jardins et se faire composer un bouquet à leur guise», dit Dominic Maltais. À ce jour, la ferme compte 4 hectares en culture florale, dont quelque 20 000 plants de pivoines, hybridés sur place. 

Étrangement, la vogue de l'achat local n'a pas encore atteint la région, si bien que la famille Maltais vend sa production surtout à des fleuristes de l'extérieur! La famille Maltais n'offre pas de formule d'abonnement à proprement parler, mais elle a tout de même commencé il y a deux ans la livraison aux particuliers, tous les lundis.

Floramama, Frelighsburg

Sise dans les Cantons-de-l'Est, Floramama s'inscrit dans la mouvance du slow flower. Elle n'est pas ouverte au public, mais offre une formule d'abonnement aux particuliers de Montréal et des Cantons-de-l'Est.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Clémence Rivard-Hiller et Evelyne Guindon

À essayer chez soi

Cultiver ses propres fleurs pour en faire des bouquets (ou même simplement pour embellir le paysage) n'est pas sorcier, loin de là... Petits conseils pour un été fleuri.

Pour maximiser la production

On plante en rangs serrés et on récolte souvent: «La plante a besoin de fleurir, alors plus on coupe ses fleurs, plus elle en produira», affirme Clémence Rivard-Hiller. Elle ajoute qu'elle peut récolter jusqu'à 60 tiges d'un seul plant de zinnia. Il ne faut donc pas craindre de saccager sa plate-bande si on en tire des bouquets pour soi-même ou pour les offrir: ça ne risque pas de se produire!

Pour des bouquets qui durent

Cueillir les fleurs tôt le matin ou en fin de journée, quand les tiges sont bien hydratées. Tailler les tiges en biseau, pour maximiser la surface d'absorption de l'eau, et mettre les fleurs dans l'eau le plus tôt possible. 

Couper des feuilles

Il vaut mieux retirer toutes les feuilles qui risquent d'être immergées dans un vase. «Il faut limiter la prolifération des bactéries, explique Audrey-Michèle Simard. Les feuilles risquent de pourrir dans l'eau et de la contaminer, d'où l'importance de les enlever.»

Changer l'eau chaque jour

«On doit pouvoir boire l'eau du vase, illustre avec humour Isabelle Gauthier, de Prairies. Inutile d'ajouter du sucre, de l'aspirine ou d'autres produits. Une eau pure suffit.»

Faire preuve de créativité

«Jouez avec votre bouquet!», conseille Clémence Rivard-Hiller. À mesure que les fleurs se flétrissent, on les retire et on réarrange celles qui restent, en les plaçant dans un vase plus petit au besoin.

Photo Thinkstock