À force de chercher la rose parfaite, les hybrideurs en ont oublié le parfum. Aujourd'hui, l'odeur est redevenue un critère de recherche, mais elle passe bien après les considérations techniques chères aux pays producteurs d'Afrique et d'Amérique latine.

«De 1930 à 1980, il fallait que les roses soient comme du Baccarat, turbinées, avec des pétales qui s'ouvrent doucement. Des fleurs en hélices d'avion, c'était ça la mode», raconte Maurice Jay, président de la Société française des roses, qui promeut la rose depuis plus d'un siècle.

Sur les rosiers de jardins, «on est revenu à des pétales plus chiffonnés, qui ont des épidermes souples pour laisser le parfum s'échapper». Sur la rose de vase, «il existe quelques variétés parfumées, mais c'est exceptionnel. C'est à ce titre qu'Only Lyon est une vraie réussite», sourit ce passionné.

Only Lyon est une nouvelle rose qui vient d'être baptisée dans le cadre du festival international de la rose, organisé à Lyon jusqu'en octobre.

Le Français Arnaud Delbard l'a mise au point. Depuis trois générations, sa famille crée des fruits et des roses à Malicorne, petite commune perdue dans le nord de l'Auvergne (centre de la France), en cherchant la rose parfaite: celle qui conjuguera critères esthétiques (gros bouton sur tige allongée), techniques (résistance aux maladies du rosier qui supporte le transport, la chambre froide) et qui aura du «sentiment». C'est-à-dire du nez...

«Le magicien de Lyon»

Les Delbard font naître quelque 150 000 variétés nouvelles par an, mais n'en retiendront qu'une poignée au final. Ces roses poussent ensuite dans des pays producteurs, qui rétribuent les créateurs sous forme de redevances.

Car la France, et en particulier la région lyonnaise, est un haut lieu de création de roses: plus de 3000 variétés sont nées au bord du Rhône, le fleuve qui traverse la capitale française de la gastronomie.

C'est ici en 1849 que Jean-Baptiste Guillot a créé «La France», la première-née des hybrides de thé, qui permettent d'avoir une grosse fleur solitaire au bout d'une longue tige - le Graal pour les fleurs de vase.

À la fin du XIXe siècle, Joseph Pernet-Ducher est, lui, parvenu après 13 ans de recherche à mettre au point la première rose jaune de l'Histoire, appelée «Soleil d'or». Les Anglo-saxons le surnommèrent alors «le magicien de Lyon».

Aujourd'hui, la France reste une championne de la création de nouvelles variétés de rosiers de jardin.

Une activité de longue haleine puisqu'il faut en moyenne cinq à six ans pour mettre au point une nouvelle fleur.

Variable d'ajustement

Dans la salle des mariages de Malicorne, Arnaud Delbard tente des associations. Il pioche parmi une collection de milliers de roses, blanches, fuchsia, jaunes...; des odeurs de litchi, musc, pêche, rose...; de longues tiges, plus ou moins d'épines, des fleurs qui s'ouvrent en turbine, en quartiers... Il est allé chercher certaines de ces roses en Chine ou en Iran.

Dans cet incroyable éventail, il choisit finalement deux variétés pour une tentative de mariage. Puis Catherine Morge, hybrideuse à Malicorne depuis 20 ans, «castre la rose»: elle «enlève les pétales, les étamines pour dégager le pistil», avant de «saturer le pistil avec du pollen d'une autre variété». De cette union, naîtra un fruit contenant des dizaines de graines, soit autant de nouvelles variétés frères et soeurs, qui seront ensuite plantées et testées pendant plusieurs années.

Dans ce lent processus, le parfum n'est qu'une variable d'ajustement: les pays producteurs veulent avant tout «des plantes qui font des prouesses techniques», admet Arnaud Delbard.

La production de la plupart des fleurs coupées a été délocalisée en Équateur, en Colombie, au Kenya ou en Éthiopie, même s'il subsiste en France quelques serres dans le Var (sud-est).

«Pour produire des roses en France toute l'année, il faudrait chauffer et apporter de la lumière plusieurs mois par an. Cela coûterait trop cher et aurait une empreinte carbone importante», justifie Arnaud Delbard, «tandis que sur l'équateur, il y a 12 heures de soleil et 12 heures de nuit, toute l'année. C'est le printemps perpétuel...»

Évidemment, produire dans des pays aussi lointains induit d'avoir des fleurs qui supportent le transport, avec des pétales durs résistants. Or le parfum, qui provient de la décomposition moléculaire des pétales, s'exprime mieux sur des pétales mous... Concilier production du bout du monde et parfum est donc impossible, dit Arnaud Delbard.

À ce titre, la nouvelle rose Only Lyon, produite au Kenya et en Colombie et censée symboliser l'activité des rosiéristes de la région française, se veut une exception prometteuse: un classique en robe blanc-rose, avec une odeur... de rose.