Elle figure parmi les premières plantes décrites en Nouvelle-France, se retrouve dans nos tourbières, se cultive aisément et conserve sa singulière beauté toute l'année ou presque. Sa rusticité est à toute épreuve. Mieux encore, ses fleurs sont uniques dans le monde végétal. Voilà la sarracénie pourpre. Elle porte son nom depuis 1700, en l'honneur de Michel Sarrazin, médecin du roi.

La sarracénie pourpre est une plante carnivore bien tranquille. Insectivore, plutôt. Attiré par l'odeur ou le coloris de ses feuilles en forme d'outre recourbée (en anglais on parle de pitcher plant, pour pichet ou outre), l'insecte explore la caverne végétale dont il ne peut habituellement pas sortir. Comme le fond de l'outre contient souvent de l'eau, la victime s'y mouille habituellement les ailes, ce qui entrave sa fuite et elle ne peut ramper jusqu'à la surface de la prison à cause de poils glissants orientés vers le bas. C'est la glissade mortelle. Une fois décomposés, les éléments de l'arthropode sont absorbés par les parois de la feuille. Tel est le principe de base de l'alimentation des sarracénies et autres plantes insectivores.

Mais on ne tombe pas amoureux de la sarracénie en raison de son régime alimentaire particulier. Le coloris de ses feuilles rouge vif à maturité et ses fleurs étonnantes font craquer le jardinier. Je n'oublierai jamais ma visite au jardin botanique de Londres, au Kew Garden, où une petite serre est entièrement consacrée aux plantes carnivores. Une diversité d'espèces et de coloris notamment, qui m'a renversé.

On compte une multitude d'espèces de sarracénies aux feuilles dressées, souvent très colorées, qui s'hybrident naturellement dans la nature. L'une d'entre elles, la merveilleuse Sarracenia leucophylla, si belle d'ailleurs que l'on a pillé des colonies entières pour vendre les outres comme fleurs coupées, a servi souvent de plante mère lors de ses hybridations. Les résultats ont donné de nombreux croisements, tous plus beaux les uns que les autres, plus spectaculaires que notre sarracénie nationale.

Vivaces en climat plutôt chaud, à partir de la Caroline-du-Nord vers le sud, ces plantes sont souvent cultivées en vivarium, là où le climat est considéré comme trop froid. D'ailleurs, dans les catalogues, elles sont souvent classées comme rustiques en zone 6, 7 ou 8, des zones climatiques aux températures plus chaudes qu'au Québec.

Pourtant, je cultive bon nombre d'entre elles depuis une douzaine d'années, chez moi, sur la Rive-Sud, sans aucune protection hivernale. Plus encore, le milieu où elles sont installées gèle totalement chaque hiver. Les espèces Sarracenia leucophylla et S. rubra sont du nombre. S'ajoutent aussi les cultivars «Dana's Delight», «Judith Hindle» «Tarnok» et l'exquise «Scarlet Belle». Cette dernière faisait d'ailleurs partie des «coups de coeur» des magasins de la bannière Botanix cette année. Jusqu'à maintenant, j'ai obtenu régulièrement des fleurs de la sarracénie pourpre et, suprême honneur, Judith et Scarlet ont fait de même à une occasion.

Belles en hiver

Toutes possèdent des outres dressées, colorées de rouge, de blanc ou de rose, d'une hauteur variant de 15 à 30 cm. Les dimensions de «Scarlet Belle» sont plus modestes, disons autour de 10 à 15 cm, mais la feuille est un peu incurvée, à la façon de la sarracénie pourpre, et l'extrémité est en partie refermée, ce qui lui donne une allure étrange qui peut rappeler un cobra. (Il existe d'ailleurs une «plante cobra» insectivore: Darlingtonia californica.)

Autre trait de personnalité de ces insectivores: elles conservent leur coloris même en plein hiver. Les signes de fatigue deviennent évidents en juin, quand les nouvelles feuilles commencent à pousser. Elles affichent alors un teint verdâtre avant d'acquérir toutes leurs couleurs.

Les fleurs de la plupart des sarracénies se ressemblent beaucoup. Vers la mi-juin, chacune se dresse au bout d'une hampe florale qui peut atteindre une trentaine de centimètres. Ronde, la fleur est formée par une sorte de disque d'où émergent cinq pétales retombants de couleur rougeâtre. Une fois les pétales tombés, le disque floral persiste durant des mois et on pourra même y cueillir des graines au besoin. Un de mes plants de sarracénie pourpre a donné six fleurs cette année. «Tarnok», que je n'ai pas encore réussi à faire fleurir, devrait produire une profusion de pétales lui donnant une allure étrange.

Photo: Robert Skinner

Les feuilles tubulaires de «Judith Hindle» sont fort jolies.

Plante de tourbière, la sarracénie se cultive dans un milieu acide et humide. On conseille de l'installer dans un terreau composé à parts égales de mousse de tourbe et de sable, le tout recouvert de sphaigne. Chez moi, elles poussent en bordure de mon bassin d'eau, dans un mélange surtout composé de terre ordinaire et de mousse de sphaigne, sans que les racines ne touchent directement à l'eau. L'humidité du sol est maintenue par capillarité. On peut aussi cultiver les sarracénies dans une platebande, dans un petit bac en plastique placé dans le sol et recouvert de mousse pour bien le dissimuler. On prendra soin de faire un trou à environ 6 ou 7 cm du haut du bac pour permettre l'évacuation du trop-plein d'eau lors de pluie. Je connais au moins un jardinier qui a réussi à faire fleurir son plant de sarracénie pourpre dans un contenant semblable. Une autre condition est essentielle pour obtenir du succès: le soleil. Il faut un minimum de 6 à 8heures d'ensoleillement par jour sinon la plante dégénère rapidement.

Maintenant, la question d'usage: où trouver la plante? La chaîne Botanix affichait «Scarlet Belle» à son catalogue en début d'été, mais il y a fort à parier que la belle ne soit plus en magasin. Par contre, la petite entreprise de commerce en ligne www.quebeccarnivores.com offre autour de 80 espèces et variétés de sarracénies, toutes cultivées à l'extérieur toute l'année.

Plusieurs maisons canadiennes ou étrangères offrent aussi ces espèces par la poste. C'est le cas notamment de la Fraser's Thimble Farm de l'île de Salt Spring, en face de Vancouver. Vous serez d'ailleurs surpris par le nombre de plantes inusitées que l'on trouve chez Thimble (www.thimblefarms.com).

On peut aussi obtenir des plantes par semis.

Quant aux sites internet sur le sujet, celui de l'International Carnivorous Plant Society (www.carnivorousplants.org) est très intéressant. Il couvre tous les aspects de la question et vous donnera même une liste incroyable de tous les films qui mettent en vedette des plantes carnivores. Quant au site de la Société canadienne des plantes insectivores, il est malheureusement incomplet (www.scapi-ccps.org). Sa dernière mise à jour date d'avril 2010. Enfin, un des meilleurs ouvrages sur les plantes insectivores reste The Savage Garden, de Peter d'Amato, proprio de California Carnivores, probablement la plus grande pépinière du genre des États-Unis (www.californiacarnivores.com). Allez faire un tour virtuel. Vous serez renversé par la collection de népenthes.