À une époque, le seul Eucher que je connaissais était un garagiste sympathique de Val-Barrette, près de Mont-Laurier, où je m'arrêtais en allant à la pêche. Quelle ne fut pas sa surprise d'apprendre un jour que je cultivais des heuchères dans mon jardin qui, comme lui, me souriaient le printemps venu.

Depuis, ces plantes ont beaucoup évolué, se parant de coloris multiples, adoptant des noms aussi délicieux que «Chocolate Ruffles» ou «Tiramisu», mon dessert favori.

L'an dernier, par exemple, le grossiste Terra Nova, de l'État d'Oregon, dans l'Ouest américain, en a mis 22 nouvelles variétés sur le marché, des hybrides aux teintes exceptionnelles, souvent même extravagantes, dont la plupart sont actuellement en vente au Québec. Une visite sur le site de l'entreprise (www.terranovanurseries.com) vous permettra de découvrir autour de 80 hybrides en plus d'une fiche individuelle donnant leurs caractéristiques et leur mode de culture. Un ravissement pour les yeux.

Les heuchères sont des plantes originaires de l'Amérique du Nord, surtout de l'Ouest américain où elles poussent en forêt ou encore sur les parois des Rocheuses, jusqu'au Mexique. Elles sont d'abord cultivées pour les couleurs de leurs feuilles. À la fin du printemps émergent du plant de fines hampes florales surmontées de fleurs en forme de clochettes aux coloris divers mais tirant habituellement sur le rouge.

On compte une soixantaine d'espèces dont certaines se retrouvent un peu plus à l'est dans les Appalaches américaines, notamment Heuchera villosa, qui a servi à la création de plusieurs nouvelles variétés des grands hybrideurs français Thierry et Sandrine Delabroye. C'est le cas de «Pinot noir» au feuillage argenté veiné de bordeaux ou encore «Caramel» aux feuilles dans des tons de jaune et d'orange, de même qu'une mutation de ce dernier, «Citronelle», de couleur vert tendre, des cultivars réputés comme très résistants aux grandes chaleurs.

L'espèce Heurera sanguinea du Sud-Ouest américain qui répond également au nom de Coral Bells, une appellation bien connue, est aussi à l'origine de nombreux hybrides dont plusieurs ont perdu de leur popularité au fil des ans.

Feuilles d'hiver

L'appellation scientifique heuchera est de Linné, père de la nomenclature moderne. Elle visait à honorer Johan Heinrich von Heucher (1677-1747), médecin allemand passionné de plantes. En plus d'enseigner la botanique à l'université, il a été directeur du jardin botanique de Wittenberg et écrivit plusieurs ouvrages sur le monde végétal. Ne pas confondre avec Eucher, prénom de mon garagiste peu utilisé de nos jours, qui évoque saint Eucher, évêque de Lyon dans les années 400.

Les heuchères font partie de la grande famille des saxifrages qui regroupe entre autres les bergénies et les astilbes. Elles forment des rosettes de feuilles aux coloris extrêmement diversifiées, du vert fluorescent (on utilise parfois le terme vert chartreuse) au pourpre très foncé en passant par l'argenté et toutes les gammes de rouge, de rose ou d'orange. De 5 à 7 cm de diamètre, les feuilles sont très découpées, souvent frisées comme les nouveaux cultivars «Apple Crisp» ou «Pear Crisp».

Autre caractéristique intéressante et souvent méconnue: la plupart des cultivars possèdent un feuillage persistant. Si l'hiver n'est pas trop difficile et que la neige limite les dommages au plant, le feuillage sera déjà en forme aux premiers jours du printemps, comme ce fut le cas cette année chez moi avec le spectaculaire «Peach Flambé». Mieux encore, plusieurs variétés changent de couleur au cours de la saison de croissance, même l'été, mais surtout l'automne. La plante est peu appréciée des insectes et peu sujette aux maladies. Mais elle est sensible aux problèmes fongiques dans un milieu qui allie ombrage et trop grande humidité. Difficile de demander plus.

Heuchera aime un sol bien drainé mais retenant l'humidité; il est conseillé d'amender les sols argileux avec un bon apport de compost. La plante peut pousser en plein soleil mais apprécie avant tout une position mi-ombragée. Un soleil trop ardent peut d'ailleurs affecter le coloris. Attention! Les racines ligneuses ont tendance à émerger légèrement du sol avec le temps, phénomène qui est souvent accentué tôt au printemps à cause de la succession du gel et du redoux. Il est donc préférable de les remettre gentiment à leur place originale en exerçant une pression avec la main ou le pied sur le plant. On peut replanter au besoin. La plupart des variétés sont rustiques en zone 4.

Les heuchères sont populaires et on peut en trouver dans toutes les jardineries et pépinères. Les grossistes en tiennent habituellement une quarantaine de variétés à leurs catalogues. C'est donc dire que le choix offert en centre de jardin est habituellement assez grand, mais c'est probablement aux Jardins Michel Corbeil, à Saint-Eustache (www.jardinsmichelcorbeil.com), qu'on en offre l'éventail le plus impressionnant, une soixantaine d'hybrides.

Un dernier mot: même si elles sont plutôt amères, les feuilles d'heuchères sont comestibles. En plus d'ajouter de la couleur dans une salade mixte, certains soutiennent qu'elles y mettent beaucoup de piquant, une expérience que je n'ai toutefois pas encore tentée.

Et les heucherellas...

Les heucherellas sont le résultat d'une hybridation artificielle entre une heuchère et une tiarelle, réalisée pour la première fois en France en 1912. Le nouveau groupe s'est développé en diverses lignées et on en compte aujourd'hui de nombreux hybrides.

La plante est souvent tapissante et ses feuilles sont plus petites que celles des heuchères. Les fleurs ont aussi un aspect différent et s'épanouissent plus longtemps, habituellement en juin ou juillet. Les heucherellas sont habituellement considérées comme plus rustiques que les heuchères et préfèrent un emplacement plus humide mais en position mi-ombragée. Elles peuvent aussi pousser sous une couverture d'arbres sauf que leur croissance sera ralentie.