À l'âge de 8 ans, Christian Bédard assiste son grand-père dans son jardin à Québec. Deux ans plus tard, il devient responsable du potager familial. Avec passion, il bêche, plante, sarcle, arrose. Après son bac en biologie, il obtient une maîtrise en génétique des plantes à l'Université de Montréal.

«À 20 ans, mes amis tripaient sur les groupes rock. Moi, mon idole, c'était une dame de 68 ans qui hybridait des rosiers à Agriculture Canada», lance-t-il dans un éclat de rire. L'idole en question est Felicitas Svjeda, (qui doit fêter ses 90 ou 91 ans cette année), celle à qui l'on doit les rosiers rustiques de la série des Explorateurs canadiens, comme le célèbre «Champlain», un des plus vendus au Canada. Celle qui est aussi à l'origine d'hybrides plus récents tels que «Félix Leclerc», «Marie-Victorin» et «De Montarville».

Christian Bédard a la main verte. On peut même se demander si le sang qui coule dans ses veines n'est pas vert aussi. «C'est un peu fou, je le confesse, mais à l'époque, je rêvais déjà d'obtenir un AARS, un rosier primé par la All-America Rose Selection, l'équivalent d'une médaille d'or olympique pour un hybrideur, un honneur reconnu partout dans le monde.» Son rêve s'est finalement réalisé. Il monte fièrement sur le podium des roses cette année, une distinction qu'il partage avec son collègue de Weeks Rose, Tom Carruth.

Depuis 10 ans, après un passage à Agriculture Canada où il a participé notamment à la commercialisation du rosier «Marie-Victorin», Christian Bédard travaille comme hybrideur pour Weeks en Californie, aujourd'hui le plus important rosiériste américain, un club sélect qui ne compte que quelques personnes dans le monde. Et quand il parle de son joyau, un rosier grandiflora nommé «Dick Clark», en hommage à l'ex-présentateur vedette de la télévision américaine et grand amateur de jardinage, il devient intarissable.

Des rosiers québécois

«Le AARS, ce n'est pas rien, insiste-t-il. Une soixantaine de roses sont en compétition, des hybrides qui viennent de partout dans le monde. Un concours qui représente aussi un enjeu commercial international, car le rosier primé est habituellement vendu à travers la planète. Et au cours des dernières années, les rosiers sélectionnés ont été très rares, pas plus de deux annuellement.»

Curieusement, l'aventure américaine de l'hybrideur québécois a commencé à Québec, chez ses parents, alors qu'il a réussi à croiser deux variétés de rosiers rustiques qui ont donné le «Cap-Diamant», commercialisé lors du 400e anniversaire de la Fondation de Québec. «Très intéressés par ce rosier, les gens de Weeks ont voulu le commercialiser pour le Midwest et Nord-Est des États-Unis, de même que pour tout le Canada. Finalement, ils ont pris le rosier et... l'hybrideur.» D'ailleurs, une autre création de Christian Bédard, testée elle aussi dans la Vieille Capitale, a été mise sur le marché chez nous. C'est le «Nouvelle-France», rustique en zone 3 et commercialisé cette année aux États-Unis sous le nom de «Party Hardy» (le nom des rosiers change souvent selon le pays où ils sont vendus).

Le talentueux hybrideur a donné naissance à plusieurs autres variétés, notamment «Be My Baby», gagnant du grand prix Rosier miniature par excellence aux États-Unis pour l'année 2011. Le buissonnant «Teeny Bopper» aux fleurs rose foncé et au coeur blanc et le buissonnant «Pink Home Run», tous deux rustiques en zone 5. Le «White Licorice» et le «Sugar Monn», de couleur blanche, font aussi partie de ses récentes créations. Mais sa plus grande fierté demeure «Koko Loco» en raison de sa couleur unique de lait chocolat devenant lavande avec le temps, très difficile à obtenir, précise-t-il. Très florifère, le plant offre une bonne résistance aux maladies. La nouvelle variété sera mise sur le marché l'an prochain. Ce sera aussi le cas de «Ketchup&Mustard» qui, en dépit de son nom pour le moins discutable, est une splendeur. Ses fleurs sont d'un jaune vif à l'envers et rouge éclatant à l'endroit. Le nouvel hybride doit d'ailleurs faire la première page du catalogue Weeks 2012.

Résistance aux maladies

Les maladies restent toujours la bête noire des hybrideurs, souligne Christian Bédard. «Le marché des roses est tombé radicalement ces dernières années. Bien sûr à cause de la récession, mais aussi en raison des jeunes propriétaires qui aiment les fleurs sans avoir à les entretenir. Voilà donc notre défi: créer des roses qui résistent aux maladies et exigent un entretien minimal pour conserver leur beauté.» Un gros défi manifestement.

Il s'est vendu 40 millions de rosiers chez nos voisins américains en 2005, mais ce nombre ne devrait pas dépasser les 20 millions cette année. Le plus grand rosiériste aux États-Unis, Jackson and Perkins, a fait faillite l'an dernier et plusieurs grands pépiniéristes réputés sont actuellement aux prises avec les créanciers. C'est d'ailleurs le cas de Weeks Roses qui vend pourtant quatre millions de rosiers par année, le holding à qui appartenait la maison ayant lui aussi fait faillite.

Malgré tout, notre hybrideur reste optimiste. Selon lui, ce n'est pas demain que les roses disparaîtront des jardins.