Plante populaire, l'asclépiade pousse un peu partout dans nos terrains vagues ou dans les champs de banlieue. Spontanément, on l'associe à notre célèbre papillon migrateur, le monarque, car sa survie en dépend. Plusieurs de ses proches cousines ont aussi fait depuis longtemps leur place dans nos jardins. C'est le cas notamment des variétés d'Asclepias tuberosa, de l'indigène Asclepias incarnata ou encore de l'annuelle Asclepias curassavica.

Ce que l'on sait moins, c'est que l'asclépiade commune, de loin la plus répandue chez nous, figure sur la liste des plantes toxiques du Centre antipoison du Québec et que toutes les autres espèces connues, de 100 à 200 selon les auteurs, sont aussi considérées comme dangereuses pour la santé. D'ailleurs de nombreux animaux domestiques sont morts empoisonnés après en avoir mangé. Mouton, boeuf, cheval, lapin font partie de la liste des victimes. Et si la plupart des prédateurs ailés dédaignent l'appétissant monarque, c'est qu'il est bourré de toxines qui le rendent impropre à la consommation, des produits provenant de l'asclépiade, son aliment exclusif quand il est à l'état de chenille.

Pourtant, l'asclépiade est aussi considérée comme une plante comestible dont on mange les boutons floraux, les tiges, les feuilles ou encore les fruits lorsque tous sont jeunes. Une firme spécialisée dans la vente de plantes sauvages en offre régulièrement en pot et on peut parfois même en trouver à l'état frais dans des marchés publics. Certains restaurants raffinés en servent parfois à leur clientèle. J'en ai cuisiné d'ailleurs à quelques reprises notamment en tempura. Le hic, c'est qu'un repas d'asclépiades pourrait vous mener à l'hôpital et même au cimetière.

Une tasse suffit

Une des dernières parutions du magazine Clinical Toxicology rapporte le cas d'un homme de 69 ans sauvé in extremis à l'hôpital après avoir mangé environ une tasse d'asclépiade commune trouvée sur son terrain. Selon le chercheur qui s'est penché sur ce cas et cosignataire de l'article scientifique, le Dr Nathan Charlton, de l'École de médecine de l'Université de la Virginie, le patient avait mangé uniquement des tiges de la plante et quelques feuilles. «Il se souvenait étant jeune d'avoir mangé de l'asclépiade cuisinée par sa mère mais ne pouvait se rappeler comment elle procédait, a expliqué le médecin à La Presse. Il s'est donc contenté de faire sauter les morceaux d'asclépiade dans une poêle, ignorant le danger que représentait son mets. Deux heures plus tard, les premiers symptômes faisaient leur apparition.»

L'asclépiade contient une dangereuse toxine: la cardénolide. Celle-ci peut provoquer un arrêt cardiaque. Faute de soins immédiats, le patient serait décédé. La réaction de la cardénoline avec des médicaments utilisés pour stabiliser le coeur, par exemple, peut entraîner aussi de graves complications cardiaques.

Sans préciser que la plante peut provoquer des intoxications chez les humains, des auteurs de livres de cuisine et amateurs de plantes sauvages conseillent habituellement de faire bouillir la plante brièvement et de jeter cette première eau avant de la cuisiner à nouveau. Cela dans le but surtout de réduire l'amertume.

Photo: archives La Presse

Asclepias tuberosa au jardin.

La prudence s'impose

Le Dr Charlton, spécialiste en toxicologie, indique que si le fait de bouillir ou de cuire la plante à deux occasions semble éliminer suffisamment de toxine pour que l'asclépiade devienne comestible, il n'existe aucune donnée scientifique confirmant cette hypothèse. «Selon mon expérience, le degré de toxicité varie probablement selon la partie de la plante, les saisons ou encore la région où elle pousse. Ceux qui consomment de l'asclépiade devraient faire preuve de prudence. Évidemment, vous devriez faire appel à un médecin si vous avez des nausées, étourdissements ou encore si vous vomissez après en avoir mangé.»

D'ailleurs au Centre antipoison du Québec, on rapporte au moins cinq cas d'intoxication par l'asclépiade cette année, précise le directeur, le Dr René Blais.

Une dame a été gravement intoxiquée après avoir mangé la plante (probablement des bourgeons floraux ou des jeunes fruits) achetée au marché Jean-Talon, et cela même s'il elle a suivi les indications culinaires du vendeur. Un autre cas concerne quatre enfants dans un camp de vacances. Dans le cadre d'une activité, ils ont mangé une «omelette aux mauvaises herbes». Le terme n'était pas mieux trouvé puisque le mets contenait de l'asclépiade. Moins de 24h après le repas, les enfants ont été pris de nausées et de violents vomissements.

Espérons que les livres de cuisine aviseront leurs lecteurs du danger potentiel de consommer des asclépiades comme devraient aussi le faire ceux qui vendent la plante. La Santé publique devrait aussi se pencher sur ses effets toxiques.

Certains se souviendront qu'il y a quelques années, le gyromitre, un champignon très répandu au Québec, était réputé comestible et qu'il a même été commercialisé. On sait aujourd'hui qu'il a été responsable de décès en Europe et en Amérique du Nord.

Quant à l'asclépiade, la sensibilité à la plante peut vraisemblablement varier d'un individu à l'autre. Chose certaine, je vais dorénavant me contenter de les faire pousser au jardin. Elles sont si jolies. Mais il n'y a pas de cas d'empoisonnement mortel connu, direz-vous. Justement, je ne veux pas être le premier.

Photo: Archives La Presse

L'Asclepias incarnata se vend parfois au rayon des plantes indigènes. Ses fleurs sont plus foncées que celles de l'asclépiade commune.