Passe-temps ou passion pour certains, moyen de tendre vers l’autonomie alimentaire pour d’autres, la culture hivernale en serre gagne des adeptes au Québec.

Quand la saison du jardinage dure toute l’année

PHOTO FOURNIE PAR MASERRE.CA

Vanessa Fioramore a démarré MaSerre.ca avec son conjoint, Steve Dupuis, l’année dernière. Le duo construit ses serres en bois et polycarbonate et il en assure l’installation.

Vanessa Fioramore produisait et installait des poulaillers urbains depuis six ans quand elle a vu naître une demande pour des serres domestiques. La clientèle qui reluque les œufs frais s’intéresse aussi au jardinage, observe-t-elle. L’entrepreneure a décidé de profiter de cet engouement et de lancer sa propre entreprise de serres urbaines à l’apogée de la pandémie.

Pour certains, l’installation d’une serre est une façon de tendre vers l’autonomie alimentaire. Pour la plupart, il s’agit surtout d’un moyen d’étirer la saison de jardinage en la poursuivant en automne et en la devançant au début du printemps, constate la propriétaire de MaSerre.ca. C’était l’objectif d’un jardinier passionné, Luc Audet, qui, au moment de prendre sa retraite, il y a huit ans, a fait ériger une serre sur son terrain de Stoneham-et-Tewkesbury, dans la région de la Jacques-Cartier.

Je l’ai acquise trop tard. J’aurais pu en profiter bien avant, regrette le septuagénaire. Ça m’aide à passer les hivers qui sont toujours trop longs !

Luc Audet

Dans une serre de verre de 12 pi sur 14 pi, partiellement chauffée, l’horticulteur amateur cultive essentiellement des plantes ornementales et quelques légumes. Dès le mois d’avril, selon les hivers, il démarre ses quelque 150 dahlias en pots dans sa serre et y transfère ses semis d’annuelles et de vivaces une fois le risque de gel passé. « C’est mon passe-temps. Quand on aime le jardinage, avoir une serre est vraiment un plus qui permet d’en profiter au maximum. »

PHOTO FOURNIE PAR LUC AUDET

Luc Audet dans la serre qui lui permet d’étirer son plaisir de jardiner

Un éventail de possibilités

Jean-Philippe Vermette, directeur des interventions et politiques publiques du Laboratoire sur l’agriculture urbaine, attribue la popularité des serres domestiques au contexte actuel. « Le panier d’épicerie qui augmente, la sensibilisation à des enjeux environnementaux et à des circuits courts de production, tout ça amène les citoyens à se demander ce qu’ils peuvent faire pour améliorer leur rapport à l’alimentation. »

L’aventure du jardinage commence souvent avec un bac de fines herbes et quelques plants de tomates, et s’étoffe au fil des expérimentations. Différentes avenues peuvent être empruntées pour maximiser son potager, explique Jean-Philippe Vermette. La plus simple est de ressemer des végétaux résistants au froid en août et septembre — des haricots, laitues nordiques, radis, certains choux et légumes racines – pour obtenir une deuxième récolte. Si on aspire à les conduire plus loin en saison ou à cultiver des plantes plus frileuses, il faudra toutefois penser à leur fournir un refuge.

PHOTO FOURNIE PAR LUC AUDET

Dans sa serre, Luc Audet transfère ses semis dès que le risque de gel est passé.

L’abri horticole débute avec une solution simple qui consiste à recouvrir les plantes pour les protéger du gel la nuit. La deuxième consiste à les abriter sous un tunnel composé d’arceaux et d’une toile de polyéthylène qui laisse passer la lumière. Le concept s’étend ensuite à la serre non chauffée, qui peut s’additionner de couvertures froides pour accentuer l’effet de chaleur. Le nec plus ultra : la serre quatre saisons.

« À partir du moment où il fait -10 °C dehors, il peut faire -1 °C dans une serre, mais à cette température, même les légumes les plus résistants peuvent être affectés et ceux qui défient le froid auront une croissance plus lente », explique Jean-Philippe Vermette. Une stratégie consiste à laisser les légumes racines en terre pour les récolter tôt au printemps, comme le suggèrent Jean-Martin Fortier et Catherine Sylvestre dans leur dernier ouvrage, Le maraîchage nordique. À moins de s’équiper pour recréer les conditions dont nos plantes ont besoin pour survivre.

L’enjeu avec notre climat

On peut faire pousser de tout au Québec, même des bananes, dans la mesure où on leur fournit des conditions adéquates. Si le froid est un obstacle évident à l’agriculture, le manque d’ensoleillement l’est tout autant, sinon davantage. Combler ces lacunes hivernales implique de s’équiper d’un système de chauffage et d’éclairage artificiels. L’offre va de l’équipement de base à celui de haute technologie assisté de robots intelligents.

Dans ce cas, souligne M. Vermette, le calcul entre le rendement et l’investissement ne tient plus. « C’est un hobby qui coûte de l’argent pour le retour en légumes. On le fait surtout pour le trip d’avoir des tomates en hiver et de faire quelque chose d’un peu funky dans sa cour. Mais si on souhaite y aller avec un faible investissement et une faible empreinte énergétique, on travaille avec la saisonnalité des aliments et on n’essaie pas de faire pousser des bananes en janvier. »

Les serres de la promenade des Saveurs
  • Sur la promenade des Saveurs, dans l’arrondissement de Ville-Marie, plusieurs abris de voiture récupérés ont été modifiés pour être transformés en serres passives.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Sur la promenade des Saveurs, dans l’arrondissement de Ville-Marie, plusieurs abris de voiture récupérés ont été modifiés pour être transformés en serres passives.

  • Point de vue sur les serres de la promenade des Saveurs

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Point de vue sur les serres de la promenade des Saveurs

  • Intérieur d’une serre de la promenade des Saveurs

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Intérieur d’une serre de la promenade des Saveurs

  • Plant d’une serre de la promenade des Saveurs

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Plant d’une serre de la promenade des Saveurs

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Dans l’optique d’étirer les récoltes et de devancer les semis à petit coût, certains font preuve d’ingéniosité. Sur la promenade des Saveurs, à l’angle des rues Dufresne et de Rouen, le Carrefour solidaire mène une expérience avec le Laboratoire sur l’agriculture urbaine dans des serres passives créées avec de vieux abris de voiture recouverts de polycarbonate transparent. Lorsque le froid s’installe, des tunnels sont ajoutés à l’intérieur des serres pour fournir une protection supplémentaire aux végétaux.

L’année dernière, dans ces conditions, des légumes résilients semés en septembre dans des jardinières de type « Smart Pot » ont pu produire de novembre à la mi-janvier, explique la codirectrice générale du Carrefour, Sylvie Chamberland. Au printemps, dès mars, les végétaux en dormance ont repris vie pour assurer une deuxième et dernière récolte. Au-delà du jardinage, le projet conteste certains codes d’urbanisme qui permettent l’utilisation d’abris de voiture tout en interdisant les serres en façade des maisons.

  • La serre urbaine de François Escalmel

    PHOTO INGRID ASTUDILLO, FOURNIE PAR FRANÇOIS ESCALMEL

    La serre urbaine de François Escalmel

  • La serre urbaine de François Escalmel

    PHOTO INGRID ASTUDILLO, FOURNIE PAR FRANÇOIS ESCALMEL

    La serre urbaine de François Escalmel

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Voir plus loin que la récolte

Il faut de la motivation pour jardiner, que ce soit en serre ou non, mais il en faut aussi pour faire son jogging, fait valoir Jean-Philippe Vermette. « C’est un engagement. L’activité doit être vue dans sa multifonctionnalité : le loisir, l’exercice, le plaisir, la fierté de dire “Cette salade, je l’ai fait pousser” et, oui, la fonction économique et la sécurité alimentaire. »

La serre est aussi un espace que l’on se réserve à l’abri des intempéries pour ranger du matériel, bricoler ou tout simplement prendre son café par une belle journée d’hiver. « Quand il fait -30 °C à l’extérieur en plein janvier, il peut très bien faire 30 °C le jour à l’intérieur d’une serre exposée plein sud », indique Simon Chrétien, qui est expert de la culture en serre.

Nouvellement arrivé dans Rosemont, François Escalmel a fait installer une petite serre de 8 pi sur 14 pi dans sa cour afin de gagner une pièce de vie qu’il utilise comme atelier pour ses projets créatifs. Éventuellement, il souhaite y faire pousser certaines plantes et y lancer ses semis. « Dans mon ancienne maison, j’avais des mûres, des fraises, des bleuets… On congelait les surplus qui nous duraient à peu près tout l’hiver. Avec la hausse des prix à l’épicerie, j’aimerais beaucoup y revenir. Mais surtout, rien ne se compare au goût et au plaisir d’aller cueillir ses propres tomates chez soi ! »

Planifier sa serre en cinq questions

PHOTO FOURNIE PAR SIMON CHRÉTIEN

Certaines municipalités exigent l’obtention d’un permis au-delà d’une certaine superficie de serre.

« C’est vraiment agréable de cultiver en serre, mais c’est un plaisir qui peut vite s’estomper si on n’y a pas bien réfléchi », prévient le spécialiste de la culture en serre Simon Chrétien. Alors que le froid s’installe et impose une trêve de jardinage, l’occasion se présente d’évaluer son projet point par point en se posant les bonnes questions.

Est-ce possible ?

Avant de s’emballer pour la construction d’une serre, il importe de vérifier la réglementation municipale. Certaines municipalités exigent l’obtention d’un permis au-delà d’une certaine superficie, indique l’auteur Simon Chrétien, dont l’ouvrage, Serres domestiques et jardins d’intérieurs, fait le tour du sujet.

PHOTO EMILY YEWCHUK, FOURNIE PAR BC GREENHOUSE BUILDERS

Certaines serres peuvent nécessiter une fondation.

L’emplacement sur le terrain sera à évaluer. Pour bénéficier d’un maximum de chaleur et d’ensoleillement, la serre aura avantage à être exposée au sud. La présence d’un brise-vent, que ce soit une haie ou la maison, permettra aussi de diminuer les coûts de chauffage. Pensez à l’approvisionnement en services (eau, électricité, gaz ou propane) et aux éléments environnants : des arbres feront-ils ombrage, des structures peuvent-elles nuire à l’installation, car votre serre aura besoin d’une surface plane et d’une bonne assise. « Quand on leur parle de fondations, certains déchantent. Ils pensent qu’on met ça dans la cour et que c’est réglé, mais non. Les serres en verre, par exemple, sont lourdes et ont besoin d’une fondation qui va sous la ligne de gel. » Enfin, pensez au parcours que vous devrez emprunter l’hiver pour accéder à votre serre : la proximité avec la maison est un plus pour s’épargner du déneigement.

Quelles sont vos attentes ?

Au Québec, l’option la plus évidente est de vouloir prolonger la saison du jardinage et d’ainsi augmenter ses récoltes en commençant plus tôt et en poursuivant la culture plus tard à l’automne. Selon le type de plantes qu’on souhaite y faire pousser et des stratégies complémentaires utilisées (couvertures froides, tunnels, câbles chauffants, barils d’eau…), il faudra possiblement chauffer la serre, principalement la nuit quand les températures chutent considérablement.

Au-delà de l’investissement en argent et de la faisabilité du projet, évaluez le temps que vous êtes prêt à investir pour l’entretien des plantes et de la serre elle-même, et si l’idée de sortir par -15 °C pour jardiner vous enchante. « Parfois, les gens ont l’impression que c’est du clés en main, qu’on met ça là et que le reste se fait tout seul. C’est une activité qui est à la portée de la plupart des gens, mais il faut bien réfléchir à ce qu’elle comporte et s’organiser en conséquence pour que ça reste agréable », conseille Simon Chrétien.

Quels types de végétaux souhaitez-vous y cultiver ?

Fruits, légumes, plantes ornementales… Tout peut pousser en serre, dans la mesure où on arrive à reproduire l’environnement dans lequel une plante évolue naturellement.

Du côté des comestibles, les cultures les plus faciles en serre sont les verdures, les crucifères, des fines herbes et des légumes racines, ainsi que les plantes conçues pour survivre dans ce genre d’environnement comme la tomate de serre qui s’autopollinise. L’histoire se corse toutefois avec les végétaux à fleurs, comme les tomates et concombres, qui ont aussi besoin de chaleur. Dans tous les cas, un éclairage artificiel sera nécessaire au creux de l’hiver pour assurer un certain rendement. L’été, il faudra tempérer un climat trop chaud.

PHOTO FOURNIE PAR SIMON CHRÉTIEN

Une serre peut être simplement constituée de matériaux recyclés comme de vieilles fenêtres.

Quel est votre budget ?

L’investissement varie en fonction de ses ambitions. On peut construire soi-même une serre en trafiquant un ancien abri de voiture ou en récupérant de vieilles fenêtres et quelques panneaux de bois. L’offre de serres en trousse est cependant de plus en plus étoffée. Plus simple encore, certaines entreprises offrent un service clés en main et assureront l’installation, y compris la préparation du sol et des fondations.

Il existe une panoplie de modèles, du plus rudimentaire au plus luxueux, muni d’un équipement automatisé et de lumières spécialisées. Selon le choix, les prix varient de quelques centaines de dollars à plus de 100 000 $.

Quelle serre choisir ?

À la base, une serre est une structure en bois, en acier ou en aluminium dotée de panneaux ou de toiles translucides. Ces derniers peuvent être composés de verre, de polycarbonate, d’acrylique ou de polyéthylène, selon le budget, l’esthétique et le degré d’isolation recherchés. Chaque matériau a ses avantages et inconvénients ; les choix les plus économiques, mais non les plus durables, étant le bois et le film de plastique.

Une serre peut être chauffée (de type couche chaude) ou non (de type couche froide). Elle doit être munie d’un châssis qui s’ouvre manuellement ou de façon mécanisée pour ventiler l’espace.

Une serre peut être modestement constituée d’un cadre couvert ou d’un tunnel déposé sur le potager. De façon plus complexe, elle prend la forme d’une maisonnette servant uniquement au jardinage ou utilisée aussi comme pièce de vie. Ces dernières années, un autre type de serre gagne du terrain en Amérique du Nord : la semi-souterraine Walipini. Enfouie entre 6 et 8 pi dans le sol, elle permet de maintenir une température et un taux d’humidité relativement constants.

PHOTO FOURNIE PAR SIMON CHRÉTIEN

La serre Walipini

La superficie de l’abri sera un facteur à considérer. Un format de 8 pi sur 8 pi peut être suffisant pour s’amuser. La hauteur variera en fonction des plantes à cultiver, mais il est évidemment pratique d’y circuler debout. Plus une serre est grande, plus elle demandera d’énergie à chauffer. Au cours de sa carrière, Simon Chrétien a tout de même pu observer que l’un des regrets des clients est de n’avoir pas opté pour plus grand. La serre est souvent un investissement important et de ceux qui vont durer une vie. Pensez à long terme.

Pour en savoir plus 

Serres domestiques et jardins d’intérieur, de Simon Chrétien, Éditions de l’Homme, 2022 : publié en 2007 et mis à jour cette année, l’ouvrage fait le tour des options en matière de serres et des notions à connaître pour cultiver dans ces conditions.

Le maraîchage nordique, par Jean-Martin Fortier et Catherine Sylvestre, éditions Cardinal, 2021 : un ouvrage engagé qui permet de s’initier à la culture maraîchère en hiver selon des principes d’agriculture écologique.

Potager à l’année, par Albert Mondor, Les éditions du Journal, 2022 : des conseils pratiques et avisés pour prolonger la saison des récoltes ou la faire durer toute l’année.