Sur l’ancien territoire des Abénakis qui longe le lac Massawippi, dans les Cantons-de-l’Est, se dresse aujourd’hui un jardin luxuriant semé d’œuvres d’art et de tableaux végétaux où gazouillent les oiseaux. Mais qui tend l’oreille peut encore entendre les murmures de ceux qui ont jadis foulé son sol…

À ce temps-ci de l’année, le jardin d’art de Glen Villa sent bon le lilas. Il fut une époque où l’on venait de loin pour s’y prélasser et humer sa nature paisible. North Hatley, à la fin du XIXe siècle, était un lieu de villégiature prisé d’une clientèle internationale bien nantie, mais particulièrement des sudistes venus au nord pour y trouver une chaleur moins suffocante en été.

C’est dans cette période faste pour l’hôtellerie du village que le petit hôtel Glen Villa a été construit en 1893, avant d’être remplacé par un établissement plus gros : trois étages — une attraction dans les environs — qui permettaient d’accueillir non plus 50, mais 200 invités. L’hôtel a par ailleurs sa terre agricole et une ferme qui l’approvisionne en lait et en légumes frais.

PHOTO EXTRAITE DU LIVRE AUTOBIOGRAPHY OF A GARDEN

L’hôtel Glen Villa au début du XXe siècle

Nous sommes en 1907. Les nouveaux visiteurs, arrivés par train au village, accostent sur la rive de Glen Villa en bateau à vapeur. L’époque est aux ombrelles. On s’évade en pêchant la truite, en calèche dans les bois, au tennis ou au golf en tenues proprettes. Dans la villa, un orchestre accompagne les repas. Les couples migrent en soirée vers le casino ou s’enlacent discrètement dans la salle de bal. La fumée des cigares autour des tables de billard et des allées de bowling est à couper au couteau… Glen Villa a l’esprit guilleret.

Hommage au passé

De l’époque glorieuse de Glen Villa subsiste un endroit exceptionnel composé d’une forêt, de cascades, de champs agricoles et de prés d’où l’on peut admirer les reflets miroitants du Massawippi… Quelques ruines, aussi : les deux hôtels du tournant du siècle ont été tour à tour ravagés par les flammes.

Après le dernier incendie, la terre et sa ferme ont été rachetées par un riche homme d’affaires de Sherbrooke avant de passer aux mains de deux propriétaires et de tomber dans l’oubli. Le père du journaliste Norman Webster était l’un d’eux. Après avoir vécu en Chine durant la Révolution culturelle et en Angleterre pendant les années Thatcher, c’est sur la terre de sa jeunesse, là où il avait l’habitude de passer ses vacances, que le correspondant du Globe and Mail a posé ses valises avec sa femme, Patterson, et leurs cinq enfants en 1996, après avoir fait l’acquisition du domaine.

« Je suis tombée amoureuse avec le site, la famille, les gens. C’est là où le cœur était », affirme Patterson Webster, qui est originaire de Virginie.

Les jardins étaient entretenus, mais sans grandes surprises. Je ne connaissais pas grand-chose au jardinage, mais je savais que je voulais saisir cette opportunité de faire ressortir la beauté naturelle des lieux.

Patterson Webster, créatrice du Jardin d’art de Glen Villa

Un aperçu de l’installation artistique Au fil du temps
  • Le sentier commence avec une installation qui rend hommage aux premiers habitants du territoire, la Nation abénakise.

    PHOTO FOURNIE PAR PATTERSON WEBSTER

    Le sentier commence avec une installation qui rend hommage aux premiers habitants du territoire, la Nation abénakise.

  • Réalisé en collaboration avec Myke Hodgins et Mary Martha Guy, Le cénacle est un mémorial à la mère de l’artiste. Des panneaux de verre sur lesquels figure un cornouiller, emblème de la Virginie, forment un mur imaginaire où joue la lumière.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Réalisé en collaboration avec Myke Hodgins et Mary Martha Guy, Le cénacle est un mémorial à la mère de l’artiste. Des panneaux de verre sur lesquels figure un cornouiller, emblème de la Virginie, forment un mur imaginaire où joue la lumière.

  • Quelques artefacts retrouvés sur les lieux du grand hôtel

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Quelques artefacts retrouvés sur les lieux du grand hôtel

  • Plutôt que d’essoucher cet arbre qui venait d’être étêté par une tempête, Patterson Webster lui a rendu hommage avec cette sculpture dont les cercles représentent les cycles de vie de l’arbre.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Plutôt que d’essoucher cet arbre qui venait d’être étêté par une tempête, Patterson Webster lui a rendu hommage avec cette sculpture dont les cercles représentent les cycles de vie de l’arbre.

  • Sculpture du domaine

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Sculpture du domaine

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Un pont avec l’avenir

Depuis plus d’un quart de siècle, l’artiste visuelle, écrivaine et philosophe Patterson Webster façonne la flore, étudie la topographie, déterre l’âme des lieux à travers l’art et l’horticulture. Elle a découvert, ce faisant, plusieurs artefacts mis en valeur dans des œuvres artistiques.

« Toutes ces ruines me parlaient en quelque sorte et semblaient dire qu’en regardant bien, on pouvait trouver davantage sur ce site qu’une belle esthétique. L’une de mes premières installations se nomme La marche des fantômes. J’ai parfois l’impression qu’ils sont partout, chaleureux et amicaux, dit-elle en riant. Il y a plein d’éléments romantiques sur ce terrain. » L’artiste et écrivaine raconte la création de son jardin d’art dans un livre, Autobiography of a Garden, qui sera publié en juillet.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Patterson Webster est titulaire d’une maîtrise en arts de l’Université Concordia et de doctorats honorifiques de l’Université Laurentienne et de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard pour son travail de promotion de l’éducation bilingue.

Les jardins tournent souvent autour de leur beauté. Je voulais que le mien ait aussi un sens.

Patterson Webster, créatrice du Jardin d’art de Glen Villa

« C’est facile de traverser la vie sans voir ce qui est sur son chemin et sans se soucier des conséquences, dit-elle. J’espère qu’en ayant conscience de l’histoire du site et en prenant le temps d’observer ce qui s’y trouve, on pourra mesurer l’impact de notre propre passage sur le territoire et sur l’avenir. »

Le jardin de Glen Villa est un récit végétal en 15 tableaux qui raconte l’histoire de ses habitants. À cette histoire s’ajoute désormais l’empreinte de Patterson Webster et de sa famille.

Portes ouvertes à Glen Villa

Patterson Webster ouvre son jardin privé au public cette année : les 25 juin, 23 juillet, 20 août et 1er octobre. Ces portes ouvertes sont une rare occasion de découvrir l’installation artistique Au fil du temps, parcours philosophique et contemplatif d’une durée de 2 h 30 min entre bois, prés, salons-jardins et sculptures. « Comme dans beaucoup de voyages, la récompense vient en réponse à ce que le marcheur a investi, souligne Patterson Webster. Le voyage est la destination. » Le coût est de 25 $ par personne. Tous les profits sont versés à la Fondation Massawippi, qui travaille à la conservation des terres entourant le lac.

Consultez le site du jardin d’art de Glen Villa