Condiment par excellence des amateurs de sensations fortes, le piment crée la surprise comme nul autre en bouche. Au potager, il embrase les jardiniers par sa présence flamboyante et sa diversité. Devant de tels attraits, comment rester tiède ?
Enfant, Marie Morin s’imaginait galoper un jour sur ses terres. Ce rêve de cowgirl a été mis en veilleuse lors de son déménagement de Calgary vers Montréal, pour renaître sous une autre forme à l’aube de ses 40 ans. L’acheteuse de produits chimiques en usine en a eu marre de la congestion routière. Elle a mis fin aux longs trajets en prenant le premier virage.
Elle s’est tournée vers les plantes : une évidence quand on bichonne depuis longtemps sa petite jungle à la maison. Son DEP d’horticultrice en poche, elle loue ensuite une terre dans une ferme locale et fait l’achat de deux serres où planter des piments. « Il n’y a pas d’équivalent pour rehausser un plat sans masquer les saveurs », estime-t-elle. Elle les utilisait déjà à toutes les sauces.
Dans une logique de production locale et durable, sa Serre St. Laz fait aujourd’hui pousser des produits « clés en main » pour les fabricants de sauces piquantes : des oignons, tomates, poivrons et fines herbes. Trente-deux variétés de piments évoluent sur sa terre de Saint-Lazare, des plus « doux » comme le jalapeno aux plus intenses comme le scorpion. Entre les deux, des ajis aux goûts fruités de citron, de mangue, d’ananas ou de fraise. « Ce qui m’intéresse, au-delà du piquant, ce sont les saveurs », souligne celle qui a fait le choix de cultiver sans produits chimiques : « pour la santé et pour le goût ».
Un « kick » pour les piments
Les piments ont leurs admirateurs, accros de chaleurs. Le semencier Olivier Légaré, des Semences du Batteux, en fait partie et avoue sa préférence pour cette plante diversifiée. Dans son jardin de Bellechasse, il cultive 200 plants d’une trentaine de variétés de piments et s’investit dans le développement de nouveaux cultivars.
Le milieu des piments est vigoureux. On y trouve des gens passionnés et beaucoup, de manière étonnante, dans les pays du Nord.
Olivier Légaré, semencier
La Finlande héberge l’un des plus grands terrains de semences de piments au monde, et le Québec voit naître chaque année de nouvelles sauces pimentées de son cru.
Aucune plante potagère ne se présente sous autant de formes, de couleurs et d’intensités — des centaines ! Aucune ne provoque autant de sensations gustatives, dit-il. La culture du capsicum comporte par ailleurs ses défis qui ne sont pas sans intérêt pour les jardiniers. Annuels dans notre climat, vivaces dans les zones tropicales, les piments doivent être semés à l’intérieur au moins trois mois avant leur migration au jardin pour avoir une chance de s’y épanouir.
« Les comportements varient selon les espèces », souligne le semencier. Les plus douces et faciles à cultiver sont les Capsicum annuum qui englobent les poivrons et piments forts comme l’espelette, le jalapeno et le poblano. Les baccatum (aji citron), frutescens (ajis, piment de Cayenne, piment oiseau) et les chinense (habanero, trinidad scorpion, « Scotch Bonnet »...) sont, du plus chaud ou plus brûlant, parmi les plus intenses et parfumés.
Plus ils sont piquants, plus ils mettent de temps à arriver à maturité : entre 80 et 180 jours. Selon les variétés, les semis seront donc démarrés entre décembre et mars. Les jardineries offrent toutefois une sélection de plus en plus intéressante.
Planter du piment
Les piments exigent chaleur et plein ensoleillement. « C’est préférable d’attendre que le mercure se maintienne au-dessus de 15 °C la nuit pour mettre les plants au potager, prévient Marie Morin. À 10 °C, ils peuvent survivre, mais leur croissance ralentit. Comme ils aiment avoir les pieds au sec, on les arrose de façon régulière, mais sans excès. »
On pourrait croire que leur intensité rebute les envahisseurs. Il n’en est rien. Les limaces, araignées rouges et pucerons sont insensibles à la capsaïcine — molécule dont la concentration dans la chair, et non dans les graines, provoque une sensation de piquant chez l’ensemble des animaux, dont les humains, mais excluant les oiseaux qui sont insensibles à ce moyen de défense qui est utile à la plante pour disperser les graines.
Pour prévenir les maladies et les indésirables, un sol de qualité — amendé avec du compost au moment de la plantation et une application régulière de fertilisant — est encore ici le secret. Les piments évoluent mieux dans un terreau acide. On pourra donc évaluer le pH du sol tous les mois et ajouter du soufre au besoin. Marie Morin y ajoute des répulsifs naturels.
Je plante mes piments en alternance avec des fleurs. Les tagettes éloignent les vers dans le sol tandis que l’alysse odorante attire les prédateurs qui chassent les insectes nuisibles.
Marie Morin, de la Serre St. Laz
La conquête du feu
Récoltés avant d’être mûrs, les piments seront piquants, mais moins savoureux et digestes qu’une fois leur couleur finale atteinte. L’enjeu, dans le cas des espèces baccatum et chinense, sera d’obtenir une récolte satisfaisante dans le temps alloué. « On peut prolonger la récolte en les rentrant à la chaleur jusqu’au printemps suivant », indique la pimentière Marie Morin. Pour qui cultive en grande quantité comme Olivier Légaré, l’opération se complique. Il prolonge plutôt la saison avec des toiles thermiques et élimine la moitié du feuillage et les petits fruits afin que le soleil puisse atteindre et faire mûrir les derniers spécimens.
Les piments peuvent être déshydratés à basse température, puis réduits en flocons ou en poudre. À moins de les mettre au congélateur ou d’en faire des huiles, purées ou sauces. « Pour savoir comment les apprêter, goûtez toujours à un petit morceau de piment cru pour découvrir ses arômes, indique Marie Morin, qui conseille encore de s’initier à la sensation de chaleur en haussant graduellement le niveau d’intensité. Le système immunitaire se défend devant ce qu’il considère comme un poison et développe graduellement sa résistance à la capsaïcine. Rien n’immunise toutefois contre le risque d’être accro.
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- Baromètre du piquant
- L’échelle de Scoville permet de classer les piments selon leur intensité : entre 0 unité Scoville (ou SHU) pour les poivrons et jusqu’à 16 millions pour la capsaïcine pure, 3 millions de SHU étant utilisés pour chasser un ours. Le paprika doux se situe au bas de l’échelle (entre 100 et 500 SHU). Le jalapeno se situe entre 2500 et 8000 SHU, le piment de Cayenne, entre 30 000 et 50 000, tandis que le habanero se classe parmi les plus piquants, à entre 150 000 et 325 000 SHU.