Un couple de propriétaires du quartier Rosemont à Montréal a cassé l’asphalte recouvrant son espace de stationnement pour le remplacer par de la verdure. L’initiative, qui a causé l’étonnement des voisins, s’inscrit dans un mouvement qui fait tranquillement son chemin.

« On est passés pour des fous dans la ruelle ! lance Marion Le Bloa. Beaucoup de gens ont des voitures et stationnent à l’arrière. On nous a dit : ça vaut tant un stationnement. On n’est pas dans l’optique de vouloir revendre bientôt, et ce n’est pas totalement irréversible. Mais il y a des gens qui nous ont trouvé vraiment bizarres de faire ça. »

Photo François Roy, La Presse

Le stationnement se trouvait dans le coin supérieur gauche de la cour, sur la photo.

Jusqu’à ce qu’ils le retirent l’été dernier, le stationnement, conçu pour une voiture, occupait une partie de la cour arrière de leur plex. Puisque la famille ne possède plus d’auto, verdir cet espace était pour elle logique. Les propriétaires auraient même pu le faire bien avant, admet Mme Le Bloa. « Si on a attendu pendant six ans, c’est qu’on pensait qu’il fallait un marteau-piqueur. On voyait ça gros. On ne pensait pas que ça se soulevait comme ça, l’asphalte, quand c’est mal posé ! »

C’est après avoir constaté que les morceaux d’asphalte se détachaient assez facilement du sol qu’ils les ont cassés et retirés avec leurs deux enfants. Un voisin, muni d’une scie à béton, les a aidés à découper une bordure droite. Ils ont ensuite embauché des ouvriers pour le retrait de l’épaisse couche de gravier qui se trouvait sous l’asphalte et pour le remplissage du trou avec de la terre. Puis, ils ont eux-mêmes mis de la tourbe. Celle-ci ayant mal traversé la première année, elle sera plus tard remplacée par des végétaux. Le coût total de l’opération ? Environ 1500 $.

  • La cour avant les travaux

    PHOTO FOURNIE PAR MARION LE BLOA

    La cour avant les travaux

  • Un marteau-piqueur est souvent nécessaire pour casser l’asphalte. Pas ici, où il a été retiré à coups de masse et de pelle (photo de gauche). Après les travaux, le couple a mis de la tourbe qui, depuis, a eu la vie dure (photo de droite).

    PHOTOS FOURNIES PAR MARION LE BLOA

    Un marteau-piqueur est souvent nécessaire pour casser l’asphalte. Pas ici, où il a été retiré à coups de masse et de pelle (photo de gauche). Après les travaux, le couple a mis de la tourbe qui, depuis, a eu la vie dure (photo de droite).

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« On a l’impression que la cour est plus grande », constate Marion Le Bloa. Plus fraîche aussi, dit-elle.

Îlots de chaleur et ruissellement

Libérer la terre de l’asphalte (et du béton), une opération qu’on appelle « déminéralisation », est une façon de lutter contre les îlots de chaleur, puisque l’asphalte a la propriété d’absorber la chaleur plutôt que de la réfléchir.

Photo François Roy, La Presse

Les propriétaires prévoient planter des végétaux là où se trouvait le stationnement.

Dans un même secteur urbain, la différence de température entre un espace minéralisé et un espace verdi peut atteindre jusqu’à 12 °C, selon Véronique Fournier, directrice générale du Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM).

Dans le contexte des changements climatiques et des augmentations des épisodes de températures extrêmes, les îlots de chaleur ont des impacts sur la santé des populations.

Véronique Fournier, directrice générale du Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM)

La déminéralisation assure aussi une meilleure gestion des eaux de pluie en permettant au sol de jouer son rôle d’éponge et en réduisant le ruissellement qui entraîne des contaminants dans les cours d’eau.

Pour sensibiliser les citoyens, les organisations et les municipalités aux méfaits de la minéralisation, le CEUM a lancé plus tôt ce mois-ci la campagne Pousse après pousse, regagnons du terrain !.

Photo Martin Matteau, fournie par Environnement Mauricie

En 2019, des élus et des citoyens bénévoles ont verdi une partie du stationnement du marché public de Shawinigan.

D’après un sondage mené par le CEUM en décembre 2021, 76 % des Québécois souhaitent voir leur municipalité agir davantage pour adapter les milieux de vie aux changements climatiques, mais seulement 23 % d’entre eux sont conscients que la minéralisation a un impact sur la qualité de l’eau potable et 10 %, que ce phénomène accentue les inégalités sociales.

« Ce n’est pas qu’à Montréal, précise Mme Fournier. On retrouve cette réalité dans des secteurs plus urbanisés dans l’ensemble des régions du Québec. »

En 2017, la CEUM a lancé le projet Sous les pavés, qui accompagne les communautés dans leurs démarches de déminéralisation. Depuis, une quinzaine de sites ont été libérés de 2559 m⁠2 d’asphalte, notamment des cours d’école et des stationnements comme celui du marché public de Shawinigan, qui avait été ciblé par la municipalité comme un îlot de chaleur. Avec l’aide d’une petite armée de citoyens et d’élus, quatre places de stationnement asphaltées ont été remplacées par de la végétation.

« C’était un gros stationnement ; il y avait une image là », souligne la conseillère municipale Jacinthe Campagna.

On a quelques commerces comme ça à Shawinigan qui ont des stationnements immenses qui ne sont jamais pleins. C’est une grosse perte d’espaces verts.

Jacinthe Campagna, conseillère municipale de Shawinigan

L’objectif, ajoute-t-elle, était également de parler d’environnement avec les citoyens. « Nous avons une population vieillissante qui est très habituée à la machine. C’est une culture de voiture. C’était aussi l’occasion d’ouvrir le dialogue avec les clientèles défavorisées qui habitent ce secteur et qui n’ont pas nécessairement l’occasion de discuter de ces enjeux-là et avec les commerçants : l’économie, d’accord, mais as-tu pensé qu’avoir un espace vert va faire en sorte que les gens vont s’arrêter plus souvent ? »

Bien que Sous les pavés mise sur les projets communautaires comme celui de Shawinigan, « on peut tous agir pour se libérer de l’asphalte », insiste Véronique Fournier. « Comme citoyens, il y a des choix qu’on peut faire, en décidant par exemple de ne pas asphalter ou minéraliser une surface. On peut retirer de l’asphalte pour planter, pour verdir. » Même installer des bacs à fleurs ou à légumes sur son balcon ou sa terrasse peut avoir un impact.

Quand un stationnement est nécessaire, on peut privilégier les dalles alvéolées, en plastique recyclé ou même en béton, bien que ces dernières absorbent la chaleur. Faire pousser de la verdure dans les alvéoles demande des soins attentifs et un usage modéré du stationnement. Mais on peut aussi opter pour du gravier, ce qui permettra à l’eau de percoler… sous les pavés !

Consultez le site de Sous les pavés