Après de longues réflexions, vous décidez enfin d’agrandir la maison. Pour accueillir une pièce supplémentaire, réaménager la cuisine ou ouvrir un nouvel espace sur la cour. Cependant, tout près de la maison, un arbre imposant. Et s’il était possible d’intégrer la conservation de celui-ci dans votre projet ? Deux architectes et un spécialiste en foresterie urbaine se prononcent sur la protection des arbres en milieu urbain.

L’érable qui domine l’îlot intérieur de la maison-atelier de la firme d’architecture YH2 doit bien avoir 60 ans. Bien des secrets ont été partagés sous ses longues et solides branches qui s’étirent fièrement vers les murs des bâtiments qui l’entourent.

Lors des travaux majeurs de réaménagement et de construction, en deux phases, il était impératif de protéger l’arbre. « Ici, comme dans la majorité des projets réalisés en milieu urbain, ça devient presque un leitmotiv pour nous lorsqu’on travaille sur une propriété où il y a un arbre. En créant une cour intérieure, c’est essentiel d’avoir un élément végétal fort », décrit l’architecte Loukas Yiacouvakis, associé chez YH2 qui insiste sur l’oasis de verdure que crée une telle intégration.

L’importance du patrimoine végétal

Si la question ne se posait pas pour Loukas Yiacouvakis et son associée Marie-Claude Hamelin, cela ne veut pas dire que la préservation d’un arbre est un réflexe très répandu chez la clientèle. L’architecte est souvent celui qui soulève la question.

« Le patrimoine forestier de Montréal est très important et contribue à la qualité globale de la ville. C’est pourquoi autant que possible, on recommande de conserver les arbres existants », explique Jean-François St-Onge, cofondateur de ADHOC Architectes, en ajoutant que la présence d’arbres matures donne cette impression unique que la réalisation a déjà du vécu, même si elle est très récente. « Le contre-exemple serait les banlieues où tout est rasé avant de lancer les constructions. On se retrouve avec de tout petits arbres et ça crée un caractère complètement différent. De plus en plus, les clients sont sensibles à ça. »

IMAGE FOURNIE PAR ADHOC ARCHITECTES

La firme ADHOC Architectes recommande à ses clients, lorsque la situation le permet, de conserver les arbres présents sur le terrain où doit voir le jour leur projet.

Les municipalités sont elles aussi plus préoccupées par la préservation du patrimoine végétal, comme l’explique Luc Nadeau, de Nadeau Foresterie Urbaine, qui possède près de 30 ans d’expérience dans le domaine. « Aujourd’hui, on est habituellement impliqué dès le début d’un mandat, à titre de consultant, ce qui n’a pas toujours été le cas. Heureusement, les choses ont évolué dans le bon sens en matière de préservation des arbres. » Son rôle consiste à faire l’inventaire du site, définir la qualité des arbres qu’on y retrouve, en considérant plusieurs facteurs, dont le côté rarissime des espèces présentes. Selon la réglementation en vigueur, le rapport qu’il produit permet de réfléchir sur l’implantation des bâtiments, d’établir des zones de protection des arbres et de planifier adéquatement l’entreposage des matériaux pendant la construction.

Le pouvoir créatif de la contrainte

Pour les architectes, le fait de composer avec un arbre ou tout autre élément de la nature que le client souhaite conserver, par choix ou par obligation, est une contrainte qui peut être très stimulante. « La contrainte nourrit le processus architectural, rappelle Jean-François St-Onge. Les plus grands projets sont nés de très fortes contraintes. Ils forcent à se dépasser et pour y faire face, tu crées des situations plus innovantes. »

Que ce soit pour créer une oasis urbaine dans une cour arrière ou repenser la devanture d’un bâtiment en intégrant un ou des arbres matures, Loukas Yiacouvakis y voit lui aussi un beau défi de création.

L’architecture, c’est l’art du lieu, l’art de travailler avec un contexte. Pour nous, l’arbre est un élément de contexte qui est très intéressant et on arrive toujours à en tirer profit.

Loukas Yiacouvakis, architecte associé chez YH2

Malgré toute la bonne volonté du monde, dans certains cas, il n’est malheureusement pas possible de préserver des arbres existants. Pour Jean-François St-Onge, il n’en demeure pas moins que dans de tels cas, il est essentiel d’ajouter de la végétation aux plans. « Dès l’étape du design, on va demander à des architectes de paysage de nous conseiller. Autant que possible, on essaie de non seulement remettre ce qui a été coupé, mais idéalement de doubler la replantation. »

S’informer auprès de la municipalité

Selon la réglementation en vigueur, particulièrement en milieu urbain, il est possible que soient demandées des études de caractérisation des arbres et d’évaluation des impacts ainsi que la présentation de protocoles pour conserver les arbres lors des travaux avant de délivrer un permis de construction. Comme les municipalités s’appuient habituellement sur les avis d’experts en foresterie urbaine, des arbres qui vivent plus longtemps, des espèces nobles, celles qui nécessitent peu d’entretien et qui sont en bonne santé ont plus d’intérêt à être conservés que des arbres en fin de vie, sujets aux maladies et fragiles.