Quand on s'engage sur le chemin bordé d'arbres centenaires qui mène à la Maison de la prune, à Saint-André-de-Kamouraska, on remarque sur la droite un verger récemment planté de pruniers de Damas qui, de toute évidence, ne donneront jamais. Leurs racines, d'abord noyées par la queue de l'ouragan Ivan à l'automne 2004, ont par la suite gelé durant l'hiver.

Quand on s'engage sur le chemin bordé d'arbres centenaires qui mène à la Maison de la prune, à Saint-André-de-Kamouraska, on remarque sur la droite un verger récemment planté de pruniers de Damas qui, de toute évidence, ne donneront jamais. Leurs racines, d'abord noyées par la queue de l'ouragan Ivan à l'automne 2004, ont par la suite gelé durant l'hiver.

La situation désole Paul-Louis Martin et sa compagne Marie De Blois, qui ont fondé la Maison de la prune en 1992 avec leurs enfants. «C'est la pire année que nous ayons connue en 30 ans, avec la perte de 300 arbres», observe l'historien en arpentant le verger situé derrière sa grande maison construite en 1840 par un riche marchand de beurre, qu'il a acquise en 1972 et restaurée avec minutie. «Pour finir de gâcher le tableau, nous avons connu un été si sec que les arbres n'arrivent pas à donner des fruits. Si l'on tire 20 paniers de nos 1500 pruniers, on sera chanceux!»

Paul-Louis Martin ne baisse pas les bras pour autant. Sa mission, sa passion, c'est de sauver la Damas pourpre de l'oubli. Il a déjà son plan pour renouveler la production perdue en utilisant comme porte-greffe des pruniers qui ont moins bien profité dans le sol argileux des vergers situés au sud de la propriété. Mais comme un prunier ne commence à donner que sept à neuf ans après avoir été planté, il devra s'armer de patience.

Habituellement, la famille Martin récolte entre 9000 et 12 000 paniers de ces délectables petites prunes bleues facilement identifiables à leur pédoncule d'attache et à leurs deux lobes bien divisés, qu'on surnomme des «fesses». Heureusement, pendant que son mari s'affaire à préparer ses plantations, Marie de Blois, qui est la maître confiseuse et l'experte en transformation, peut compter sur quatre congélateurs pleins à ras bord pour produire les confitures, coulis, vinaigres, pâtes de fruits et autres délices qui ont contribué à la renommée de la Maison de la prune et lui permettent de poursuivre sa mission de sensibilisation et de préservation de cette culture patrimoniale, négligée pendant près d'un siècle.

Longtemps membre du réseau des Économusées, l'entreprise artisanale fait maintenant cavalier seul, ce qui ne l'empêche pas d'accueillir des milliers de visiteurs chaque année, soit au magasin d'époque, soit pour des sessions d'animation qui ont lieu le dimanche matin, sur réservation.

Des débuts progressifs

Cette aventure de la Maison de la prune est le fruit d'un coup de foudre. «Au début des années 70, comme la majorité des Québécois, nous croyions que les prunes poussaient exclusivement en Ontario», confesse l'auteur du livre Les Fruits du Québec, paru l'an dernier aux éditions du Septentrion. Mais quand il a découvert que l'ancien propriétaire du domaine dont il venait de faire l'acquisition avait arraché 600 des 750 pruniers de Damas de ses terres par manque d'intérêt de la clientèle pour la fameuse «prune d'habitant», M. Martin s'est mis en tête de trouver les causes de cette désertion.

L'ethnologue venait de découvrir ce qui serait la source d'inspiration de nombreuses recherches ultérieures: la mise en valeur et la préservation d'un patrimoine génétique végétal menacé principalement par l'industrialisation de l'agriculture.

«On a complètement oublié qu'il existe toutes sortes de variétés de fruits indigènes au Québec ou qui ont réussi à s'acclimater et à devenir rustiques au fil des siècles, comme les pommes d'été, la cerise de Montmorency, le melon ou la pêche de Montréal, déplore M. Martin. Tout cela à cause de l'emprise de la grande industrie.»

«La prune de Damas, qui existe depuis des millénaires en Occident et pour laquelle les croisés se sont battus au Moyen Âge, pousse remarquablement bien dans notre climat depuis quatre siècles. Dans un inventaire de 1901, j'ai découvert que 200 000 pruniers de Damas, plantés par les Récollets et Champlain au début de la colonie, poussaient sur la Côte-du-Sud, contre seulement 2000 dans les années 80. Elle est devenue notre cheval de bataille et le symbole du droit à la biodiversité.»

La prune bleue a aussi fait l'objet d'études poussées en Californie qui ont établi qu'elle était plus riche en antioxydants que le raisin et les bleuets, dont les pigments sont réputés pour régénérer les cellules du cerveau et ralentir le processus de vieillissement. Des études que Paul-Louis Martin s'est empressé de valider auprès des chercheurs de l'Institut des aliments nutraceutiques et fonctionnels de Québec.

Il prédit un brillant avenir à ce petit fruit. «En plus d'être délicieuse, patrimoniale, nutritive et excellente pour la santé, la prune de Damas pousse très facilement chez nous. N'est-ce pas suffisant pour la sauver de l'oubli?»