Installée dans son autobus-boutique vert nature stationné en permanence en face de la Maison Chapais, à Saint-Denis, Claudie Gagné s'amuse de l'étonnement d'une motocycliste qui croque avec délice dans des feuilles d'épinard de mer, l'arroche hastée. Puis, elle acquiesce à la suggestion d'un retraité nouvellement installé dans la région qui juge que le croquant-salé de la salicorne ferait un mariage d'amour avec une bière artisanale.

Installée dans son autobus-boutique vert nature stationné en permanence en face de la Maison Chapais, à Saint-Denis, Claudie Gagné s'amuse de l'étonnement d'une motocycliste qui croque avec délice dans des feuilles d'épinard de mer, l'arroche hastée. Puis, elle acquiesce à la suggestion d'un retraité nouvellement installé dans la région qui juge que le croquant-salé de la salicorne ferait un mariage d'amour avec une bière artisanale.

Une troisième cliente échange quelques trucs culinaires avec un groupe de cyclistes: le plantain de mer est excellent blanchi, en salade tiède. La salicorne fait des merveilles entre deux filets de poisson blanc, tandis que la livèche écossaise est exquise dans une omelette ou un chowder.

Installée à Saint-Denis de Kamouraska, Claudie Gagné fait des dégustations de plantes sauvages comestibles. Sur la photo, on peut voir dans sa main droite des épinards de mer et du caquillier édentulé, et dans sa main gauche, de la salicorne. (Photo Anne Desjardins, collaboration spéciale)

Claudie fait ensuite goûter du caquillier édentulé, une petite plante grasse dont le goût marqué de raifort en fait grimacer plusieurs. On préfère le parfum sucré de la gesse maritime, ces jolies grappes de pois aux fleurs roses. Dans les chambres froides, les provisions, récoltées du lundi au mercredi, diminuent à vue d'oeil. On s'arrache les sept variétés de plantes vendues en sacs et qui se conservent environ deux semaines au réfrigérateur.

Un engouement parfois risqué

Le troscart maritime, une verdure aux longues tiges est très riche en... cyanure. C'est une vraie mauvaise herbe toxique. (Photo Anne Desjardins, collaboration spéciale)

C'est comme ça chaque fin de semaine: du vendredi au dimanche, la blonde Claudie tient salon de dégustation. «L'an dernier, j'étais stationnée à Kamouraska, en compagnie des maringouins et de couchers de soleil hallucinants. Mais j'ai la bougeotte. Ici, il y a plus d'espace et les visiteurs peuvent prendre le temps de goûter tout en posant leurs questions.» Et des questions, il y en a, à cause de l'engouement croissant pour les plantes sauvages comestibles. Car certaines sont toxiques, comme le troscart maritime, une verdure aux longues tiges et au parfum de coriandre, mais qui est aussi très riche en cyanure.

«Parfois, les clients s'arrêtent à mon kiosque et me disent qu'ils ont goûté une herbe semblable à de la ciboulette. Je les trouve bien téméraires et j'essaie de les sensibiliser. Personne n'aurait l'idée d'aller cueillir des champignons sauvages sans guides sûrs. Ce devrait être la même chose pour les végétaux de mer», rappelle la jeune femme de 24 ans, qui se consacre à plein temps à sa passion depuis sept ans.

Coureuse des grèves

Les restaurateurs l'ont surnommée la coureuse des grèves. Quant aux cultivateurs, qui la considèrent comme une des leurs et l'encouragent en lui donnant libre accès à leurs battures, ils l'appellent Quenouille. «C'est parce qu'ils me voient accroupie à longueur de journée à ramasser des choses aquatiques», lance, en riant, la pdg des Jardins de la mer, qui approvisionne une trentaine de chefs cuisiniers et quelques points de vente, dont la Poissonnerie Lauzier et le Crac, rue Saint-Jean, à Québec.

Sa microentreprise, Claudie Gagné l'a fondée après une rencontre marquante avec François Brouillard, un des premiers cueilleurs professionnels de plantes sauvages au Québec, avec Gérald Le Gal, du Gourmet sauvage. Rendu célèbre par les Normand Laprise (Toqué !), Anne Desjardins, (L'Eau à la bouche) et Daniel Vézina (laurie-raphaël), «François des bois» a d'abord récolté ses délices sauvages dans le Bas-du-Fleuve.

«Il s'installait au camping de mon père, à Saint-Alexandre, et j'allais l'aider à cueillir, se souvient Claudie, qui a trouvé sa voie en 1998, grâce à ces formations intensives sur le terrain. Cueillir des plantes maritimes comestibles, c'est devenu le résumé de tout ce qui m'anime: la nature, la mer, la cuisine, un apprentissage autodidacte, le contact avec la clientèle et la possibilité de demeurer dans mon coin de pays.»

Croître et se multiplier...

Aujourd'hui, Claudie Gagné emploie trois cueilleurs à plein temps, de juin à octobre. Et elle passe un temps considérable à s'assurer que les choses soient faites selon les règles de l'art, limitant ses tailles, variant ses talles pour laisser le temps à la nature de se refaire et prenant même soin de replanter des graines de salicorne et d'épinards de mer récoltées à l'automne.

«Nous sommes sept cueilleurs professionnels dans ce secteur. Nous devons absolument nous entendre pour préserver la ressource et aider le gouvernement à mieux encadrer notre pratique, tout en lui offrant notre expertise, parce que nous sommes les seuls à connaître intimement les conditions de croissance de ces végétaux», explique Claudie, qui fait aussi de fréquents stages à l'étranger.

«L'hiver dernier, je suis allée en Algarve, au Portugal, où on essaie d'implanter des cultures de salicorne semblables à celles du Mexique.» Elle a aussi étudié pendant près de quatre mois en Bretagne, au CEVA, le Centre d'étude de valorisation des algues, reconnu mondialement pour son expertise dans l'étude des végétaux marins propres à la consommation humaine. «C'est un domaine d'avenir passionnant, d'autant plus que tous ces aliments sont très riches en vitamines et en sels minéraux.»

Mais Claudie Gagné considère qu'à moyen terme, la pérennité des plantes marines comestibles passera inévitablement par leur culture dans des conditions écologiquement fiables. En attendant l'avènement des fermes de salicorne sur le territoire québécois, elle veille au grain dans ce territoire du Kamouraska qui signifie «là où il y a du jonc au bord de l'eau» en langue algonquine...

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Sur Internet:

> Guide des mauvaises herbes du gouvernement du Québec – MAPAQ

Merci à Claudie Gagné, des Jardins de la mer, et à Patrice Fortier, de la Société des plantes, pour leur aide.