Selon Louis Lefebvre, dans leur milieu naturel toutefois, les perroquets manifestent souvent moins de talent que la corneille, le merle noir, le héron vert, les pics ou même le moineau domestique, pour ne citer que ceux-là.

Selon Louis Lefebvre, dans leur milieu naturel toutefois, les perroquets manifestent souvent moins de talent que la corneille, le merle noir, le héron vert, les pics ou même le moineau domestique, pour ne citer que ceux-là.

Professeur au département de biologie de l'Université McGill, ce docteur en psychologie et spécialiste du comportement des oiseaux était invité, lundi dernier, à Washington, par l'Association américaine pour l'avancement des sciences, à présenter son échelle de mesure du quotient intellectuel des oiseaux. La seule du genre au monde et qui a d'ailleurs été appliquée avec succès aux primates.

Selon le chercheur, l'intelligence d'un oiseau est proportionnelle à sa capacité d'innover pour se nourrir. Et souvent, plus la nourriture est difficile à trouver, plus les oiseaux doivent redoubler d'astuce pour remplir leur estomac. À l'inverse, ceux qui vivent là où la bouffe est très abondante, comme les oiseaux de rivage, par exemple, montrent peu de talent pour l'innovation.

Plus encore, les espèces ayant plus de facilité à découvrir et à mettre en pratique des trucs pour se nourrir s'adaptent mieux à leur milieu naturel. «Nos données permettent même de dire quel oiseau pourrait facilement envahir un nouveau milieu et y prospérer. Les cas du merle noir et du moineau domestique sont éloquents à cet égard. Cette faculté d'innovation pourrait même accélérer l'évolution d'une espèce», explique-t-il en entrevue.

Par ailleurs, le chercheur a constaté qu'un oiseau disposant d'un gros cerveau n'a pas nécessairement un important quotient intellectuel. Selon ses analyses, les perroquets ont le plus gros cerveau de tous les oiseaux, mais leurs capacités intellectuelles sont moyennes, du moins dans leur habitat naturel.

Il faut expliquer aussi que la méthode du professeur Lefebvre est tributaire du nombre d'observations signalées. Ainsi, les données seront plus rares dans le cas d'une espèce difficile à observer ou ayant suscité peu d'intérêt. Le «test d'intelligence» a été mis au point en notant et en dénombrant les comportements novateurs dans la littérature scientifique mondiale depuis 1930. Ces observations ont été cautionnées par les comités de rédaction des revues scientifiques même si, dans le cas des oiseaux, plusieurs rapports proviennent d'ornithologues amateurs. Cette situation unique dans la communauté scientifique a aussi permis d'augmenter la quantité des données.

On a donc signalé quelque 2000 comportements différents un peu partout dans le monde, dont 900 en Europe, d'où provient le plus grand nombre d'observations, et 600 en Amérique du Nord. Dans certains cas, il s'agit tout simplement d'un ajout au régime alimentaire: un pic à ventre roux qui dévore les petits d'une nichée de mésanges, ou un canard colvert qui mange une grenouille ou un crapaud, par exemple. D'autres cas sont plus complexes, comme ces géospizes des îles Galapagos qui utilisent un instrument pour déloger des insectes. On a d'ailleurs dénombré une centaine d'espèces qui se servent d'un instrument d'une façon ou d'une autre. Jusqu'à maintenant, M. Lefebvre a compilé des données sur environ 800 espèces d'oiseaux.

Quels sont les plus inventifs? L'évaluation scientifique place les corvidés au sommet de l'échelle de l'intelligence dans le monde aviaire. Le plus brillant de la famille? La corneille noire, une Européenne qui a affiché 31 comportements innovateurs. Viennent ensuite les rapaces. Par exemple, notre balbuzard obtient la note de 18 et la buse à queue rousse, 11. Le troisième groupe dans l'échelle Lefebvre est représenté par les pics. Le minuscule pic mineur, par exemple, obtient la note de 8. Par contre, le merle noir, le pendant européen de notre merle d'Amérique, obtient 29. On sait notamment qu'il utilise des brindilles comme balai afin d'enlever la neige sur sa nourriture. Avec de tels résultats, on ne s'étonne pas que cet oiseau se soit installé avec succès dans plusieurs régions du monde, même en Australie.

Des cas spectaculaires ou inusités

Un corbeau de Nouvelle-Calédonie a trouvé le moyen d'extirper de la nourriture d'un récipient de verre trop étroit pour y plonger le bec. Pour ce faire, il a utilisé un fil de métal souple qu'il a plié à l'extrémité et dont il s'est servi comme hameçon pour agripper son repas. Incroyable! L'oiseau a répété son exploit en laboratoire.

Espèce répandue du Canada à l'Amérique du Sud, le héron vert utilise souvent des leurres pour pêcher. Il dépose à la surface de l'eau un bout de bois, un morceau de pain, une plume ou d'autres petits objets afin d'attirer les poissons.

En Nouvelle-Zélande, un moineau domestique a découvert qu'il lui suffisait de passer devant un oeil magique pour ouvrir les portes d'une cafétéria où il pouvait ramasser des miettes de pain sur le plancher.

Le vautour percnoptère, une espèce africaine, laisse tomber des cailloux du haut des airs afin de briser des oeufs d'autruche. Et il est fort habile.

Un pic à ventre roux a pénétré dans la cage d'un loup pour manger les reliquats de viande laissés sur des os.

En Angleterre, les mésanges charbonnières avaient appris à enlever le bouchon des bouteilles de lait afin d'en boire seulement la crème, les oiseaux ne pouvant digérer le lait.

Un grand géocoucou, le fameux road runner du dessin animé, s'installait tout près d'une mangeoire à colibris pour capturer ceux qui s'y présentaient.

L'aigle royal chasse parfois en équipe. On a vu l'un d'eux se mettre à l'affût pendant que son compagnon se dirigeait vers le bosquet où se cachait un lapin. Chassé de sa cachette, la bête fut prestement capturée.

On cite aussi le cas de deux corbeaux affamés qui observaient un chien en train de gruger un os. L'un d'eux s'est approché de l'animal pour lui mordre la queue. Le chien a laissé échapper son os, dont s'est rapidement emparé l'autre corbeau.

Les moineaux inspectent à l'occasion les grilles de radiateur d'automobiles pour manger les insectes qui y sont écrasés.

Dans l'ex-Rhodésie, on a constaté que des vautours se perchaient sur des piquets près d'un champ de mines pour profiter du passage des bêtes imprudentes.

Plusieurs oiseaux vont aussi laisser tomber leurs proies du haut des airs afin de les tuer ou de les briser s'il s'agit de mollusques, d'oursins ou d'oeufs. À ce sujet, je me souviens du propriétaire d'un terrain d'exercice de golf, à Rimouski, qui s'était fait chiper près de 8000 balles par des corbeaux durant le seul été de 1990. Les oiseaux ramassaient les balles pour les laisser tomber quelques centaines de mètres plus loin. Ils tentaient ensuite de les briser avec leur bec comme s'il s'agissait d'un oeuf.

Le monde aviaire n'a pas fini de nous étonner!