Vous vous demandez à qui appartiennent les casseroles, le divan, le tableau acheté lors de votre premier voyage à deux… Difficile de retenir les souvenirs. De ne pas penser au jour où vous avez pourtant défait vos boîtes ici, heureux.

En emménageant ensemble, vous saviez bien que la majorité des couples finissent par se séparer, mais vous étiez confiants. Là, c’était différent.

Vous détestez déménager, mais vous avez su en rire. Vous étiez excités. Les boîtes étaient moins lourdes que d’habitude… C’est doux, le début d’un monde à deux.

Au fil du temps, vous avez laissé vos empreintes sur les moindres surfaces du logement. La couleur des murs, ce qu’ils portent, ce qu’ils cachent. Les meubles, les odeurs, les marques sur le plancher. La maison est devenue le reflet de ce que vous êtes ensemble.

De ce que vous étiez.

Parce que les statistiques vous ont rattrapés. Vous avez peu à peu eu l’impression d’être emmurés, figés dans un espace plus contraignant que réconfortant. La vérité, c’est que vous n’aviez plus envie d’y être, à la maison.

Le temps est venu de rempaqueter.

Sauf que vous avez tellement investi la moindre pièce à deux que c’est difficile de déterminer qui est censé repartir avec quoi. Vous pourriez en discuter, si vous aviez encore envie de vous parler… Vous y arrivez s’il le faut, mais ça vous laisse chaque fois le cœur en miettes. Vous préférez éviter.

Vous vous dites que tout le monde passe par là, mais que c’est quand même con comme passage obligé. Vous vous demandez si vous auriez pu rendre ça plus facile…

J’entre dans votre chambre tandis que vous triez le contenu de la garde-robe. Vous êtes confus. Qu’est-ce que je fais là ?

« Je suis la fille avec un long nom qui écrit dans La Presse et j’ai des conseils pour vous. »

Vous trouvez la rupture de ton un peu abrupte, mais vous voulez des réponses, donc vous faites avec…

Je vous explique qu’un essai paru en 2017 a changé ma manière de voir la vie à deux : L’amour et l’argent — Guide de survie en 60 questions (les Éditions du remue-ménage). Les coautrices Hélène Belleau et Delphine Lobet vouent notamment un chapitre aux enjeux auxquels on doit penser quand on emménage en amoureux…

Parmi eux : la rupture.

Vous trouvez que ce n’est pas très romantique. Je vous réponds que c’est justement ce que j’ai dit à la sociologue et professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) Hélène Belleau, quand je lui ai parlé, il y a quelques jours.

PHOTO PHIL BERNARD, FOURNIE PAR L’INRS

Hélène Belleau, sociologue et professeure à l’Institut national de la recherche scientifique

Vous êtes curieux de savoir ce qu’elle m’a répondu…

Je la cite en essayant de l’imiter. Vous constatez que ce n’est vraiment pas l’une de mes forces.

« Il faut profiter du fait que lorsqu’on emménage ensemble, il y a plein de questions qu’on se pose naturellement. L’une d’elles pourrait être : “Ça n’arrivera pas, mais si jamais on se séparait dans 20 ans, qu’est-ce qu’on ferait ?” C’est important de statuer sur la séparation des biens dès le départ. Et, idéalement, il faudrait que l’entente soit écrite quelque part… »

Vous aimez bien cette twist. « Ça n’arrivera pas, mais… » Vous notez.

J’ajoute qu’elle en a plusieurs, des trucs du genre. Par exemple, les autrices proposent que lorsqu’un des partenaires laisse tout derrière pour emménager chez l’autre, ses possessions soient remisées dans un entrepôt dont les frais seront partagés. Comme ça, s’il y a rupture, il n’aura pas à repartir de zéro.

Sinon, on doit trouver des moyens d’équilibrer la chose. Si une personne a déjà tous les électroménagers et que l’autre doit se départir des siens, on peut statuer que la laveuse et la sécheuse lui reviendront, en cas de séparation.

OK, mais qu’est-ce qu’on fait si on a tout acheté ensemble ?

Je ressors ma piètre imitation d’Hélène Belleau : « Il faut alors s’assurer que chacun est propriétaire de certaines choses. On peut avoir un dossier dans lequel on garde nos factures avec le nom de la personne à qui reviendra le meuble en cas de rupture, par exemple. »

Illustration Julien Chung, La Presse

On peut avoir un dossier dans lequel on garde nos factures avec le nom de la personne à qui reviendra le meuble en cas de rupture, par exemple.

Je vous demande si vous souhaitez connaître d’autres questions auxquelles réfléchir avant de déménager avec l’être aimé. Vous me répondez que oui, à moitié par curiosité et à moitié parce que vous avez hâte que cette étrange mise en scène se termine.

Selon Hélène Belleau, on doit se demander à qui appartient la maison : « Qui paie l’hypothèque et est-ce que l’autre en paie une partie ou pas ? Parce que si on contribue à l’hypothèque de l’autre, on l’enrichit d’une certaine façon. Y a-t-il une compensation quelque part ? »

Parlant d’organisation financière, il faut également réfléchir à la recomposition familiale, d’après la chercheuse : « Si un partenaire a ses enfants une semaine sur deux, il faut un logement plus grand. Comment on sépare les coûts du loyer ? »

Je pourrais aussi vous parler des allocations familiales. À partir du moment où un conjoint entre dans la maison, le gouvernement prend en compte son revenu, ce qui peut réduire de milliers de dollars les sommes allouées, mais bon… Ça nous éloignerait un peu du sujet.

De toute façon, vous n’êtes plus d’humeur à jaser de vie à deux. Vous me rappelez qu’il est trop tard pour ça. Dans votre cas, c’est fichu. Ce à quoi je réponds que ces informations vous serviront, la prochaine fois…

Parce qu’il y a des chances que vous plongiez de nouveau. Que l’amour vous redonne envie d’un repaire à deux ou à trois, je ne juge pas…

J’ajoute que sinon, je vous souhaite de trouver le plus doux des cocons. Une maison qui sera entièrement vôtre et dont les murs ne porteront que vos fières empreintes. Un lieu pour vous reconstruire et vous rappeler tout ce que vous êtes dans votre formidable unicité.

Puis, je sors de votre chambre à reculons.

Mon regard bienveillant vous rend inconfortable.

« C’était bizarre, ça », que vous vous dites en poursuivant votre tri.