Je n’ai hérité d’aucun don surnaturel et j’ai très peu de certitudes dans cette vie. Je suis tout de même convaincue qu’il y a chez vous un placard un peu bordélique. Et qu’au fond de ce placard se trouvent quelques boîtes de cossins que vous traînez de déménagement en déménagement sans jamais vraiment les ouvrir.

Dans les deux boîtes dont je n’arrive pas à me défaire (bien qu’elles ne fassent que contribuer à mon fouillis) se trouvent plusieurs artéfacts d’une autre vie. Des photos de famille, des bijoux sans valeur que je trouvais beaux à 13 ans, de vieux billets de spectacles et… toutes les lettres qu’on m’a écrites. J’ai beaucoup de difficulté à me départir de ce qui est manuscrit. Je garde même des Post-it sans intérêt sur lesquels des proches m’ont laissé des notes.

« Je reviens plus tard ! »

« N’oublie pas d’acheter du lait, stp. »

« Je sais que t’es incapable de te débarrasser des petits mots qu’on t’écrit. Tu vas être obligée de garder celui-là aussi. »

Déménager de vieilles lettres d’amour, ça va. Déménager des Post-it banals, ça me paraît moins sain… Pourtant, je m’y obstine sans trop comprendre pourquoi.

« Heureusement que tu vis dans une ère où le virtuel est très important », m’a lancé en riant Marc-André Dufour, quand je lui ai parlé de mon étrange habitude.

Le psychologue clinicien a écrit l’essai Se donner le droit d’être malheureux, dont un chapitre porte justement sur le refuge qu’on trouve parfois auprès d’objets.

Consultez le résumé du livre

« C’est normal de s’attacher à des cartes d’anniversaire, un album de finissants ou des photos de famille. Ils ont une valeur sentimentale ! Si certains Post-it sont significatifs pour toi, il n’y a pas de problème à les trimballer, tant que ça ne t’empêche pas de fermer ton garde-robe ou que ça n’occupe pas trop de ton temps. »

En fait, l’accumulation devient un souci lorsqu’une personne est si attachée à ses possessions qu’elle ne peut envisager de faire le moindre tri.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La psychologue Marie-Ève St-Pierre-Delorme

Les accumulateurs compulsifs, ce sont des gens extrêmement perfectionnistes. Ils ont si peur de commettre une erreur en jetant quelque chose d’important qu’ils ne se voient pas se départir d’un objet. D’un coup qu’il pourrait être utile…

Marie-Ève St-Pierre-Delorme, psychologue

La psychologue s’est beaucoup intéressée à l’accumulation compulsive. Elle a d’ailleurs coécrit un livre à ce sujet, Entre monts et merveilles. Elle m’explique qu’il ne s’agit pas d’une question de quantité d’objets, mais bien d’anxiété à l’idée de s’en défaire. En général, la condition génère toutefois un encombrement qui empêche les individus de fonctionner normalement dans leur maison. Impossible de prendre un bain ou de manger à la table de la cuisine, par exemple. Ils sont ensevelis.

Consultez le résumé du livre

Rassurez-vous, l’attachement aux objets demeure naturel ! Il peut avoir plusieurs origines : les souvenirs qu’un article évoque, le fait qu’on ait payé pour l’acquérir ou encore le doute qu’il puisse toujours servir… « On le voit souvent avec les vêtements qu’on garde même si on ne les porte plus ; j’ai pris du poids, mais d’un coup que j’en reperds ! »

Pour ce qui est des vieilles boîtes qui garnissent notre coin débarras, Marie-Ève St-Pierre-Delorme a une explication toute simple : la facilité.

« Un déménagement, c’est difficile en soi ! Si des choses sont déjà dans une boîte, ce n’est pas vrai qu’on va faire le tri là-dedans ! C’est bien plus facile de juste déménager la boîte… De déménagement en déménagement. »

« Là, on parle d’un problème d’organisation, souligne d’ailleurs Marc-André Dufour. Si on garde des boîtes remplies de factures de grille-pain et de garanties de fers à friser, c’est possiblement par procrastination. Ça se comprend ; quelle tâche plate que de trier notre boîte de vieux stock ! Il faut se discipliner et passer à travers la tâche : on met de la musique, on s’équipe de bacs de rangement et on se met une date limite. On y va à petits pas. »

Mais revenons à mes vieux cossins, si vous le voulez bien. Pourquoi est-ce donc si difficile de se débarrasser des objets qu’on accumule, au fil du temps ?

PHOTO SARAH SCOTT, FOURNIE PAR MARC-ANDRÉ DUFOUR

Marc-André Dufour, psychologue clinicien

Quand on parle de se départir de quelque chose, à petite échelle, on est dans le deuil.

Marc-André Dufour, psychologue clinicien

C’est inconfortable, parfois, de laisser aller.

« Disons qu’on traîne un vieux jouet tout croche depuis des années, poursuit le psychologue clinicien… Qu’est-ce que l’idée de s’en départir vient chercher chez nous ? Je vous conseille de vous poser la question et de suivre ce filon pour découvrir où l’objet s’inscrit, dans votre vie intérieure. Quelle est la charge qu’il porte ? Est-ce de la nostalgie ? Est-ce de la sécurité ? »

Le psychologue clinicien donne l’exemple de la vieille doudou que plusieurs adultes laissent traîner au fond d’une boîte. Enfant, c’est un objet investi du pouvoir de nous rassurer. Quand on se sent impuissant face à un monde qu’on ne comprend pas encore, on peut serrer notre doudou et se croire en sécurité.

« Pour savoir ce qu’on doit garder ou non, il faut voir ce que les objets signifient pour nous, résume Marc-André Dufour.

— C’est intéressant ! Mes Post-it me ramènent à ceux qui les ont tenus entre leurs doigts, je pense.

— Les objets ont un sens dans la mesure où on leur en donne un. Si tu es investie personnellement dans le fait que quelqu’un t’écrive un mot et que tu as envie de préserver cette trace qu’un autre t’offre, ça a du sens. Même si, pour autrui, c’est de la cochonnerie ! »

Mes vieilles affaires ne contribuent pas au bordel, au fond. Elles témoignent du passage de mes contemporains. Pouvez-vous en dire autant de vos boîtes de fond de placard ?