Alors qu’on passe beaucoup de temps entre les mêmes quatre murs à se demander si on mène vraiment la vie qu’on souhaite mener, je crois avoir trouvé une histoire qui tombe à point. C’est celle d’un mécanicien automobile qui a décidé de fabriquer des meubles d’exception. Il souhaite, je le cite, « péter un show avec chaque morceau ».

J’ai découvert les créations de Geoffroy Dépatie sur Instagram. J’ai tout de suite été charmée par l’unicité de ses tables de béton, de ses pièces lourdes, modernes et étonnantes. Je me doutais que le jeune homme de 36 ans cachait une démarche intéressante, mais je ne m’attendais pas à un tel parcours…

En fait, il est mécanicien automobile de formation. Tout jeune déjà, il rêvait d’un emploi manuel et se passionnait pour les voitures ; choix logique, donc. À 17 ans, il commençait à travailler dans le milieu. Un an plus tard, il l’abandonnait parce qu’il ne jugeait pas faire suffisamment d’argent pour les efforts investis.

Plan B : la construction.

« J’ai commencé avec les sales jobs, m’explique-t-il avec un sourire en coin. J’en ai pelleté de la roche sur des chantiers ! J’ai fait du coffrage de béton, ensuite de l’acier d’armature, et je suis passé à la menuiserie. »

C’est 10 ans après ses débuts que Geoffroy Dépatie a fabriqué son tout premier meuble. Un client souhaitait avoir un comptoir de béton dans sa salle de bains. Pourrait-il s’en occuper ?

Révélation !

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Geoffroy Dépatie

Rendu là, je savais que j’étais capable de construire un paquet d’affaires, mais est-ce que j’arriverais à fabriquer ce que j’imaginais ? Ça m’a donné envie de faire mes propres trucs.

Geoffroy Dépatie

En 2016, Geoffroy Dépatie a ajouté la création de meubles sur mesure à ses activités professionnelles. Ainsi naissait l’entreprise Les choses, avec son joli slogan : « Mobilier d’exception pour gens exceptionnels ».

« Toutes les techniques que j’utilise me viennent de la construction. J’applique au mobilier ce que je sais faire avec les structures d’acier, le bois et le béton », me résume l’artisan.

Ce qui me charme tout particulièrement, c’est la manière dont il met en valeur des matériaux souvent ignorés. Pensons au béton. On l’associe aux fondations de nos maisons ; on le dissimule beaucoup plus qu’on ne l’utilise pour décorer notre intérieur. D’ailleurs, on ne se doute pas de tout ce qui se cache derrière une table en béton...

« Le polissage, c’est long et c’est salaud, m’explique Geoffroy Dépatie. Ça splashe de la bouette partout ! Comme je n’ai jamais vraiment eu d’atelier décent, j’ai déjà fait cette étape-là dans des ruelles de Montréal. Je m’entourais d’un rideau de douche circulaire pour éviter que la bouette revole sur les murs autour… »

  • Banc construit par Geoffroy Dépatie

    PHOTO FOURNIE PAR GEOFFROY DÉPATIE

    Banc construit par Geoffroy Dépatie

  • Banc ou petite table

    PHOTO FOURNIE PAR GEOFFROY DÉPATIE

    Banc ou petite table

  • Banc, création de Geoffroy Dépatie

    PHOTO FOURNIE PAR GEOFFROY DÉPATIE

    Banc, création de Geoffroy Dépatie

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Pour votre information, on parle ici d’une tâche qui peut demander entre 30 et 40 heures de travail ! Non seulement l’artisan utilise des matériaux qu’on ne juge pas nécessairement nobles, mais il emploie des techniques qu’on regarde parfois de haut.

« Je trouve qu’au Québec, on ne valorise pas assez les métiers de maçon ou d’ébéniste », par exemple, m’avoue-t-il.

Être maçon en Angleterre, c’est très respecté ! Ici, tu n’es qu’un gars de briques. Je ne sais pas pourquoi… Il y a pourtant plein d’hommes et de femmes qui travaillent fort là-dedans.

Geoffroy Dépatie

Parlant de travailler fort, Geoffroy Dépatie m’explique le processus qui lui a permis de faire une table de cuisine dont il est particulièrement fier, en 2019.

PHOTO FOURNIE PAR GEOFFROY DÉPATIE

La table de cuisine que Geoffroy Dépatie a construite en 2019

« J’ai commencé par prototyper la table. Ensuite, j’ai fabriqué des gabarits pour créer cette table… que je ne construirais qu’une seule fois dans ma vie. Je l’ai soudée, puis je l’ai peinte comme je peinturerais une auto. Juste essayer de matcher toutes les couleurs, ça m’a pris 10 visites au magasin. Cette table-là est aussi belle d’en dessous que d’en haut. J’essaie de péter un show chaque fois ! C’est pour ça que je ne fais que quelques meubles par année. Si mon client me dit qu’il a 2000 $ de budget, je vais mettre 5000 $ en temps. Mon but est de faire des pièces uniques vraiment hot, c’est ça que je veux montrer… Si je construis un meuble, c’est parce que je le voudrais chez moi. »

Du même coup, l’artisan m’avoue qu’on ne retrouve pas la moindre de ses créations dans son appartement. Il n’a pas les moyens de se payer les matériaux ni le temps, ajoute-t-il pour se justifier, en riant.

Comprenons bien que les projets réalisés par Geoffroy Départie sont triés sur le volet. Comment les choisit-il, alors ?

« Il faut que je sois libre, me répond-il avec une pointe d’audace dans le regard. Il faut pas mal que la commande se limite à : “J’ai besoin d’une table.” »

Puis, l’audace fait place à un peu de vulnérabilité.

« J’ai un peu le feeling d’être charlatan, quand même…

— Pourquoi donc ?

— Parce que je ne suis pas designer ni architecte.

— Tu es quoi, alors ?

— Hum… Je suis un mécanicien-menuisier-ébéniste-artisan-du-béton ? »

Geoffroy Dépatie planche d’ailleurs sur un projet qui rassemblera chacune de ses aptitudes. Après une quinzaine d’années passées à ériger les maisons des autres, il commence tout juste à construire la sienne.

Il a imaginé la demeure de concert avec un jeune architecte de 26 ans. Il s’apprête maintenant à la bâtir, et 80 % des tâches seront réalisées par lui seul. Il compte ensuite la meubler de ses créations pour en faire non seulement sa maison, mais une salle d’exposition.

« Je veux montrer ce que je peux faire en joignant le design à la construction. La maison sera vraiment spéciale », lance-t-il en m’offrant de nouveau un regard joueur.

PHOTO GAËLLE LEROYER, FOURNIE PAR GEOFFROY DÉPATIE

Geoffroy Dépatie a coupé lui-même, à même sa terre, le bois qui servira à construire sa maison.

Déjà, une bonne part du bois qui sera utilisé pour ériger la bâtisse a été coupé par l’homme lui-même, à même son acre de terrain. « L’empreinte carbone du projet se résume aux deux petites canisses de gaz qui ont été dans la chainsaw, à date ! »

C’est important aussi, l’environnement, quand vient le temps de créer du « mobilier d’exception pour gens exceptionnels » ?

Le mécanicien-menuisier-ébéniste-artisan-du-béton prend un moment pour réfléchir.

« Je trouve qu’en général, on achète beaucoup de choses cheap faites par des gens sous-payés. Des trucs qui cassent rapidement… Le béton n’est pas le matériau le plus écologique, mais si tu construis un meuble dans l’optique de le faire durer 50 ans, c’est là que ça devient avantageux, selon moi. J’essaie de fabriquer des choses qui seront encore là après ma mort. »

Chose certaine, il les fait autrement. À sa manière.